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« Lettre ouverte aux parlementaires de La Réunion »

Tribune libre du Professeur André Oraison

lundi 1er juillet 2013


L’accord-cadre franco-mauricien relatif à la cogestion du récif de Tromelin, signé à Port-Louis le 7 juin 2010, ne doit pas être ratifié en l’état.


Rappelons brièvement les faits : un « accord-cadre » franco-mauricien concernant l’île de Tromelin a été signé à Port Louis le lundi 7 juin 2010 par Alain JOYANDET, secrétaire d’État français à la Coopération, et Arvin BOOLELL, ministre mauricien des Affaires étrangères. Complété par deux annexes techniques qui définissent les limites extérieures des espaces maritimes du récif couverts par l’accord et par trois conventions d’application, ce traité est de prime abord novateur dans la mesure où il établit une coopération originale en droit international sous la forme d’une « cogestion économique, scientifique et environnementale relative à l’île de Tromelin et à ses espaces maritimes environnants » (1).

Pourtant, force est d’admettre que ces engagements internationaux — élaborés, comme on est en droit de le supposer, après de longues et minutieuses tractations diplomatiques — ne sauraient, en l’état actuel des choses, être ratifiés par les Gouvernements de Paris et de Port Louis. Rédigés uniquement en français, ces quatre documents ne ressemblent en rien à de véritables instruments conventionnels que nous avons l’habitude de commenter dans des revues scientifiques mais plutôt à des ébauches ou à des brouillons.

Une centaine de coquilles ou fautes typographiques

L’accord-cadre franco-mauricien et ses conventions d’application contiennent, pêle-mêle, près d’une centaine de coquilles ou fautes typographiques, fautes de grammaire, fautes d’orthographe, fautes de ponctuation et d’accentuation, défauts de majuscules en début de phrase, oublis de mots dans certaines expressions scientifiques ou lacunes incompréhensibles, répétitions inutiles de mots ou d’expressions, formules pléonastiques ou clauses anachroniques, mal datées ou mal rédigées, erreurs ou contradictions enfin dans la terminologie de noms propres, d’organismes nationaux français et surtout d’institutions internationales qui devraient, en principe, être bien connues des diplomates chevronnés du Quai d’Orsay.

Certaines organisations intergouvernementales sont parfois indiquées d’une manière erronée ou approximative. Ainsi, dans l’article 12 de la convention d’application portant sur la cogestion des ressources halieutiques dans les espaces maritimes environnants de Tromelin, les Parties font allusion à la « Commission thonière de l’Océan indien » et à la « Commission de l’Océan indien » alors même qu’il s’agit plus vraisemblablement de la « Commission Thonière de l’Océan Indien » et de la « Commission de l’Océan Indien ». De même, dans le préambule de la convention d’application portant sur la cogestion de la recherche archéologique sur le récif de Tromelin, les Parties se réfèrent à l’ « Institut national de recherche archéologique préventive » alors qu’il s’agit, en réalité, de l’ « Institut National de Recherches Archéologiques Préventives » (INRAP). Les Parties mentionnent également le « Comité français pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage », une formule inappropriée ou inexacte et, de surcroît, aujourd’hui dépassée puisque que l’organisme en question est dénommé — appellation officielle donnée récemment par un décret en date du 6 mai 2013 — « Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage ».

« Sanctuaire océanique de la nature » ?

Les erreurs ou contradictions dans la terminologie de noms propres ne manquent pas également de surprendre, dès lors qu’elles sont nombreuses et plus ou moins importantes. Ainsi, dans l’annexe I à l’accord-cadre de Port Louis sur la cogestion économique, scientifique et environnementale relative à Tromelin, une carte est censée indiquer la position de l’écueil « Agalega » et de l’île de la « Réunion » alors qu’en langue française — seule langue employée par l’accord-cadre — « Agaléga » implique un accent aigu sur le “e” tandis que « Réunion » est une île inconnue. En vérité, il ne faut jamais dire « Réunion » en parlant de l’île des Mascareignes. Depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, « relative à l’organisation décentralisée de la République », qui introduit un article additionnel 72-3 dans la Charte fondamentale du 4 octobre 1958, il ne faut même plus évoquer « La Réunion » mais bien « La Réunion ». Dans la convention d’application portant sur la cogestion en matière environnementale relative à Tromelin, il ne faut pas mentionner « Johannesbourg » et « Kuala-Lumpur », respectivement inappropriés pour l’Afrique du Sud et la Malaisie, mais plutôt « Johannesburg » et « Kuala Lumpur ».

