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par le Dr Raymond Vergès

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Quand la mémoire de l’esclavage fait débat

Entretien avec Françoise Vergès

mercredi 26 octobre 2005

La programmation sur France O, ce soir, du document “Noire mémoire” (*) et la parution de deux livres est l’occasion d’évoquer au présent la mémoire de l’esclavage. Que peut-on dire de son actualité ?

- L’actualité la plus brûlante est la parution, aujourd’hui, du rapport du Comité pour la Mémoire de l’esclavage. Présenté le 12 avril 2005 au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, il paraît au format de poche sous le titre “Mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions”.
La loi du 10 mai 2001 demande une sensibilisation de l’opinion aux questions posées par la traite négrière et l’esclavage. Donc, le Comité pour la Mémoire de l’esclavage a insisté sur le fait que tous les supports sont importants. Pas seulement les manuels scolaires, qui ne sont pas les seuls vers lesquels le public se tourne pour trouver des documents historiques. Il va aussi vers la télévision, Internet, la BD, le livre historique, les revues... Tous sont importants. Plusieurs documentaires sont en préparation, mais je veux souligner qu’il y en a un qui va bientôt passer sur RFO, sous le titre “Noire mémoire”. Il faut multiplier ces exemples - livres, CD-Rom, films... L’histoire ne s’apprend pas que dans les manuels scolaires.

C’est d’autant plus important que certains pensent qu’il faut présenter le colonialisme sous un jour “positif”... Et pourquoi pas bientôt le côté “positif” de l’esclavage ?

- C’est surtout cette loi de février 2005, dont un des articles demande en effet que la colonisation française soit présentée sous son aspect positif. Or il faut souligner que les “aspects positifs” du colonialisme ne faisaient pas partie des buts de la colonisation. Ils en sont les aspects inattendus. Les guerres coloniales n’ont pas été entreprises pour construire des cultures métissées, de l’interculturalité, etc... C’est parce que les gens ont résisté à la colonisation française que ces aspects ont eu lieu. Si l’on parle de la colonisation post-esclavagiste, l’ordre colonial imposait une frontière entre le monde des colonisés et le monde des colonisateurs. Ceux qui - des deux côtés - ont résisté à cette frontière et qui l’ont franchie, qui ont adopté les idées de l’autre bord et qui les ont transformées, c’est par leur action que se sont créés des espaces “entre deux” qui ne répondaient pas à l’ordre colonial. Ce ne sont pas du tout des aspects que l’ordre colonial avait “pensés”.
C’est comme l’esclavage : un des aspects inattendus de l’esclavage, c’est la création de la société réunionnaise, de toute une culture - notamment du créole, et de bien autres choses. Mais il est évident que cela n’était pas prévu lorsque l’esclavagisme se met en place.
Rétrospectivement, nous pouvons dire “Voilà aussi ce que nous pouvons tirer de cette histoire”, “Voilà notre richesse”. Contre vents et marées, des peuples dominés ont créé des choses extraordinaires dont nous sommes les héritiers. Mais on ne peut pas justifier l’esclavage, ni justifier la colonisation par l’existence, aujourd’hui, de ces espaces créés par la résistance et non par la volonté du colonisateur et de l’esclavagiste. Contre leur volonté, ces choses ont été créées. C’est une tout autre problématique.

Peut-on considérer la loi de février 2005 comme l’œuvre de “révisionnistes” ?

- C’est la première fois qu’en France s’instaure un large débat public. La loi du 23 février 2005 a à voir avec la colonisation française en Algérie. Elle n’a rien à voir avec la loi du 10 mai 2001, déclarant la traite et l’esclavage crime contre l’humanité. Ce sont deux lois très différentes. Mais pour la première fois, en France, émerge un large débat public sur les traces contemporaines de la traite, de l’esclavage et de la colonisation. C’est très positif. Et dans un débat, il n’est pas surprenant qu’il y ait une contestation.
Par ailleurs, rien ne peut être “dicté” par la loi, dans le domaine de la recherche historique. La recherche historique ne va pas dire “c’est bien” ou “c’est mal”. Elle va chercher à faire comprendre pourquoi, à un moment donné, certaines formes vont prévaloir. Et nous disons qu’il faut se confronter à cette histoire. Des deux côtés, il va y avoir des groupes qui vont essayer de faire avancer leurs vérités, mais c’est l’occasion de faire apparaître la complexité historique. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de débat public. C’est la première fois qu’on le voit apparaître dans les revues, à la première page des journaux, à la télévision ou à la radio. Il ne faut pas s’attendre à ce que tout le monde soit d’accord.

Propos recueillis par P. David

(*) RFO organise jeudi une présentation de cette émission qui sera programmée d’ici la semaine prochaine.


Livres

“Mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions”, La Découverte, poche. Rapport du Comité pour la mémoire de l’esclavage. Sortie le 26 octobre.

“Nègre je suis, nègre je resterai - Entretiens avec Aimé Césaire”, par Françoise Vergès, Albin Michel. Sortie le 17 novembre 2005.


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