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par le Dr Raymond Vergès

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Indomptable, révolutionnaire et humaniste

Hommage à l’Abbé Grégoire

jeudi 21 décembre 2006


« L’ignorance est un moyen puissant pour museler le peuple »
Abbé Grégoire

L’École des Beaux-Arts, au Port, a célébré le 20 désanm - fête laïque et réunionnaise de la Liberté - par un hommage à l’Abbé Grégoire (1750-1831) prêtre révolutionnaire dont l’action en faveur de l’abolition de l’esclavage et de la traite en fait une figure symbolique des transformations par lesquelles se conquièrent nos libertés.
Cet hommage a clôturé les 1ères Assises du Conservatoire National des Arts et Métiers de l’Océan Indien, auxquelles ont pris part des délégations des Arts et Métiers de France et de ses centres implantés depuis peu à Maurice, Mayotte, à Madagascar et dans notre île.


L’hommage rendu hier à l’Abbé Grégoire s’est déroulé en deux temps : pour commencer, autour d’une conférence donnée par le prêtre Jean Dubray, docteur d’Etat en philosophie, auteur d’une thèse sur l’Abbé Grégoire à paraître en 2007 à la Voltaire’s Fundation d’Oxford et professeur au grand séminaire de Saint-Sulpice (Paris), sa paroisse de rattachement (Notre dossier : dans l’édition de demain) ; puis en extérieur, dans la cour qui désormais porte le nom du grand Conventionnel. Son action révolutionnaire, au service d’un humanisme chrétien, a été saluée notamment par Laurence Paye Jeanneney, administratice générale du Conservatoire national des Arts et Métiers - dont l’Abbé Grégoire est l’un des fondateurs, par le décret de la Convention de Vendémiaire, An III. Un message de Gilbert Aubry, évêque de La Réunion a salué « la personnalité très forte et exceptionnelle » de l’Abbé Grégoire.
Le philosophe chrétien Jean Dubray a été accueilli par le président de l’association réunionnaise du CNAM, Alain Séraphine et par le maire du Port, Jean-Yves Langenier, qui a exposé « la cohérence du projet portois » à partir de la volonté d’implanter, dans ce qui sera le cœur de la future ville, un pôle d’animation intellectuelle dédié à l’insertion sociale et professionnelle et à la culture sous toutes ses facettes. Ce pôle comprendra la médiathèque Benoîte Boulard, l’École des Beaux-Arts et l’Ecole d’Architecture, la Faculté des autodidactes et des Cadres (FAC) en train de prendre forme et où seront regroupés sur 20.000 mètres carrés, le CNAM, l’ILOI et d’autres sites voués à la culture et à la formation.

« ... objet trouvé recyclé dans l’imaginaire »

Autour du philosophe, plusieurs intervenants ont fait connaître les diverses facettes de l’engagement de l’Abbé Grégoire. Jean-Pierre Jonquières-Doriola, directeur de l’école d’Architecture et architecte des bâtiments de France, a souligné le fait que, sous la Révolution française - dont il a été par ailleurs un acteur de premier plan dans plusieurs domaines - il s’est ému pendant la Terreur (1793) de la dégradation des édifices de l’Ancien Régime et participa en 1795 à la création du Musée des Monuments français.
Il est l’inventeur d’un néologisme, le « vandalisme », passé à la postérité et il a sauvé de la destruction un grand nombre de monuments publics. Sur quelles motivations ? Le directeur de l’école d’architecture pense qu’elles ont été « avant tout didactiques, et pas purement esthétisantes ». C’est-à-dire que, dans la pensée de l’Abbé Grégoire, « les monuments du passé servent à l’édification et à l’instruction du peuple, comme modèles ou comme anti-modèles ». Et le directeur de poursuivre, avec cette belle définition du monument historique, laissée par l’Abbé Grégoire : « L’ancien est un objet trouvé que l’on peut recycler dans l’imaginaire ».

La régénération du passé

Laurence Madeline, conservateure du Musée Léon Dierx, a fait émerger la dualité à l’œuvre chez un homme qui incarne à la fois les bouleversements révolutionnaires, en même temps que l’œuvre constructrice opérée au sein même du “chaos”. L’Abbé Grégoire a proclamé la fin du droit d’aînesse pendant la nuit du 4 août et la fin de l’esclavage, en faisant voter la première abolition (1794). Au travers des exemples choisis, qui ne renvoyaient pas forcément tous à des prises de position de premier plan, la conservateure a mis en exergue la figure d’un homme qui, tout en impulsant des actes révolutionnaires faisant “table rase” d’un certain passé, se souciait par ailleurs de la mise en danger du passé et de l’histoire. Par des actes de déconstruction et de reconstruction, a-t-elle conclu en substance, l’Abbé Grégoire a expérimenté à la fois une volonté de « régénération du passé - ce passé qui fait de nous ce que nous sommes - et les limites mises à cette régénération ».

