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par le Dr Raymond Vergès

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La France peut-elle se rattraper ?

mercredi 21 décembre 2011

Soyons soft : la rencontre du G20, le mois dernier, à Cannes, n’a débouché sur rien. La responsabilité française est totale. Elle présidait aux destinées du groupe depuis un an. On ne laisse pas échapper une telle opportunité de marquer l’Histoire des Peuples. La France n’a pas su proposer au monde une alternative.

Pourtant, le contexte était favorable. Citons quelques repères : l’appel des Peuples à la Liberté, l’Égalité et la Fraternité ; l’annonce des 7 milliards d’humains ; la Conférence de Durban sur les changements climatiques du 28 nov-9 déc ; les (OMD) Objectifs du Millénaire 2000- 2015 ; la gouvernance mondiale.

Pourquoi la France a-t-elle été incapable de dégager une perspective historique, la mettre en débat et rassembler ses pairs ?

Le mouvement intellectuel et politique français, en grande partie, est toujours imprégné par une mentalité héritée de 5 siècles de colonisation du monde et nourrie par une tentative d’assimilation outrancière. Dès lors, il a une piètre idée des changements profonds qui s’opèrent dans le monde et il n’en tire aucune projection. Il est toujours victime d’une vision européocentriste et métropoliste des rapports aux autres. À travers ce prisme déformant, la perception du monde est erronée.

En effet, nous participons à un phénomène d’intégration et de globalisation de l’économie à l’échelle planétaire qui phagocyte les Nations. Il structure une nouvelle division de travail qui prendra au moins un siècle avant de trouver une certaine stabilité, si on en juge selon l’histoire de la période qui s’achève qui a vu se concrétiser l’intégration au niveau national.

Le phénomène s’est accéléré depuis 1994, à une rencontre à Marrakech, où les pays présents ont entériné la fin des frontières commerciales. La Russie vient juste d’obtenir son adhésion à l’OMC pour 1er janvier 2012. Tout le monde se cherche une place. Si le soleil se lève POUR TOUS, la prospérité et la paix POUR TOUS dépendent d’une gouvernance mondiale au destin partagé et assumé.

C’est une erreur intellectuelle et politique « d’européaniser la crise » et d’accepter l’idée que l’Europe a les moyens de s’en sortir seule. Venant du G20, l’idée relève soit de la flatterie, soit du cynisme. Venant des Européens, c’est de l’inconscience.

Nous voyons bien des nations européennes solliciter les pays qu’elles ont anciennement pillés afin que ces derniers leur viennent en aide. C’est une réalité du renversement de l’ordre ancien. Dès lors, comment nos pays en difficulté pourront-ils assumer les Objectifs du Millénaire (OMD) ou bien contribuer de manière décisive à nourrir et ménager une place pour 7 milliards d’humains sur la planète ?
L’opposition française à l’adhésion de l’État palestinien à l’ONU en novembre 2011 relève de cette mentalité européocentriste où l’appel à la liberté des peuples arabes et l’histoire de l’occupation française ne servent pas de leçons.

Le débat ouvert à l’occasion des élections présidentielles saura-t-il surmonter ce passé résiduel et exécrable ?

Le peuple français a souhaité l’alternance en 1981. Non satisfait, il a imposé la cohabitation qui n’était revendiquée par personne. Toujours déçu, il a fini par renvoyer les partis à mieux se pourvoir en 2001 : le candidat PS dut laisser la place au candidat du Front National au deuxième tour de la présidentielle. Le message était clair : il faut changer le régime politique en vigueur et qui ne colle plus avec le vécu quotidien des citoyens.

La menace sitôt écartée, le sursaut républicain s’est fourvoyé dans le repli des confrontations partisanes alors qu’il aurait dû déboucher sur un gouvernement de coalition dans le but de préparer une constitution moderne. Au lieu d’un nouveau souffle, pour sceller cet acte de réconciliation, le nouvel exécutif imposa à 82% d’un électorat, qui a réagi de manière responsable, le programme d’un parti minoritaire. Dix ans après, en 2011, le spectre de la menace s’est accentué.

Chez les voisins européens, les crises successives ont eu raison des divisions séculaires. Un nouveau régime politique a été nécessaire, pour tenter de prendre en compte les conséquences sociales issues de la mutation du nouveau monde.

Les partis français sont-ils prêts à affronter cette déchirante réalité ?

