Témoignages - Journal fondé le 5 mai 1944
par le Dr Raymond Vergès

Cliquez et soutenez la candidature des Chagossiens au Prix Nobel de la Paix

Accueil > Chroniques > Libres propos

Quand nous les voyons tomber comme des mouches vers lesquelles la foule qu’on croyait soumise et endormie vient de « balancer quelques gros coups de Baygon ou de Tupic »…

lundi 28 février 2011

Occupé à aider deux amis qui souhaitent « voir plus clair » dans quelque chose qui les concerne dans le champ de leurs activités professionnelles respectives, chacun en des lieux différents et pour des histoires qui n’ont rien à voir ensemble, occupé également à épauler mon vieux bonhomme de père qui, à 93 ans, oublie qu’il n’est peut-être plus aussi robuste qu’avant, je me suis senti, à l’heure d’écrire mon “Libres propos” d’aujourd’hui, quelque peu démuni. C’est que je n’ai pas beaucoup suivi l’actualité ces jours derniers.

Je m’apprêtais à me poser certaines questions, de celles qui nous démangent tous quand ces temps derniers, comme des mouches vers lesquelles la foule qu’on croyait soumise et endormie vient de « balancer quelques gros coups de Baygon ou de Tupic », nous avons vu tomber certaines de ces dictatures dont le premier des points communs est qu’elles sont sous la poigne d’un personnage de culture arabe. Et bien souvent, juste derrière ledit personnage, la famille au complet et en complets d’apparat, tenant la laisse et le fouet. Je me disais qu’il a suffi qu’en Tunisie, un jeune s’immole par le feu… parce qu’il n’en pouvait plus d’être allé à l’école, puis à la Fac, d’en être sorti avec tous les diplômes que l’on peut espérer… parce qu’il n’en pouvait plus de se voir refoulé et maltraité là où il se présentait pour pouvoir travailler dans une Administration de ce pays qui est, il ne voulait surtout pas l’oublier, celui de ses ancêtres et de ses parents, de ce pays qui est donc le sien et qui sera demain celui des enfants qu’il aimerait bien avoir lui aussi avec la jeune fille dont il est amoureux… parce qu’il n’en pouvait plus, las de se voir également refuser la possibilité pour exister de vendre sur un étal au marché forain de son quartier quelques fruits et quelques légumes… Oui, il a suffi que ce jeune homme, humilié, rejeté, jeté comme s’il était un étranger sur la planète où il est pourtant né et sur la terre où il a grandi, exprime son désespoir de la plus grave — de la plus grande — des façons pour qu’un sentiment qui couvait explose. Et ça a explosé, de la plus grave et de la plus grande des façons…

Je m’apprêtais à me réjouir que ce ras-le-bol d’un peuple n’était point circonscrit à la seule Tunisie, que la capacité de renverser les dictatures était bien vivante dans d’autres pays encore. Car, reconnaissons-le, qui d’entre nous avait un seul instant, dans un tout récent passé, pensé une seule seconde que l’Egypte ou la Lybie étaient “renversables” ? Qui d’entre nous avait pensé que la salutaire contagion née à Tunis gagnerait aussitôt et aussi, dans la foulée et par ordre alphabétique, l’Algérie, l’Arabie saoudite, le Bahreïn, l’Irak, l’Iran, la Jordanie, le Maroc, la Mauritanie et le Yémen ?

Je m’apprêtais à vous confier que, participant à la place qui m’a été demandée par certains à la cérémonie de dénomination d’une « Rue » à Saint-Denis, je n’ai pu m’empêcher de penser alors que l’islam qui avait guidé les faits et gestes d’Issop Ravate n’avait rien à voir avec les vociférations criminelles de Mouammar Kadhafi ou la fuite honteuse de Ben Ali et de son clan immédiat. Je me suis confié à des amis de confession musulmane, qu’ils s’appellent Gangate, Locate et autres. Même analyse : ça devait arriver… Même soupir : il est temps que cela soit arrivé… Même interrogation : que va-t-il maintenant se passer ?

J’en étais là de mes réflexions, de ces réflexions que vous ne désirez pas partager et encore moins étaler, car elles ont fait l’objet, ici et là, de larges et compétents débats. Ces réflexions, elles vous appartiennent, elles sont en vous, dans votre tête et parfois votre cœur. J’en étais là quand, hier dimanche, me tombait sous les yeux un bel article du “JIR” signé Philippe Madubost. Avec les précautions de style qui s’imposent, le journaliste rend compte d’un événement autour duquel un épais silence s’était bâti alors qu’il est loin d’être anodin : la démission du géographe René Robert, l’ancien directeur scientifique du dossier visant, avec le succès qu’on a vu, l’inscription de La Réunion au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Avec une grande sobriété, celui que j’ai eu le plaisir d’avoir comme professeur d’Histoire-Géographie en classes terminales au Lycée Leconte de Lisle au milieu des années 1960 explique : « Je suis quelqu’un d’entier. Ou on va dans un schéma, ou on n’y va pas… J’ai ressenti la nécessité de tourner la page. Ce qui m’intéresse, c’est construire  ».

« Ce qui m’intéresse, c’est construire ! ». René Robert n’en dira pas plus. Pas beaucoup plus. Car tout y est, en tout cas l’essentiel pour que l’on comprenne parfaitement. Il finira pas ajouter que « Fêter la victoire, c’est bien, mais après ? ».

Et là, je crois avoir compris. Je comprends que, comme pour quelques autres beaux et essentiels dossiers qui étaient en phase de convaincre ou qui ont abouti, il va falloir se rendre à l’évidence : ceux qui ont succédé aux charges avec mission de peser de tout leur poids pour que l’on ne dilapide pas l’héritage, ceux-là ne sont pas à la hauteur. Et sans doute a-t-il raison ce salarié quand, parlant de René Robert, il glisse à Philippe Madubost, sur le ton de la confidence, que « peut-être devenait-il trop embarrassant pour certaines personnes… On a mis le label dans une vitrine et moi avec ». Car, au Parc, le départ de René Robert a été mal vécu. Pas sûr que ce soit seulement au Parc…

Raymond Lauret


Un message, un commentaire ?

signaler contenu


Facebook Twitter Linkedin Google plus