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Le petit palmier jaune (Moina m’nadzi dzizano) (4)

Mayotte

vendredi 24 juillet 2015, par Jean-Baptiste Kiya

« Que fais-tu ?, finit par dire une fillette mécontente. Le vent pour le faire descendre ? C’est pas par là qu’il faut souffler !
- Non, petite fille, je cherche le souffle pour faire sortir les mots. Fffff… Fffff… Dans un village où tout est utile, il n’est pas sûr que parler soit la chose la plus utile. Fffff… »

Le premier mot que ces petits enfants dirent, en pointant le lâche, c’est « jouer ». « U-teza », ce mot fleuri-fluide, qui commence par une impulsion et qui s’achève en s’ouvrant, bouche béee, yeux écarquillés. Et ce mot-là leur donna l’envie de parler aux arbres, au ciel, au soleil. Il leur donna l’envie d’aller voir plus loin avec la parole. Car la parole est un œil qui voit plus loin que l’œil, plus un jouet qu’un instrument pour dominer.
Le Moilimu avait compris que pour que les enfants puissent parler, autant fallait-il les écouter : peut-on demander à quelqu’un de parler si on ne l’écoute pas ? Dans ce monde d’adultes, les petits avaient senti qu’ils n’avaient pas de place.
Le sage comprit en les observant que les petits enfants voulaient rester bébés et qu’ils ne voulaient pas quitter – non pas leurs jouets - mais leurs jeux.

Et quand les parents revinrent lui demander : « Alors ? »
Il répondit : « Vous êtes comme ces commerçants qui n’ont pas de patente et qui vendent des marchandises volées…
- Arrête de nous insulter, Moilimu !
- Sois clair pour une fois !
Le sage rétorqua : - C’est plutôt vous qui obscurcissez le ciel. Yo dé yi goin be y gnombe ya dé nouma : Ce n’est que la corde, mais le zébu est derrière, loin derrière. Vos enfants ne veulent pas parler pour la simple raison que vous ne les écoutez pas. Ne cherchez pas à obtenir des autres ce que vous n’êtes pas près à accorder vous-mêmes.
Déjà ils voient leurs grandes sœurs et leurs grands frères partir à la plage laver les assiettes et les marmites, récurer le sol à la noix de coco, faire du tissage de feuilles de palmier, participer aux travaux des champs, en plus de l’école… Laissez-les grandir, et vous les verrez parler.
Uendra mbiyo uendra, uendra vole uendra : Qui va vite arrive, qui va doucement arrive aussi… Mais la vraie question est la suivante, souvenez-vous-en : peut-on être trop gentil avec les enfants ou ne s’occupe-t-on pas assez d’eux ? C’est ça qu’il faut savoir. ».

Depuis, on n’entend plus de pleurs de bébés dans le village, et le petit palmier jaune de la place à palabres est devenu m’nadzi bilé, un grand palmier vert. La parole du village s’en trouva grandie.

À Anne-Lise, affectueusement.


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