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par le Dr Raymond Vergès

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Les cabris sous haute surveillance

Fêtes tamoules : 650 boucs prêts au sacrifice

mercredi 27 décembre 2006


À l’approche des fêtes sacrificielles tamoules, l’association des éleveurs de cabri boer qu’anime Eric Soundrom, défenseur des petits et moyens éleveurs et planteurs de l’île, interpelle les autorités locales. Dans l’intérêt d’un élevage très particulier à La Réunion et encore peu organisé, l’association demande des mesures sanitaires d’urgence et une réunion de tous les acteurs de la filière.


La filière caprine est encore peu organisée à La Réunion et il y a à cela différentes causes. C’est l’occasion d’en faire un “cas d’école” et de montrer ce que pourrait faire une organisation réunionnaise, adossée à la réglementation européenne et à ses dispositions spécifiques pour les RUP (article 330 du Traité d’Amsterdam), soucieuse d’un développement de la filière comme des coutumes et pratiques rituelles qui s’y attachent. « L’abattage des boucs pour les cérémonies religieuses représente près de 80% des ventes pour les éleveurs caprins », précise le Secrétaire de l’ADPECR (Association départementale pour la promotion et l’élevage du cabri boer à La Réunion), Eric Soundrom.

Il ne s’agit pas tant de défendre des pratiques religieuses que de constater qu’elles sont profondément ancrées dans le tissu social et qu’elles représentent une activité économique qui, en raison de cet ancrage même, devrait pouvoir prospérer.

Selon les chiffres connus, l’élevage caprin porterait à La Réunion sur moins de 20.000 têtes, détenues pour 43% d’entre elles par des particuliers ou des tout petits propriétaires de moins de 10 têtes. Souvent des érémistes dans ce dernier cas, qui élèvent des cabris pour un temple, une association ou une famille pratiquant la religion tamoule, spécifiquement en vue des sacrifices de cette période de l’année.

Il y aurait par ailleurs 25 éleveurs recensés comme “très gros”, propriétaires d’une centaine de chèvres-mères et 260 petits et moyens éleveurs dont les troupeaux sont de 25 à 40 têtes. Au total, guère plus d’un millier d’éleveurs à 80% inorganisés, incontrôlés et désireux de le rester. Nous verrons plus loin pourquoi (voir ”élevage de diversification”).

Le groupe des petits éleveurs est numériquement 3 fois moins important que cette majorité silencieuse et inorganisée, mais sa force est d’être organisé justement et de faire à peu près jeu égal, en termes de têtes de cabris, avec les 80% d’éleveurs dispersés. C’est donc un interlocuteur de poids pour la filière.

Eric Soundrom et des membres de l’ADPECR ont alerté hier matin les autorités, dans une conférence de presse tenue à Saint-André. Les éleveurs s’interrogent sur « la position des autorités quant à l’application de la nouvelle réglementation qui impose l’identification des caprins ainsi que l’obligation de transporter les animaux dans des camions aménagés ».
Des gendarmes zélés arrêtent sur le bord des routes les livreurs de cabris et verbalisent à tour de bras (voir encadré 1).

Le sens de l’interpellation de l’ADPECR est de dire aux autorités : au lieu de verbaliser les éleveurs, contrôlez dans l’urgence la collecte des déchets des 650 boucs qui vont être sacrifiés entre le 1er et le 4 janvier 2007.
L’application des normes européennes ne peut se faire que dans une certaine durée (voir encadré 3) . L’urgence, ce sont les dispositions sanitaires prises pour qu’on ne retrouve pas, comme la dernière fois, des têtes de cabris, des kilos de tripes et de peau dans les ravines de l’Est (voir encadré 2) .
Les éleveurs seront-ils entendus ?

P. David


1. Entre-Deux : pas de moratoire pour la gendarmerie

La nouvelle réglementation européenne impose depuis le 1er janvier 2006 à La Réunion que tous les ovins et caprins soient identifiés : port de boucles auriculaires et inscription sur un registre d’élevage.
Tout animal non identifié peut être abattu par les services vétérinaires avec une forte amende pour le propriétaire. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’abattage, mais des interpellations pour “BNI” (Bouc non identifié). Des camions transportant des boucs non bouclés ont eu des amendes de 750 euros.

A l’Entre-Deux, l’ADPECR rapporte le cas d’une femme qui a vendu des cabris. Le jour où le client est venu prendre livraison, il s’est fait arrêter sur la route parce que son camion n’était pas homologué. Puis les gendarmes sont allés voir l’élevage et ont dressé un procès-verbal de non-identification : 750 euros. « La prochaine fois, c’est l’abattage des cabris », ont-ils dit à l’éleveuse en partant.

