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par le Dr Raymond Vergès

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« À la rentrée, le Rwanda passe du français à l’anglais »

jeudi 12 août 2010


Notre confrère “La Croix” annonce un changement radical qui va s’opérer dans les écoles du Rwanda. L’anglais sera la langue utilisée dans l’enseignement à la place du français. C’est le résultat d’une décision politique prise au cours d’une crise des relations entre le Rwanda et la France.


Sept ans après que l’anglais s’est ajouté au français comme langue officielle, tout l’enseignement bascule à la rentrée dans cette langue jusqu’ici peu parlée dans l’ancienne colonie belge.
Dans les rues de Kigali, les enseignes rédigées en français se raréfient, au profit de l’anglais. Parmi les jeunes Rwandais, de plus en plus rares sont ceux qui connaissent des rudiments de la langue de Molière.
À la rentrée prochaine, c’est tout l’enseignement au Rwanda qui va basculer du français à l’anglais. Ainsi en a décidé le Front patriotique rwandais (FPR), au pouvoir depuis 1994. Après avoir ajouté l’anglais aux deux langues officielles (kinyarwanda et français) en 2003, c’est en 2008, en pleine rupture des relations diplomatiques avec la France, que le gouvernement a annoncé que « l’enseignement primaire, secondaire et universitaire (serait) exclusivement dispensé en anglais au Rwanda à partir de 2010 ».
« Nous donnons la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et qui servira notre vision de développement du pays »
, avait justifié le président Paul Kagame, réélu lundi 9 août pour un nouveau septennat. Il justifiait cette décision par le fait que l’anglais était plus usité dans les affaires et faciliterait l’intégration du pays dans la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), dont les autres membres sont anglophones.

Un changement présumé politique
Pour adhérer à cette organisation Est-africaine, Kigali avait claqué la porte en 2007 de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), regroupant les pays francophones et lusophones de la région. Et dès 2006, le Rwanda avait demandé à adhérer au Commonwealth, ce qu’il a obtenu fin 2009.
Beaucoup de Rwandais voient des raisons politiques non dites à ce changement brutal. En effet, l’élite au pouvoir est en grande partie composée d’anciens exilés tutsis ayant fui les massacres ethniques de 1959 en se réfugiant dans les pays voisins, notamment l’Ouganda. À l’image de Paul Kagame, installé en Ouganda à l’âge de 4 ans, l’intelligentsia du FPR a fait ses études, puis travaillé dans un contexte à 100% anglophone, tout en parlant la langue nationale, le kinyarwanda.
Pendant ce temps, au Rwanda, au contraire, l’anglais était peu prisé. « Au lycée, on avait deux heures par semaine, et c’était le cours que l’on “séchait” le plus régulièrement ! », se souvient Armand, ingénieur de 37 ans. « Aujourd’hui, dit ce père de deux enfants, je suis capable de comprendre, de m’exprimer et de passer un examen en anglais, mais mon niveau reste basique. Le passage à l’anglais peut avoir du sens, mais il aurait dû être mis en œuvre plus progressivement ».
Alors que, dans les premières années post-génocide, beaucoup de membres du pouvoir, ne parlant pas français, faisaient l’effort de l’apprendre, le retournement décrété en 2008 a pris de court l’élite francophone. Censé ne concerner que l’enseignement, le passage à l’anglais s’est en fait imposé dans tous les secteurs de la société, tant dans l’administration que dans les affaires et le monde des ONG.

Une langue déstabilisante pour certains
Professeurs, avocats, hauts fonctionnaires craignent maintenant d’être marginalisés au profit de collègues anglophones. « Comment puis-je aider mes enfants à faire leurs devoirs ? s’insurge un responsable francophone d’une ONG rwandaise. Je constate qu’ils perdent leur français et apprennent un mauvais anglais. Tout cela n’est qu’une manière d’exclure et de mater l’élite restée sur place au Rwanda ». Cette situation est particulièrement mal ressentie par les Tutsis “de l’intérieur”, qui, après avoir été les principales victimes du génocide de 1994, ont vu l’intelligentsia venue d’Ouganda truster les postes à responsabilité. « C’est leur régime, ajoute le responsable d’ONG. Et il est tellement facile de prétendre avoir obtenu tel ou tel diplôme en Ouganda, ce qui est invérifiable… »
« Il faudrait redonner le goût du français avant qu’il ne soit trop tard »
, estime un professeur d’université. Mais qui peut le faire, alors que l’école française et le centre culturel français sont fermés depuis quatre ans et qu’il n’existe pratiquement plus aucun lieu non scolaire où apprendre le français au Rwanda ? À Kigali, l’école belge est réputée, mais des établissements anglophones sont aujourd’hui plus cotés.
Le Rwanda est resté membre de l’Organisation internationale de la francophonie, qui a ouvert une dizaine de centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC) en milieu rural et soutient quelques événements culturels.

Un budget linguistique au plus bas
Mais, du côté français, le budget en faveur de la diffusion de la langue au Rwanda est égal à… zéro. Néanmoins, l’ambassade prévoit de relancer des cours de français en soirée dans les locaux de l’école française, qui rouvre à la fin septembre. Côté anglophone, en revanche, dès l’annonce du passage à l’anglais, des organisations telles que le British Council — qui a ouvert un centre à Kigali en 2008, le DFID (agence de développement britannique), le gouvernement américain ou encore l’ONG américaine WorldTeach ont fait part de leur disponibilité pour accompagner la réforme.
Après avoir souffert d’une pénurie d’enseignants francophones après 1994, à la grande joie de professeurs congolais désœuvrés, c’est maintenant la course à l’anglophonie. L’ensemble du corps enseignant devait suivre cet été des sessions d’anglais obligatoires.
Dans les villes, les lycéens francophones s’efforcent de basculer dans leur nouvelle langue d’enseignement. Mais si la réforme est mise en œuvre comme prévu, le français sera probablement rayé de la carte rwandaise dès la prochaine génération. Il ne sera enseigné que dans le second cycle du secondaire, à raison d’une heure par semaine, au choix avec deux autres matières, tandis que l’anglais sera enseigné dès la première année du primaire à raison de cinq heures par semaine.
D’ores et déjà, « c’est devenu un petit snobisme chez les jeunes que de parler anglais », remarque un enseignant.


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