Lors des présidentielles de 2007, l’Alliance des Réunionnais a proposé une démarche inédite d’interpellation des candidats en lice. Un projet de programme leur fut soumis : tous ont reconnu l’exemplarité de l’initiative ainsi que le sérieux du contenu. L’engagement des 2 finalistes donnait l’espoir aux Réunionnais que, quelle qu’en soit l’issue, les projets auraient bien été réalisés, au bénéfice de TOUS. L’esprit consensuel ne remet nullement en cause les convictions profondes spécifiques ; bien au contraire, c’est une ouverture à la responsabilité réciproque ainsi qu’un saut qualitatif du « dépassement de soi et d’union sur l’essentiel ».

Sitôt élu, le nouvel exécutif, issu de ces élections de 2007, nia ses engagements écrits et publics : un vulgaire marchand de paroles.

Comme en réponse, les évènements du LKP en Guadeloupe ou du COSPAR à La Réunion, ainsi que ceux en cours à Mayotte, soulèvent le manque de maturité politique des partis français devant ce monde en profonde mutation. Il existe un retard considérable à comprendre et à se re-situer rapidement.

En tout cas, c’est l’explication que l’on peut avancer devant l’attitude de la direction du PS envers le PCR, lors des « primaires citoyennes ». Pourtant, au lendemain de ces évènements sociaux, le PS avait semblé tirer des enseignements de ses faiblesses à comprendre les peuples d’outre-mer et leurs partis politiques légitimes qui réclament : Égalité et Respect. Une commission spéciale avait même été créée.

Soyons nets. Ni les Trente Glorieuses, ni l’alternance, ni la cohabitation, n’ont été à la hauteur des défis des peuples d’outre-mer, pointes avancées du monde en mutation. Nos aînés voulaient sortir de la misère. Ils n’étaient pas nombreux. À la place du développement, il leur fut imposé une zone de libre-échange ultralibérale où la concurrence libre et non faussée entre une puissante économie développée et des économies sortant à peine du statut colonial a renforcé l’exclusivité du monopole colonial et la destruction du fragile tissu des entreprises autochtones. Conséquence : plus de 70% de nos échanges se font aujourd’hui avec la France et quelques autres pays européens, souvent à travers de filiales décentralisées d’entreprises mères, contrôlant ainsi de bout en bout la chaîne de formation de prix, la distribution de la valeur ajoutée et le devenir des travailleurs. Les échanges régionaux ne représentent même pas 5% du total de nos échanges.

Sauf à maintenir l’héritage résiduel et son réseau de domination, à quoi rime d’importer à La Réunion des marchandises provenant de 10.000km alors qu’on peut les avoir tout près pour 3 fois moins chères ? Nous pouvons même les produire ensemble, au cœur d’une zone de codéveloppement, sur la base de la règle « gagnant-gagnant ».

L’insertion de notre île dans notre milieu naturel géographique est un principe valable partout.

L’insertion de la France dans son espace naturel a donné naissance à l’Union européenne. De ce fait, La Guyane est intégrée à l’Europe séparée de 5 fuseaux horaires mais tourne le dos à son voisin, le Brésil, avec qui elle partage plus de 700km de frontière commune ! C’est une commissaire européenne qui a négocié pendant des années et signé des (APE) Accords de Partenariats Économiques avec les voisins de La Réunion. D’où vient cette culture du déni de la réalité géographique et du mépris des dirigeants politiques légitimes ? Récemment, c’est un fonctionnaire français qui prend le drapeau officiel des jeux de l’océan Indien et le remet sur le tarmac de l’aéroport, à un élu réunionnais, qui l’accepte, en toute indignité.

Le nouvel exécutif qui sortira des urnes en 2012 devra prendre conscience de ces aberrations d’une époque révolue. Pour cela, il devra se libérer d’un système de pensée désuet, à l’heure où « le monde est devenu un village », où « la maison commune » parle à tous les peuples de la planète en danger. Il faut en finir avec le « métropolisme » qui justifie tous les abus vis-à-vis du « local ». L’heure de la RESPONSABILITÉ et du RESPECT a sonné pour TOUS.

C’est à l’aune des décisions concernant nos pays qu’on mesurera si la France a su prendre le chemin de l’avenir des Peuples ou, sinon, elle reste arcbouter sur son héritage résiduel. Après l’échec du G20, la France peut signifier au monde entier un message audacieux, cohérent et partenarial, en donnant, enfin, du sens à la Liberté, l’Égalité et la Fraternité.

L’alternance, sans alternative historique :
la France est vouée à la reproduction perpétuelle
de l’échec et la déception.

Faisons de la Liberté, l’Égalité et la Fraternité entre les peuples,
l’objet de la première délibération de la nouvelle mandature !

Ary Yee Chong Tchi Kan


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