Des anachronismes

Parmi les omissions de termes exacts et décisifs dans certaines expressions scientifiques ou lacunes incompréhensibles qui s’apparentent à des étourderies grossières, citons tout particulièrement l’accord-cadre sur la cogestion économique, scientifique et environnementale relative à Tromelin. Dans son préambule, ce traité décrète que Tromelin est un « sanctuaire océanique de la nature ». Cette ténébreuse expression ne veut rien dire car elle sacrifie — probablement par inadvertance — un adjectif très important : n’importe quel étudiant en première année de la Faculté des Sciences de l’Université de La Réunion pourrait nous expliquer que Tromelin est, en réalité, un « sanctuaire océanique de la nature primitive ».

Parmi les clauses jugées anachroniques parce que très mal rédigées et qui sont, par conséquent, choquantes ou simplement déroutantes, citons une nouvelle fois — comme exemple probant — la convention d’application portant sur la cogestion de la recherche archéologique sur Tromelin. Son article 1er indique que les Parties « s’engagent à mette en place… une équipe scientifique franco-mauricienne dans le cadre de la troisième campagne de fouilles qui aura lieu en 2010 ». Or, cette campagne a effectivement été réalisée avec succès par d’éminents archéologues français du Groupe de Recherche en Archéologie Navale (GRAN) et, de surcroît, à la date prévue alors même que cette convention d’application n’est toujours pas entrée en vigueur, faute de ratification par la France et par Maurice à la date d’aujourd’hui. Pour ne pas prêter inutilement le flanc à la contestation, l’article 1er de cette convention d’application devrait être rédigé plus simplement, de la manière suivante : les Parties « s’engagent à mette en place … une équipe scientifique franco-mauricienne dans le cadre des prochaines campagnes de fouilles ».

Certes, il faut relativiser notre critique car l’erreur est humaine. Qui n’en commet pas ? Mais lorsque de nombreuses erreurs matérielles sont commises de bonne foi dans un traité diplomatique, il faut impérativement les corriger lorsqu’elles sont détectées, conformément à l’article 79 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités conclus entre États, une convention entrée en vigueur le 27 janvier 1980 et dont sont Parties — faut-il le souligner ? — la France et Maurice. À l’ « Errare humanum est », il faut en effet associer le « Perseverare diabolicum ». La sanction de l’erreur matérielle est toujours obligatoire même si cette erreur n’est pas, par nature, essentielle et déterminante du consentement censé avoir été donné car c’est une réalité manifeste : il est toujours diabolique de persévérer dans l’erreur.

Pas la « panacée politique et juridique »

En sa qualité de responsable de la gestion du récif de Tromelin et de ses espaces maritimes sur le plan administratif, le préfet des TAAF a été tout récemment informé de l’ensemble des imperfections hétéroclites que l’on peut détecter dans l’accord-cadre de Port Louis et dans ses trois conventions d’application. Par souci d’efficacité, nous avons demandé à ses services de Saint-Pierre de faire suivre ce dossier — un dossier qui se veut uniquement critique sur la forme — auprès des instances nationales compétentes et plus précisément auprès des ministères français des Outre-mer et des Affaires étrangères.

Cependant, on ne saurait en rester là. Outre les nombreuses maladresses formelles qui leur enlèvent une partie de leur crédibilité, ces instruments juridiques internationaux ne sont pas davantage parés de toutes les vertus quand on aborde leur contenu intrinsèque. Ils ne constituent pas la « panacée politique et juridique » pour régler le différend franco-mauricien sur le récif de Tromelin comme on a pu le lire trop hâtivement depuis 2010 dans la presse des Mascareignes. Fort peu diplomatiques sur la forme, ces traités qui intéressent au premier chef le premier département français de l’océan Indien soulèvent des objections de fond qui mériteraient d’être portées à la connaissance des députés et sénateurs de La Réunion (2). C’est dire que nous restons à la disposition des parlementaires qui souhaiteraient participer activement au débat sur la prochaine ratification de l’accord-cadre du 7 juin 2010 et de ses conventions d’application.

André Oraison, Professeur des Universités

Enseignant en Droit public à l’Université de La Réunion de 1967 à 2008

(1) A. Oraison, « À propos de l’idée de "cogestion" du récif de Tromelin par la France et Maurice : un vieux "serpent de mer" qui refait surface », “Témoignages”, jeudi 25 septembre 2008, pp. 10-11 ; L. Balmond, « Accord-cadre sur la cogestion économique, scientifique et environnementale relative à l’île de Tromelin et à ses espaces maritimes environnants, paraphe, 4 février 2010 », Chronique des faits internationaux, RGDIP, 2010/2, pp. 397-399 et F. Coulée, « Territoire. Île de Tromelin », Pratique Française du Droit International, AFDI, 2010, pp. 930-931.

(2) A. Oraison, « Tromelin. Accord franco-mauricien de cogestion du récif. " Un marché de dupes" », “Le Quotidien de La Réunion”, dimanche 20 juin 2010, p. 10.


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