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par le Dr Raymond Vergès

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L’immigration clandestine, l’épine dans le pied de l’UE

Plusieurs centaines de disparus dans deux naufrages en Méditerranée

mardi 21 avril 2015


Les ministres européens des Affaires étrangères se sont retrouvé, lundi 20 avril, à Luxembourg pour un sommet extraordinaire sur l’immigration clandestine. Cependant, après le naufrage survenu dans la nuit de samedi à dimanche dans les eaux libyennes, faisant des centaines de disparus, il a été découvert un autre bateau transportant plus de 300 migrants sombrant en mer Méditerranée.


Plusieurs dizaines de milliers de Syriens vivent dans ce camp de réfugiés en Jordanie. C’est aussi parmi les victimes de la guerre que se trouvent les candidats à la dangereuse traversée de la Méditerranée. (UN Photo/Mark Garten)

« On a besoin de mesures immédiates de la part de l’UE et des États membres », a déclaré Federica Mogherini, la chef de la diplomatie européenne. Depuis dimanche, les déclarations sont acerbes et dramatiques, pour Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture et porte-parole du gouvernement, « l’Europe n’est pas à la hauteur. L’Europe n’a pas été à la hauteur. »

Des mots tout aussi durs de la part de la députée européenne Eva Joly qui parle d’une « faillite morale », prouvant « l’orientation absurde, inefficace et dangereuse » de la politique de Bruxelles en matière d’immigration. Alors que la situation reste tendue pour les 300 migrants en attente de secours en mer Méditerranée (à l’heure de la rédaction de cet article), il est à noter que La Réunion et Mayotte ne sont exemptes d’une telle situation.

Mayotte détient le record des reconduites à la frontière car le territoire attire de plus en plus de ressortissants comoriens mais aussi de Madagascar, de Syrie et du Yémen. De plus, chaque année, de nombreux kwassa kwassa s’échouent dans l’Océan indien, mettant en exergue le même problème qu’au large des côtes européennes et nécessitant des mesures d’urgence.

L’UE tente de trouver une solution

Critiquée pour son laxisme sur la question, l’Union européenne a réagi rapidement après le naufrage de 700 migrants. La chef de la diplomatie de l’UE, l’Italienne Federica Mogherini, avait annoncé qu’elle allait « présenter une série de propositions concernant la Libye, une des principales routes du trafic illégal de migrants ». Dans un communiqué de presse, elle jugeait qu’il était temps de « prendre le problème à bras le corps ».

La chef de la diplomatie européenne a lancé : « Nous n’avons plus d’alibi »assurant également que « les tragédies de ces derniers jours, de ces derniers mois, de ces dernières années, c’en est trop ». Pourtant, la question est restée en suspend durant plusieurs décennies, toutefois le cadre législatif a évolué en fonction des drames constatés tant en mer que sur terre, notamment dans le Nord-pas-de-calais, où des migrants tentent de passer vis des camions de livraison pour aller au Royaume-Uni.
Cependant, avec l’arrivée massive de migrants, de nombreux dirigeants européens, particulièrement venant d’Italie, de Malte, d’Espagne et de Grèce, mais aussi du Royaume-Uni et de France, ont fait pression sur l’Union européenne, afin de mettre en place des actions communes de lutte contre l’immigration clandestine.

Pour Henri Labayle [1], directeur du CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en matière de droits fondamentaux, d’immigration et de sécurité intérieure, l’Union européenne « a les moyens de faire face à condition de faire preuve de davantage de solidarité et de renforcer l’espace Schengen ».

Dans une interview accordée au journal Le Figaro, il a expliqué que l’UE « agit déjà, mal ou insuffisamment mais elle agit, seule le plus souvent c’est-à-dire sans l’appui réel de ses Etats membres ». La solution d’un co-développement est souvent mise en avant par les politiques, mais pas mises en place, alors qu’il apporterait des solutions viables aux populations désireuses de quitter leur pays pour un avenir meilleur, et aux Etats qui peinent à gérer le flux migratoire constant.

Cependant, « cette prise en charge internationale exige des efforts et de la compétence, tant de la part des États membres de l’Union, contraints à une lecture qui ne soit plus celle de leurs propres intérêts, et de l’Union européenne qui en fasse une priorité de sa diplomatie si celle-ci existe un jour », a indiqué Henri Labayle.

Pour de nombreuses associations et ONG, il existe des solutions pour éviter de tels drames, mais la volonté politique tarde à ériger une réelle politique globale à la fois aux frontières de l’Europe, mais aussi auprès des États concernés, avec lesquels la coopération pourrait aller au-delà de l’aspect immigration, mais développement économique.

Traiter la situation humainement

Pour l’heure, les responsables politiques mettent la faute sur les passeurs considérés comme les « nouveaux esclavagistes », a indiqué Mateo Renzi, Premier ministre italien et François Hollande, ce dernier a été plus loin, les désignant de « terroristes » lors d’une interview sur Canal +. Cependant, l’inaction de l’Ue reste au centre des débats, pour le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, la situation actuelle en va de « la crédibilité de l’Europe ».

Malgré les déclarations, la mesures tardent à se mettre en place. Tout d’abord, l’aide que pourrait fournir l’UE au gouvernement d’union nationale en Libye est toujours en débat. Le pays est le point de départ des migrants, mais le contexte politique reste difficile. Ensuite, la possibilité de dépêcher des navires de guerre au large de ses côtes pourrait entraîner d’autres départs de migrants. En effet, d’après l’agence de presse, Reuters, les autorités européennes craignent que les migrants comptent sur ces patrouilles pour les secourir en mer.

Cet argument évoqué par certains responsables politiques est vivement critiqué par Jean-François Dubost, d’Amnesty International France, qui constate que depuis l’arrêt en octobre 2014 de l’opération de secours lancée par l’Italie, Mare Nostrum, les flux migratoires se sont intensifiés. Pour ce dernier, « il y a un manque de volonté politique de la part de l’Union européenne qui ne voit cette question de l’immigration clandestine que sous l’angle économique. Or, les candidats à l’immigration viennent en Europe, car ils sont acculés et n’ont pas d’autres solutions ».

En effet, « étiqueter les migrants et demandeurs d’asile, de clandestins ou d’illégaux dès qu’ils cherchent à fuir un conflit (…), les considérer comme une menace publique sous prétexte qu’ils importeraient leurs problèmes avec eux, et les transformer de populations soumises à un risque en populations dangereuses, voire les considérer en bloc comme des criminels, ou des alliés du terrorisme international, ne peut apporter un socle rationnel ou même raisonnable pour élaborer une politique européenne globale sur l’espace migratoire et pour gérer les relations de l’Union avec les pays qui l’entourent dans un cadre de liberté et de respect des individus qui circulent », ont expliqué les chercheurs de « Culture et Conflits », dans un article commun [2].


[1Henri Labayle, professeur agrégé des facultés de droit françaises, en poste à la faculté de Bayonne, à l’université de Pau. Il dirige le CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en matière de droits fondamentaux, d’immigration et de sécurité intérieure. Il est également membre du réseau Odysseus et directeur du GDR « Droit de l’espace de liberté, sécurité, justice ».

[2« Une politique européenne commune sur l’immigration clandestine ? Sangatte et au-delà », Paru dans Cultures & Conflits, 45 | printemps 2002


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