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Salim Lamrani : « Cuba n’a jamais attaqué les États-Unis de son histoire »

Interview de l’universitaire spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis publié dans le journal Alohanews

samedi 30 avril 2016


Contre toute attente, Barack Obama a surpris toute la classe politico-médiatique en annonçant qu’il se rendrait à Cuba. Il est ainsi le premier président US en exercice à poser son Air Force One sur le tarmac de La Havane depuis la révolution de 1959. Les liens entre les deux pays étaient au point mort depuis l’imposition de l’embargo sur l’île en 1962 par John F. Kennedy. Comment expliquer ce rapprochement ? Pourquoi Obama a-t-il changé sa politique étrangère concernant le régime castriste ? Pour nous répondre, nous avons rencontré Salim Lamrani, Docteur ès Études Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis. Rencontre.


Barack Obama reçu par Raul Castro au Palais de la Révolution.

Comment expliquez-vous le basculement de la politique étrangère de Barack Obama envers le régime castriste ?

Salim Lamrani : Le Président Obama a fait un constat lucide : la politique des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba est un échec complet. Au lieu d’isoler La Havane sur la scène internationale, la politique de sanctions économiques a isolé Washington. En octobre 2015, pour la 24e année consécutive, 191 pays sur 193, y compris les principaux alliés des Etats-Unis, ont condamné l’état de siège économique imposé à la population cubaine depuis 1960. Lors du Sommet des Amériques de 2013, à Carthagène, en Colombie, le Président Manuel Santos, le plus fidèle soutien de Washington du continent latino-américain, avait déclaré qu’un autre sommet sans la présence de Cuba n’aurait aucun sens. La majorité des nations avait menacé de boycotter le Sommet de Panama d’avril 2015 si Cuba n’était pas invitée. Obama a donc décidé de rétablir le dialogue avec Cuba en décembre 2014.

Washington a également pris la mesure du rejet des sanctions contre Cuba au sein de l’opinion publique des Etats-Unis, à 70 % favorable à une normalisation des relations avec La Havane. Celle-ci ne comprend toujours pas pourquoi elle peut voyager en Chine, au Vietnam ou en Corée du Nord, mais pas à Cuba.

Le monde des affaires est également opposé à la politique agressive des Etats-Unis car il voit un marché naturel de 11 millions d’habitants, à 150 kilomètres des côtes étasuniennes, profiter aux investisseurs internationaux.

Peut-on dire que ce rapprochement des États-Unis avec la Havane est une victoire pour la diplomatie cubaine ?

SL : Cuba a toujours exprimé son souhait d’entretenir des relations cordiales et pacifiques avec les Etats-Unis à condition que les principes du droit international – qu’elle considère comme sacrés – soient respectés, à savoir l’égalité souveraine, la réciprocité et la non-ingérence dans les affaires internes.

Il convient de rappeler que le conflit entre les deux pays est asymétrique. C’est Washington qui applique une politique hostile contre un pays du Tiers-monde qui n’a jamais agressé les Etats-Unis de son histoire.

Cuba n’a ni renoncé à son système politique, ni à son modèle social, ni à sa politique étrangère, qui sont des compétences exclusives du peuple de l’île. A ce titre, le rapprochement entre les deux nations constitue une reconnaissance de l’échec d’une politique cruelle et une victoire pour le peuple cubain qui a toujours tendu une main fraternelle à son voisin, tout en rappelant qu’il était le seul maître des destinées de son pays.

Comment cette normalisation a été perçue par la communauté cubaine exilée à Miami connue pour son anti-castrisme ?

SL : Depuis longtemps, la majorité de la communauté cubaine des Etats-Unis est favorable à une normalisation des relations entre les deux pays, car presque tous les Cubains émigrés ont un membre de leur famille au pays. Tous savent que les sanctions économiques affectent leurs parents, cousins, et autres, restés dans l’île.

Seule une minorité de Cubains, héritière de l’ancien régime, mais disposant d’une certaine influence politique et économique, est opposée à la normalisation des relations et souhaite maintenir une politique hostile contre Cuba. Mais elle sera rapidement balayée par l’histoire.

Nous sommes en pleine campagne pour les présidentielles US qui auront lieu le 8 novembre prochain. Est-ce que cette normalisation peut être mise à mal avec l’arrivée de Hilary Clinton ou Donald Trump à la Maison-Blanche ?

SL : D’un point de vue juridique, le prochain président dispose de toutes les prérogatives nécessaires pour mettre un terme à la politique de dialogue de Barack Obama. En revanche, d’un point de vue politique, ce sera beaucoup plus difficile de faire marche arrière car cela susciterait l’hostilité de l’opinion publique étasunienne, du monde des affaires et de la communauté internationale.

Il est possible qu’un président républicain ralentisse le processus de normalisation des relations, mais je doute qu’il annule les mesures constructives prises par Obama.

Quel visage prendra Cuba dans les années à venir ?

SL : Cuba prendra le visage que souhaitera lui donner son peuple, qui dispose de l’intelligence et de l’expérience nécessaires pour adopter la voie qu’il jugera la meilleure. Il fera inévitablement face aux chants de sirène vantant les mérites de l’abondance matérielle et de l’individualisme. Sera-t-il prêt pour autant à renoncer à l’édification d’une société où la loi première de la République serait « le culte à la pleine dignité de l’être humain », chose qui a été la raison d’être de toute une nation depuis José Martí ? Je ne le crois pas.

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba, parole à la défense !, Paris, Editions Estrella, 2015 (Préface d’André Chassaigne).

Contact : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

Voir en ligne : http://alohanews.be/politique/salim...


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