C’est un exemple typique d’application aveugle des normes européennes. En continuant sur cette lancée, il ne faudra pas longtemps à la gendarmerie pour mettre à bas la filière. L’ADPECR demande un moratoire de 5 ans pour organiser la filière en concertation avec tous.


2. Des mesures sanitaires urgentes

L’ADPECR a noté au début de cette année une vague de protestations d’associations “emplois verts” qui dénonçaient les peaux de cabris et autres déchets carnés retrouvés sur les bords de ravines et des berges de Champ Borne, après les fêtes religieuses. Elle note aussi qu’il n’existe aucune structure capable d’accueillir ce type de déchets dans le Nord-Est, contrairement au Sud avec le centre d’enfouissement. « Face à cette situation, on ne peut pas accabler ces personnes qui n’ont aucun endroit pour se débarrasser des restes des animaux, sauf à faire 300 km pour aller au centre d’enfouissement de Saint-Louis », commente Eric Soundrom.

Au-delà de ce constat, l’ADPECR propose que, du 2 au 4 janvier, les municipalités concernées (Sainte-Suzanne et Saint-André) mettent à disposition des pratiquants de temples une benne à déchets carnés du GDSBR (Groupement de défense sanitaire du bétail de La Réunion) comme font les communes de la CIVIS lors des fêtes musulmanes.


3. Les craintes des éleveurs devant les normes européennes

Le problème posé vient rappeler la spécificité de l’élevage caprin réunionnais par rapport aux règles européennes. Pour l’ADPECR, « l’article 330 du Traité d’Amsterdam (...) doit également prendre en compte nos coutumes et aspects religieux ».

Après des rencontres successives avec le Cabinet du ministre de l’Agriculture et le directeur de l’Agriculture et de la forêt, l’ADPECR sollicite une table ronde de l’ensemble des partenaires de la filière « pour fixer des règles qui tiennent compte des normes européennes mais surtout de nos spécificités locales ».

Pougary Jean-Bernard est un petit éleveur de Trois-Bassins, à la tête d’un cheptel d’une trentaine de bêtes en voie d’identification. Les problèmes d’identification, il les connaît bien : 2 euros la paire de boucles, 6 mois de délai entre la commande (en France) et la livraison, et un registre d’élevage « pas encore opérationnel », dit-il. On lui demande aussi d’homologuer son transport, soit 1.500 euros supplémentaires. Il s’agit bien sûr d’investissements, mais les petits éleveurs n’ont pas forcément une marge suffisante pour cela. Et ils craignent fortement que des sanctions prises à l’aveuglette ne les privent de certaines aides européennes. D’autre part, l’application de ces normes - telles qu’elles ont été conçues - ne les aide en rien à consolider la filière. Ce serait même plutôt l’inverse.

Une filière à consolider

De son côté, Eric Soundrom explique « l’inadaptation du système européen à l’élevage caprin réunionnais ».
« Si les éleveurs de caprins ne sont pas organisés, c’est parce que les débouchés vers la grande distribution ne sont pas présents. Ils préfèrent écouler leur produit de façon informelle, vers les sacrifices d’animaux, sachant que les importateurs font venir pour la consommation de la viande de Nouvelle-Zélande et d’Australie. Et donc, les éleveurs ne trouvent pas leur intérêt dans ce système organisé par Bruxelles. C’est vrai que la traçabilité apporte quelque chose d’important, en rassurant sur la provenance d’un produit carné. Mais il faudrait un moratoire. Le cabri est un animal fragile. On l’a vu avec un exemple récent : au premier coup dur, un élevage peut sombrer. Il faudrait vraiment se donner le temps de conforter la filière, telle qu’elle existe, avec ses spécificités. Or, le système européen pousse à la spécialisation des éleveurs, ce qui n’est pas adapté à La Réunion ».

Un élevage de diversification

Les nouvelles mesures, surtout si elles sont appliquées brutalement, vont conduire à la disparition des petits éleveurs qui élevaient une dizaine de cabris par an pour avoir un revenu de diversification.
Les plus petits, parmi les éleveurs de cabris, sont des érémistes qui complètent leurs revenus en élevant quelques têtes. Ceux-là n’ont aucune envie de figurer sur un registre d’élevage, par crainte du “retour de bâton” fiscal. Ils ont vu comment les autorités ont traité les érémistes-coupeurs de canne privés de l’allocation minimale sociale dès qu’ils atteignaient la plus petite marche au-dessus du minimum...

P. D


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