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L’École de la République en danger

Un article d’Eugène Rousse

lundi 4 juillet 2011


Une régression sans précédent du système éducatif, tel est le bilan du gouvernement à un an de la prochaine Présidentielle. La conséquence, c’est la transformation de l’école en machine à exclure.


Au moment où le gouvernement Fillon entreprend de « dresser un bilan de 4 ans d’action », dont il s’efforce de nous persuader qu’il est positif grâce aux mesures prises par le chef de l’État, il est bon que ceux qui estiment utile de donner leur avis sur les changements intervenus depuis 2007 fassent entendre leur voix.
Pour ma part, je me propose d’attirer l’attention sur l‘état de notre édifice scolaire, que Nicolas Sarkozy avait pris l’engagement de « reconstruire » dès son entrée à l’Élysée.

Une reconstruction qui s’apparente à une démolition

Une des priorités proclamées par le président de la République était « la division par 3 du nombre d’élèves en situation d’échec à l’entrée en 6ème ». Il s’agit évidemment d’un objectif fort louable. Mais les moyens mis en œuvre pour l’atteindre ont conduit à une aggravation de l’échec scolaire, qui concerne aujourd’hui 15% des enfants à l’issue de leur scolarité élémentaire. À ce « noyau dur », s’ajoutent 25% des élèves, qui abordent le 1er cycle du 2ème degré avec des « acquis fragiles ».
Comment peut-il en être autrement et peut-on s’attendre à une amélioration du rendement de notre système éducatif lorsque l’on sait que :

• Plus de 60.000 postes ont été supprimés dans l’Éducation nationale depuis 2007. Ce qui a pour conséquence de placer la France au dernier rang des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pour le taux d’encadrement des élèves.

• Dans son rapport rendu public le 1er mai 2010, la Cour des comptes souligne que, « par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE, la France se situe à un niveau de dépenses annuelles par élève inférieur de 5% pour la maternelle et de 15% pour le primaire ».

• Deux heures hebdomadaires d’enseignement ont été supprimées dans le 1er degré depuis la rentrée 2008, pour des raisons essentiellement budgétaires.

• Sur ordre de l’Élysée, sans tenir compte de l’avis de chronobiologistes mondialement réputés et sans la moindre concertation, la semaine de 4 jours a été imposée à tous les établissements scolaires. Le prétexte invoqué est qu’il faut « libérer le samedi pour les familles ». Le ministre de l’Éducation nationale Xavier Darcos estimant pour sa part que « les semaines (scolaires) sont trop lourdes ». Ce qui ne l’a toutefois pas empêché d’ajouter autoritairement aux 24 heures de cours hebdomadaires, deux heures pour les élèves en situation d’échec. « Deux heures de "soutien" qui ne profitent qu’à 1 élève sur 5 », affirme l’inspecteur spécialisé de l’Éducation nationale Jean Jacques Guillermé, pour la simple raison que ce "soutien" n’est pas assuré par des enseignants spécialisés des RASED (Réseaux d’aide spécialisée aux enfants en difficulté) et qu’il n’est pas inclus dans les 24 heures.

• La préscolarisation des 2-3 ans, dont l’intérêt a été fortement contesté par Xavier Darcos en des termes frisant l’insulte, a reculé sensiblement, passant de 1 enfant sur 3 en 2007 à un enfant sur 5 en 2010.

