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La philo pour décoloniser La Réunion ?

Billet philosophique

vendredi 12 février 2010, par Roger Orlu

Lundi dernier, "Témoignages" a souligné l’importance de l’événement qui s’était déroulé trois jours avant à la Région, où un public très nombreux est venu participer à la conférence-débat organisée par la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise (MCUR) avec une historienne française de renom, spécialiste de l’Histoire africaine. Entourée de Radjah Véloupoulé et de Françoise Vergès, Catherine Coquery-Vidrovitch a fait un exposé passionnant sur "l’Afrique au cœur des mondialisations dans l’histoire", au cours duquel furent notamment rappelés les drames et les souffrances vécus par les peuples du continent voisin durant l’esclavage et la colonisation.
Durant le riche débat qui a suivi, l’historienne a déclaré que « l’idéologie coloniale reste très forte en France », que « le racisme fait partie de l’idéologie coloniale » et que « la transmission du mépris des esclaves a laissé des traces jusqu’à aujourd’hui dans les anciennes colonies ». Elle a ajouté que « nous devons débarrasser nos sociétés de tous les préjugés coloniaux accumulés pendant des siècles ».

Des propos exacts

Comme le disait "Témoignages", nous vérifions hélas tous les jours aujourd’hui à La Réunion l’exactitude de ces propos d’une scientifique et universitaire émérite. En effet, le mépris néo-colonial et les discriminations ethno-socio-culturelles dont est victime le peuple réunionnais depuis sa naissance il y a trois siècles et demi sont toujours là.
Avec raison, Catherine Coquery-Vidrovitch a également souligné qu’« il y a toujours eu des complices du colonialisme dans les pays africains. De même qu’en France, durant l’occupation nazie, il y avait d’un côté des pétainistes collaborateurs de l’occupant et de l’autre des résistants ». À La Réunion, 64 ans après l’abolition du statut colonial, n’y a-t-il pas toujours des responsables politiques et administratifs qui ont comme priorité de combattre les Réunionnais ayant toujours lutté pour la liberté et l’égalité dans leur pays ?

Qu’en pensent nos philosophes ?

Cette question de "Témoignages" concerne-t-elle la philosophie et les personnes qui sont porteuses de cette science humaine à La Réunion ? Autrement dit, peut-on enseigner la philosophie et essayer de philosopher dans notre île en étant indifférent au système socio-économique, culturel, médiatique, judiciaire et politique hérité de la colonisation ou en cautionnant ce système ?
Le mode de production, de consommation, de commercialisation et de financiarisation dirigé par la classe sociale dominante à La Réunion a-t-il pour objectif de permettre à cette catégorie de personnes d’accumuler le maximum de profit ou bien de partager les revenus de façon équitable et de respecter les droits fondamentaux de tous les Réunionnais ? Quand on connaît le taux de chômage dans l’île, le nombre de foyers privés du droit au logement, le nombre d’illettrés et d’autres abandonnés, on connaît la réponse à cette question.
Et l’on sait que les Réunionnais qui ont consacré leur vie à lutter contre ce système pour permettre à leur peuple de construire un développement durable ont été systématiquement combattus par les politiques et les journalistes de la classe sociale dominante, mais aussi réprimés abusivement par l’appareil judiciaire au service de cette classe néo-coloniale. Qu’en pensent nos philosophes ?

Faire vivre l’esprit de Socrate

Dans le N° 106 de la revue "Manière de Voir" éditée par "Le Monde Diplomatique" (août – septembre 2009), un journaliste présente en quelques mots celui qui est considéré comme le "père de la philosophie occidentale", Socrate. Né à Athènes en Grèce en 470 avant Jésus-Christ, ce grand penseur a été condamné à mort à 71 ans à cause de l’opposition de l’aristocratie à sa pratique philosophique.
« La recherche de Socrate est celle du bonheur » et « il le met dans la découverte du Bien que chacun porte en soi et qu’il s’agit de faire éclore au travers de la discussion et du dialogue ». Ce faisant, il s’opposa aux « maîtres de la parole » de l’époque, les sophistes, qui enseignaient à Athènes, « moyennant finance, l’éloquence, les procédés de persuasion et l’art de gouverner », leur but étant « d’amener les hommes au bonheur par la puissance ».
En cultivant son esprit critique, Socrate va « mettre en question ce que chacun tient pour juste, et passer les certitudes, les valeurs et les croyances qui forment le ciment de la cité au crible de l’examen critique, afin d’amener l’homme sur les chemins de la vérité, qu’il s’agit de découvrir en soi-même, en reconnaissant sa propre ignorance ».
Et le journaliste de conclure :
« Socrate élabore une méthode fondée sur la quête perpétuelle du savoir, refusant de réduire le droit au fait et la vérité à la réussite. Une telle démarche ne pouvait manquer de susciter l’hostilité des puissants, qui obtinrent sa mise à mort ».
Les philosophes à La Réunion peuvent-ils continuer à faire vivre l’esprit de Socrate en participant au travail collectif du peuple réunionnais en vue d’achever la décolonisation de La Réunion ?

Roger Orlu

* Merci d’envoyer vos critiques, remarques et contributions afin que nous philosophions ensemble… ! temoignages@wanadoo.fr


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