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par le Dr Raymond Vergès

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« Si ça te dérange et si ça te scandalise, t’es pas obligé de faire comme nous !... ». J’ai alors retrouvé et relu un petit poème de l’Abbé Pierre…

lundi 26 décembre 2011

Même si, comme une grande part des Réunionnais, vous avez eu ces jours derniers à vous rendre vous aussi dans une des « grandes surfaces » du coin où vous habitez, il n’est point impossible que vous en êtes ressorti assez catastrophé par la fièvre acheteuse qui nous gagne, nous et nos compatriotes, en ces périodes de fêtes. Avouons le : nous sommes sous la coupe d’un monde qui a inventé la folie des achats et qui s’est organisé pour imposer aux humains le besoin irréfléchi de consommer ce qu’ils voient, et donc le réflexe d’acheter ces « n’importe quoi » qui sont sous nos yeux. C’est, pour beaucoup d’entre nous, une façon de paraître. D’autres diront qu’il s’agit de vivre avec son temps, et que « si ça te dérange et si ça te scandalise, t’es pas obligé de faire comme nous !... ».
On peut alors ne pas être très fier de soi. N’avons-nous pas, nous aussi, succombé à ce courant magnétique qui vous attire et vous colle à une force invisible qu’on peut qualifier d’ « irrésistible besoin de dépenser »  ? N’avons-nous pas nous aussi subi la loi de ces produits qui nous paraissent finalement pas si chers que cela, quand on se fait piéger à les prendre un par un, et l’un après l’autre ? Ça nous dérangeait, ça nous scandalisait d’être des jouets dans les mains et les mâchoires d’un capitalisme qui a réussi au-delà de toutes ses plus fortes espérances puisque même les plus modestes porte-monnaie y succombent ! Et pourtant, nous avons suivi le mouvement, comme de bons moutons de Panurge…
Nous sommes d’autant moins fiers de nous que nous avons lu dans le même temps, et cela nous avait fait bondir, que le type du Qatar qui, depuis sa capitale Doha, tire les ficelles financières du PSG qu’il a racheté il y a quelques mois, est entrain de faire signer David Beckham pour un salaire qui scandalise plus d’un. Ouvrons grand nos yeux : 200.000 euros par semaine ! Nous avions lu l’édito et la “Tribune libre” que Yves Montrouge et Jean-Max Hoarau avaient ces derniers jours écrits respectivement dans le “JIR” et dans “Témoignages” à ce propos. Car 200.000 euros multipliés par 4 semaines et par 12 mois, c’est du 800.000 euros par mois et du 9.600.000 par an. Et, sans avoir à le plaindre avec tout le fric (100.000 euros par mois) qu’ Antoine Kombouaré a déjà amassé grâce au foot et à ses talents de meneur d’hommes, nous nous étions dit qu’en virant le Néo-Calédonien du poste d’entraîneur du PSG pour le remplacer par un italien qui, avec le montant faramineux de son dernier contrat de coach à Chelsea, payait plus de 6.000.000 d’euros d’impôts annuels, le gros richard qatarien jouait avec le feu : les supporteurs du club phare de Paris aiment toujours bien leur copain d’une île française du Pacifique qui va donc être viré de la capitale alors qu’il leur amène le titre de champion d’automne de Ligue 1. Quelle pourrait être leur réaction ? Du coup, j’ai vachement envie qu’ils foutent le bordel aux abords du Parc des Princes. Je sens que, pour une fois, j’applaudirais sûrement au trouble porté à l’ordre public…
La folie de balancer de l’argent par les fenêtres ne semble pas nous gêner, alors qu’autour de nous, derrière notre porte et partout ailleurs dans le monde, des peuples entiers vivent dans une immense misère. En cette période où, historiquement, nous célébrons la naissance du Christ, il est tout de même rageant de constater que c’est l’orgie de la consommation qui a pris le dessus. Et je ne peux m’empêcher de penser à cet homme que je considère comme un vieil ami, alors que je ne l’ai vu que deux fois ou trois, le Père Bergeron, curé de l’Assomption qui, lors de son homélie pour la messe de Noël 2010, demandait à ses ouailles si le Messie, « au lieu de l’étable des pauvres bergers d‘il y a plus de 2000 ans, aurait aimé se retrouver dans une de nos maisons pour y venir au monde s’il avait choisi de naître aujourd’hui ». Et de préciser : « Dans une de nos maisons, avec nos frigos pleins à craquer… ».
Nous étions ce samedi 24 décembre, aux premières lueurs du matin, quand j’ai ouvert un livre que je garde à portée de la main. J’y ai retrouvé ces lignes écrites par un certain monsieur, il y a quelques années déjà : « Cités géantes où règnent les forts, où pleurent les inconnus… Cités folles suréquipées au cœur des mondes manquant de tout, terres insensées qui n’êtes plus terres… Lieux où l’homme ne sait plus ce qu’est l’homme… Cités géantes, cités folles, qui vous rendra vos étoiles ? Toutes vos lueurs ensorcelées les ont tuées… Sachez parfois tout éteindre pour que revivent les étoiles »… L’Abbé Pierre était épuisé ce soir-là. Sa plume a su nous dire ce que nous n’entendons plus. Pour que, peut-être, nous entendrons un jour.
J’ai pris alors la route de Saint-Paul, direction son Front de Mer, là où se tient ce rendez-vous de chaque fin de semaine, rendez vous tellement vivant, tellement animé, tellement vrai qu’on y sent planer l’odeur de la terre de nos paysans, qu’on y voit se répandre la splendeur des fruits de nos vergers, qu’on y rencontre des hommes simples, des battants au grand cœur, ces hommes et ces battants qui savent ce que veut dire se lever tôt après s’être couchés tard, parce que le travail de la terre est un privilège et que tout privilège se mérite et se gagne à la sueur de son front.
Je suis allé remplir ma grande tente d’ananas et de pastèques, de melons et de bananes, d’une botte de thym, de quelques têtes d’ail et d’un filet d’oignons. Et de quelques autres produits de notre terroir.
Juste à l’arrière des marchands de poissons et de viandes fraiches, mon bel océan Indien m’offrait à perte de vue la plus reposante des veillées de Noël. J’aurais pu fermer les yeux et voir alors les mille étoiles qui, toujours, éclairent mon pays et son peuple. Parfois à leur insu.
Je vous le dis, amis : c’est réconfortant, un jour de Nativité, quand on se retrouve au marché forain de son quartier.

Raymond Lauret


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