“Un homme, une voix”

A côté du père Jean Dubray se trouvait Christian Jadaut, médecin chirurgien installé depuis 23 ans à La Réunion, passionné de philosophie et membre du Grand Orient de France, dont il fut le Grand Maître adjoint en 2001 - le premier originaire d’un DOM. Comment la Franc-Maçonnerie, dont a également fait partie l’Abbé Grégoire, dans la loge parisienne des Neuf Sœurs, pourrait-elle laisser l’Eglise évoquer seule la figure d’un personnage aussi complexe que l’Abbé Grégoire ? Il en brossa un portrait entre « provocateur » et « visionnaire », rappelant que le « petit abbé trapu », tout en faisant partie du gotha ecclésiastique de l’époque, était « très attaché à la liberté des cultes et au respect des croyances de chacun ». Une position qui fonde la laïcité, a-t-il rappelé en insistant pour qu’on ne confonde pas laïcité et athéisme. Un autre acte remarquable de l’Abbé Grégoire, rappelé par Christian Jadaut est le fait que, ayant été élu en 1789 aux Etats Généraux par le clergé du bailliage de Nancy, il quitta l’ordre du clergé pour aller siéger avec le Tiers-État et développa la position “un homme, une voix”.

Après l’intervention longuement applaudie du père Jean Dubray sur « l’Abbé Grégoire et l’abolition de l’esclavage » (dans notre édition de demain) mettant en exergue l’unité de sa pensée chrétienne et de son engagement révolutionnaire et humaniste, l’hommage s’est poursuivi dans la cour où une plaque portant le nom et les dates de l’Abbé Grégoire a été dévoilée. Le président du Sénat de Madagascar, Rajemison Rakotomaharo, a paraphé un panneau de présentation du CNAM, dont son assemblée a appuyé la création à Madagascar, à côté du message laissé par l’administratrice générale du CNAM. Ceci pour rappeler le rôle joué par l’abbé Grégoire dans la création du Conservatoire. Dans la cour, le conteneur central avait été couvert de pensées et aphorismes extraits de l’œuvre du prêtre révolutionnaire - celle évoquant l’ignorance des peuples, déjà citée et aussi : « Né plébéien, ma roture remonte probablement à Adam, et je ne veux séparer mon affection et mes intérêts de ceux du peuple ». D’autres phrases, sur la défense des Noirs, couraient sur des panneaux accrochés à la façade de l’école.

« L’abolition des esclavages est encore à faire ! »

Le message de Gilbert Aubry, évêque de La Réunion, lu par le père Glénac, tendait à donner une vision de l’église de La Réunion inscrite dans un mouvement collectif de transformation de la société réunionnaise, vers d’autres abolitions... à faire ! « Nous avons à célébrer les libérations encore à venir par une conscience culturelle qui renforce l’unité de notre population dans l’unité républicaine avec l’assomption et la transfiguration de nos légitimes différences. Notre culture n’est pas la juxtaposition de nos différences ethno culturelles ou religieuses ». Elle est « notre culture quand elle nous réunit » poursuit Gilbert Aubry, ... « elle n’emprisonne jamais ». L’évêque a salué dans ces Assises et dans l’hommage rendu à l’Abbé Grégoire un événement « d’une importance capitale pour relever de nouveaux défis éducatifs pour le développement citoyen de notre île. Dans notre population à la religiosité très développée et souvent ambiguë, le parcours de l’Abbé Grégoire, à la personnalité très forte et exceptionnelle, nous rappelle que la vocation du spirituel est de donner souffle au combat contre l’ignorance, cette ignorance qui est “un moyen puissant pour museler les peuples” ». A la fin de son message, l’évêque en appelle à une Réunion « plus inventive », pour que « forte de ses différentes familles spirituelles, elle se forge une espérance à toute épreuve. L’abolition des esclavages est encore à faire ! » conclut Gilbert Aubry dans son message du 20 désanm.

Cet hommage a réuni les différentes délégations ayant participé aux premières Assises du Conservatoire national des Arts et Métiers de l’Océan Indien. De France sont venues six responsables, dont l’administratrice générale et le directeur délégué, Jérôme Chapuisat ainsi que plusieurs directeurs de centres régionaux.
La délégation mahoraise se composait de deux responsables de l’association gestionnaire du Centre d’enseignement - CNAM dont Mustoihi Mari, président de l’AGCE-CNAM ; du président de la CCI de Mayotte et de Issihaka Abdillah, directeur de cabinet du Conseil général, dont le président, Saïd Omar Oili, a été empêché de venir. La délégation malgache, conduite par Rajemison Rakotomaharo, président du Sénat, comprenait aussi les responsables des trois centres CNAM déjà en exercice dans la Grande île - ceux d’Antananarivo, de Toamasina et de Mahajanga. Les trois prochaines créations seront pour Antsiranana (Diego Suarez), Fianarantsoa et Toliary (Tuléar). Enfin, un Centre d’enseignement à distance du CNAM, dirigé par Bramdeo Lotun, présent lui aussi à l’hommage de clôture, a été ouvert en 2002 à Rose-Hill (Maurice), hébergé par le Technical School Management Trust Fund.

P. David


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