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par le Dr Raymond Vergès

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’Une chasse aux nègres-marrons’, de Théodore Pavie — 7 —

Nout mémwar

vendredi 20 avril 2012


Voici le septième extrait d’un texte de Théodore Pavie, un écrivain, voyageur et botaniste angevin, venu à La Réunion entre 1840 et 1845. Ce texte, que nous a transmis notre ami Jean-Claude Legros, est intitulé : ’Une chasse aux nègres-marrons’ et il est paru la première fois dans ’La Revue des Deux mondes’ en avril 1845. ’Témoignages’ publie chaque vendredi dans cette chronique ’Nout mémwar’ un extrait de cette œuvre, qui retrace une partie de l’histoire de Quinola, l’un de nos ancêtres chefs marrons. Cela, à partir d’une visite ’touristique’ d’un docteur et ses amis dans les Hauts de l’île, avec Maurice, un ’guide créole’, qui raconte aux visiteurs comment les premiers habitants ont occupé le pays ; mais selon le docteur, ils ont pollué l’île…


— C’est possible ; mais ils ont fait pour les savants ce que je fais aujourd’hui pour vous, monsieur : ils se sont chargés de montrer la route. Tous les sentiers que nous avons suivis et ceux que nous parcourrons demain, je les ai appris, comme bien d’autres, à mes dépens ; la découverte de cette grotte m’a coûté… plus que je ne posséderai jamais.
Donc, sitôt que la Diane eut jeté l’ancre dans la petite baie, mon père me dit : Maurice, viens avec moi, si tu n’es pas trop las de la chasse. Il a dû arriver là un beau lot de noirs, et je veux choisir.
Un nègre brut, de force moyenne, ne se paiera pas plus cher qu’une mule de France : moi, je lui apprends mon métier ; il devient ouvrier, bon ouvrier ; nous le louons dans les grands ateliers de Saint-Denis à une piastre, à deux piastres, par jour ; à la fin, il se rachète, je te donne cette somme-là en dot, et si tu as de l’économie, un jour tu seras planteur.
Je ne doutais pas que tout cela ne dût arriver ainsi, puisque mon père me le disait ; aussi le cœur me battait bien fort quand je vis à la lueur des fanaux qui l’éclairaient la goélette entourée de pirogues. De ce bâtiment si léger, si effilé, qui dansait sur l’eau et se balançait à la moindre brise, il sortit tant de noirs que je croyais rêver.
En vérité, messieurs, il fallait qu’on les eût pliés en deux comme des cuirs secs pour qu’ils pussent tous tenir dans la cale. À mesure qu’on les mettait à terre, je les regardais des pieds à la tête et ils me semblaient tous plus ou moins avariés ; c’est qu’ils n’avaient pas respiré à leur aise pendant la traversée ; mais le grand air les fit revenir, à l’exception de quelques-uns : ceux-là, comme des poissons restés trop longtemps hors de l’eau, ne se réaccoutumèrent point à vivre.
Le capitaine jurait contre eux ; il n’était pas impossible qu’ils eussent fait exprès de mourir, car, parmi ces noirs à demi sauvages, on voit de mauvais sujets, capables de tout. Chacun ayant choisi les esclaves qui lui convenaient, l’équipage s’occupa de nettoyer la cale.
On envoya des provisions à bord ; les canots vinrent prendre de l’eau douce à l’embouchure d’un ruisseau, et le lendemain, les noirs achetés dans la nuit ayant été internés, il ne resta plus de trace du débarquement.
Le navire de guerre en station devant l’île se remit à courir ses bordées de grand matin ; mais la goélette se trouvait juste au même point où nous l’avions aperçue la veille, avec cette différence qu’elle s’en allait à la côte d’Afrique tenter une nouvelle traite. Le canon du soir, tiré dans les divers quartiers de l’île, retentit tout autour de nous comme un orage lointain ; une brise légère, qui montait du milieu de la plaine et du fond des ravins, nous apporta en murmurant le parfum des girofliers mêlés aux suaves exhalaisons de la forêt. Les petites lianes arrachées aux parois de la grotte frémirent doucement ; c’était la tiède haleine des nuits tropicales, transformée à ces hauteurs en un vent frais et piquant.
Une pareille nuit offre véritablement l’image du repos, dit le docteur en écartant le rideau de feuillage. Voyez comme les belles constellations de l’hémisphère austral étincellent dans le sud ! N’admirez vous pas la bienveillante nature, qui a fait sortir du sein de l’Océan cette île fertile et gracieuse ?

(à suivre)


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