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce sont de telles mesures — dont la liste est loin d’être exhaustive — qui ont conduit le "Médiateur de la République" Jean-Paul Delevoye à affirmer dans son rapport de 2010 : « l’éducation, en échec aujourd’hui sur l’acquisition des savoirs, l’aptitude au travail et l’éveil à la citoyenneté, interroge notre système administratif global, qui échoue sur sa capacité d’inclusion et devient une machine à exclure ».
Les critiques de Jean-Paul Delevoye, ancien ministre du gouvernement Raffarin, ainsi que celles de la "Défenseure des enfants", Dominique Versini, ne sont probablement pas étrangères à l’absorption de ces deux institutions — jusqu’ici indépendantes — par le "Défenseur des droits", institution nouvelle à la tête de laquelle Nicolas Sarkozy a placé le 22 juin dernier l’ancien maire centriste de Toulouse, Dominique Baudis. Une décision qui n’est pas sans rappeler la nomination par l’Élysée d’hommes politiques battus lors de scrutins récents au poste d’Inspecteur général de l’Éducation nationale (IGEN). Nominations déplorées en termes sévères par le doyen de l’IGEN ainsi que par la Cour des comptes qui, dans son rapport du 22 janvier 2011, signale qu’après enquête « il n’a été possible de retrouver que des traces matérielles minimes » de l’activité de certains de ces hauts fonctionnaires.

Le démantèlement de « l’éducation prioritaire »

Voyons maintenant comment s’est traduit dans les faits l’un des principaux engagements pris par Nicolas Sarkozy visant selon lui à démocratiser l’École de la République. Il s’agit de l’engagement relatif à « l’éducation prioritaire ».
Rappelons que, le 2 février 2007, l’actuel chef de l’État déclarait : « Je m’engage à ce que ceux qui ont besoin de plus de moyens en aient plus ». Il est clair que le public visé était celui concerné par « l’éducation prioritaire », initiée en 1981 par le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary dans le gouvernement de Pierre Mauroy. La création des zones d’éducation prioritaire (ZEP) devait permettre la réussite des élèves en difficulté sociale et scolaire, grâce à la mise en œuvre de mesures importantes. Ces ZEP accueillaient en 2005 dans le seul second degré 20,1% des élèves dans les collèges, 11% dans les lycées professionnels et 3% dans les lycées d’enseignement général et technologique.
Cette date (2005) marque le début du démantèlement de « l’éducation prioritaire ». François Fillon, ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement Raffarin, fait voter le 25 avril 2005 « la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école ». Cette loi, combattue tant par les syndicats d’enseignants que par le Conseil supérieur de l’Éducation nationale (CSEN), institue une école à deux vitesses : qualifications scolaires les plus élevées pour une fraction des élèves qui ont vocation à préparer une licence, et « socle commun des indispensables » pour les autres. L’objectif assigné aux ZEP en matière de formation est ainsi abandonné en raison de restrictions budgétaires avec la caution de Nicolas Sarkozy.
Le démantèlement se poursuit avec l’arrivée au ministère de l’Éducation nationale de Gilles de Robien.
En 2006, Gilles de Robien remplace les ZEP par les "Réseaux ambition réussite" (RAR) et par les "Réseaux de réussite scolaire" (RRS) ; ces derniers ne recevant qu’une aide supplémentaire dérisoire. Ces innovations s’accompagnent d’une importante réduction du champ de l’éducation prioritaire, dont sont désormais exclus les lycées.
Après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République en 2007, le ministre de l’Éducation nationale Xavier Darcos se charge de poursuivre la politique scolaire rétrograde de ses 2 prédécesseurs, faisant preuve d’un entêtement et d’un autoritarisme d’une époque que l’on croyait révolue.
Il n’est donc pas étonnant que, dans son rapport rendu public le 12 mai 2010, la Cour des comptes signale que :
- « la France fait partie des pays de l’OCDE qui arrivent le moins bien à traiter la difficulté scolaire.

- 1 seul élève sur 4 relevant de l’éducation prioritaire,
qui concerne quelque 1 million 700.000 jeunes — majoritairement issus de milieux modestes —, peut bénéficier de mesures d’accompagnement éducatif.

- Le système éducatif français tend à privilégier les élèves sans difficulté particulière, soit un peu plus de la moitié d’une classe d’âge »
.

