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par le Dr Raymond Vergès

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« Témoignons de la nature de l’âme réunionnaise »

Julien Ramin à “Pondichéry 2010”

vendredi 29 janvier 2010


Voici le discours prononcé par Julien Ramin, president du Comité Réunionnais pour la commemoration des liens historiques entre l’Inde du Sud et les pays de l’océan Indien, lors de l’inauguration de la stèle en hommage aux engagés et esclaves à Pondichéry. Cette inauguration s’inscrivait dans la sixième étape de la “Route des esclaves et des engagés’. Julien Ramin a pris la parole après « la marche symbolique sur les pas des engages… » conduisant du ’dépôt’ où ont transité de nombreux ancêtres de Réunionnais au front de mer.


“Chers amis,

L’Île de La Réunion, territoire de 2.500 km2, compte 800.000 habitants. Département d’Outre-mer français depuis 1946, situé à 200 km de l’Île Maurice et à 800 km de Madagascar, notre population compte un grand nombre de personnes d’origine indienne, principalement venues du Tamil Nadu et du Gugerat. Elle s’est également enrichie de personnes originaires Chine, d’Afrique, d’Europe et des îles de l’océan indien. Nos relations avec l’Inde remontent au peuplement de l’île car dès 1663, un Indien faisait partie des premiers habitants.

« Nos relations avec l’Inde remontent au peuplement de l’île… »

Aujourd’hui, nous voici enfin de nouveau réuni en Inde, ici à Pondichéry, pour accomplir un acte honorable de mémoire. Oui, c’est un honneur que de porter cet hommage à nos ancêtres et c’est leur témoigner toute notre gratitude que de le faire sur leur terre natale.

Pour cela , nous devons nous souvenir :
Quel courage il aura fallu, quelle audace !
En pleine moitié du 19ème siècle, prendre la décision de partir quitter parents et amis avec pour tout bagage la promesse de travailler.
Fallait-il croire en son destin pour poser le pied sur le pont du navire, le voir s’arracher du quai et sans doute sentir son coeur se déraciner.
Fallait-il croire en son étoile pour penser que le bateau, tout au long de toutes ses nuits, la suive et ne se perde pas.
Fallait-il croire en sa lumière pour apercevoir les rives de l’île de La Réunion et s’entasser dans la pénombre des lazarets.
Combien de prières et de larmes ; combien de paroles réconfortantes à son camarade de voyage ?
Quelle solidarité il leur a fallu !

« Fallait-il croire en sa lumière pour apercevoir les rives de l’île de La Réunion et s’entasser dans la pénombre des lazarets »

Souvenons nous : ils furent 100.000 dit on ? Il est certain qu’ils furent plus nombreux. Et les autres, ce qui n’ont pas pu terminer le voyage, que sont ils devenus ?
À ceux là qui n’ont eu pour sépulture que l’écume de la mer, notre hommage doit porter plus d’affection encore.
Nous leur devons cette tendresse de la mémoire, donnons leur maintenant le baiser que leurs dépouilles n’ont pas eu.
(Recueillement)
Le voyage achevé, une autre aventure débutait. Elle se déroulait sous la brutalité de l’engagisme, les conditions indignes de travail, et chaque jour le poids de l’exil, le souvenir des siens restés là bas, l’incertitude du lendemain et les assauts incessants des maladies nouvelles.

Fallait il être solide pour résister à ce point !
Sans doute la pratique de leur culte, seulement toléré, aura pu les aider, les soutenir, les accompagner tout au long de ce périple. Mais il aura fallu également faire baptiser ses enfants, ce qui explique qu’aujourd’hui encore, bon nombre d’entre nous pratiquent à la fois le Catholicisme et l’Hindouisme. Mais l’assimilation prônée par le colonialisme, même si elle a effacé l’usage de la langue maternelle, même si elle a été jusqu’à l’effacement patronymique ; l’assimilation n’a pas tout ingurgité.
Nos ancêtres ont su sauvegarder tout un trésor de traditions, ils ont su développer tout un géni d’adaptation, réussissant avec les autres habitants d’origine diverses, la créolisation du peuple qu’ils formaient dès lors. Ils ont fondés un identité qui allait s’affirmer au fil des ans.

« Nos ancêtres ont su sauvegarder tout un trésor de traditions, ils ont su développer tout un géni d’adaptation… »

Ils ont montré ainsi, leur capacité à s’enraciner de nouveau pour déployer sur cette terre, si douloureuse à vivre pourtant, une activité humaine dans la dignité.
Les plus heureux ayant fini par acheter des domaines, les plus démunis quelques lopins de terre, pour à nouveau de leurs bras, de leur sueur, de leurs larmes et de leur sang, construire pour eux-même cette fois leur vie tant méritée.

Plus tard, bien plus tard, alors que nos temples s’étaient multipliés, alors que tous ceux qui avaient fait souche, avaient apporté une contribution essentielle à la prospérité des grandes propriétés et à l’île toute entière

Plus tard, alors que nous apportions à l’école laïque et républicaine nos talents émergents, nous entendre dire à l’occasion de notre première leçon d’histoire que nos ancêtres étaient des Gaulois, nous plongeaient dans la plus grande

Heureusement que nous tenions des anciens, le principe qui charpente encore aujourd’hui le caractère des Réunionnais « savoir accepter sans se soumettre et savoir refuser sans se révolter ».
Mais tout de même, quel discernement il nous aura fallu pour déjouer ces pièges insidieux du colonialisme !

« Quel discernement il nous aura fallu pour déjouer ces pièges insidieux du colonialisme ! »

Aujourd’hui, nous pouvons dire à ceux à qui nous rendons hommage qu’ils ont été la pierre angulaire du peuple réunionnais ;
Que nous sommes devenus des êtres partageant l’espace républicain, auquel nous appartenons, dans une cohabitation harmonieuse des pratiques religieuses, des rites, des cultures dont nous nous sommes mutuellement nourris et enrichis. Ainsi, nous perpétuons le phénomène réunionnais de créolisation. Cette intime connexion des âmes, des esprits et des êtres font l’originalité de notre peuple. Ils nous appartient de la conduire et de la préserver tout au long de l’humanité.

Aujourd’hui, nous pouvons dire à nos ancêtres :
Grâce à vous, pour toujours, nous devons être fiers de nos appartenances multiples, de nos origines diverses, et de notre identité particulière. Oui, nous pouvons être d’ailleurs, d’origine indienne, africaine, malgache, comorienne et autres, habiter un territoire français, région ultra périphérique de l’Europe et s’affirmer profondément réunionnais.

En accomplissant cet acte mémoriel, nous témoignons de la nature de l’âme réunionnaise, résolument ouverte sur le monde, prête à tout assimiler sans se faire assimiler. Nous portons ainsi la volonté que vous nous avez transmise, tel du respect de la tradition. Je vous remercie de votre attention ».


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