La « relance » entreprise par Luc Chatel

Le remplacement de Xavier Darcos par Luc Chatel en juin 2009 ne fait qu’accélérer le processus de fragilisation de l’édifice scolaire. Et cela, à tous les niveaux. La politique de casse des services publics, poursuivie en dépit d’une mobilisation sans précédent de tous les syndicats et associations de parents d’élèves, n’épargne pas « l’éducation prioritaire », dont Luc Chatel avait annoncé « la relance » en 2010, lors d’une audience au Sénat.
Cette « relance » s’est traduite par la suppression des maigres aides accordées aux établissements classés en RRS (Réseaux de réussite scolaire) et la mise en place du dispositif CLAIR (Collèges et lycées pour l’innovation, l’ambition et la réussite), qui s’est faite sans concertation. Ce que dénonce un récent rapport des IGEN.
Après expérimentation des CLAIR dans une centaine d’établissements au cours de l’année 2010-2011, toujours sans concertation, Luc Chatel a décidé d’étendre à la prochaine rentrée le nouveau dispositif aux établissements classés en RAR (Réseaux ambition réussite). Les écoles primaires rattachées aux collèges RAR étant concernées par la décision du ministre, les CLAIR deviennent alors des ÉCLAIR (Écoles, collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite) et ne bénéficient d’aucun moyen supplémentaire leur permettant de combattre efficacement l’échec scolaire.
La « relance » annoncée par Luc Chatel se traduit aussi par une limitation à environ 5% du taux des écoles concernées par « l’éducation prioritaire », à laquelle pourraient prétendre 20% des écoles.
Il me faut ajouter que la mise en œuvre du programme ÉCLAIR s’accompagne d’un nouveau mode de recrutement des enseignants affectés en ÉCLAIR. Ils sont choisis par le chef d’établissement. Ce qui constitue une remise en cause du statut de la fonction publique.
Par ailleurs, dans les établissements classés ÉCLAIR, les enseignants peuvent obtenir des dérogations relatives aux horaires et aux programmes nationaux. Il s’agit là d’une innovation « au service de la déréglementation », qui est dénoncée avec force par les syndicats enseignants.

Le recours à la diversion

Pendant que se poursuit le démantèlement de « l’éducation prioritaire » et que les restrictions budgétaires entraînent non seulement la fermeture de milliers de classes, mais aussi celle d’établissements aussi indispensables que l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique) et les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres), Luc Chatel tente de faire une diversion en organisant un vaste débat sur les rythmes scolaires. Le ministre de l’Éducation nationale cherche manifestement à nous convaincre que l’organisation actuelle du temps scolaire est responsable des échecs scolaires. Il est à craindre que ce débat débouche sur une nouvelle réduction du temps scolaire.
Une autre initiative s’apparentant à une diversion réside dans la création depuis l’an dernier de deux structures nouvelles dans notre système éducatif : les ERS (Établissements de réinsertion scolaire) et les internats d’excellence.
Les ERS sont des établissements dotés d’internats, qui n’accueillent que des « collégiens à problèmes », en général des « perturbateurs » expédiés loin de leur résidence habituelle. Ces élèves, qui ont vocation à réintégrer leur collège, sont confiés à des maîtres « si possible polyvalents », ainsi qu’à des assistants d’éducation n’ayant reçu aucune formation spécifique et à des intervenants associatifs. Est-il besoin de dire que la prise en charge des collégiens scolarisés dans les ERS par une telle équipe ne laisse à ces élèves qu’un faible espoir de réinsertion ?
Quant aux "internats d’excellence", destinés à recevoir les bons élèves de milieux modestes, leur création ne peut avoir que peu d’incidence sur le rendement de notre système éducatif, en raison de leur faible capacité d’accueil.
Force est donc, pour tous ceux qui se sentent comptables de l’avenir de notre jeunesse, de se mobiliser afin que l’École ait les moyens de prévenir les difficultés scolaires et qu’elle puisse assurer la réussite de tous les élèves. À La Réunion, où l’illettrisme est devenu un fléau, cette mobilisation est d’une absolue nécessité. Il faut que chacun se persuade que, lorsque l’École de la République est en danger, c’est la République elle-même qui est menacée.

Eugène Rousse


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