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L’identité culturelle comme processus dynamique et multidimensionnel

Tribune libre de Reynolds Michel : “Plaidoyer pour l’interculturel” - 7 -

mardi 1er août 2006


Dans la 4ème partie de son “Plaidoyer pour l’interculturel” que nous avons commencé à publier hier, Reynolds Michel explique comment une identité culturelle est toujours riche d’appartenances multiples. C’est toujours le thème du 7ème article de cette série, que nous publions ci-après avec des inter-titres de “Témoignages”.


Tout comme la culture, l’identité se construit et se transforme tout au long de notre histoire, au gré de nos multiples interactions avec notre environnement. Ce qui veut dire qu’elle n’est pas une donnée intangible et immuable, mais le produit d’un processus dynamique de construction sociale et historique.
Il en va de même de l’identité culturelle.
Au cours de son développement, le sujet s’approprie et incorpore les normes, les valeurs et les représentations de la culture de son milieu. Il se construit ainsi une identité culturelle, qu’il a en partage avec les autres membres de son groupe. C’est le phénomène dit de "socialisation / enculturation", qui commence dès l’enfance et qui dure tout au long de la vie (1), donc toujours en construction, toujours inachevé.

Une identité composite

Mais cette identité est par essence composite. Car le sujet que nous sommes est confronté à une multitude de situations d’interactions, appelant à chaque fois une réponse identitaire spécifique.
D’autre part, nous appartenons - appartenance imposée ou choisie -, à plusieurs groupes, sous-groupes et traditions culturelles. Ainsi, la même personne peut être d’origine indienne, musulmane, végétarienne, ouvrière, artiste, citoyen français, résidente à Madagascar... ; femme, réunionnaise, française, européenne, hindoue, poète... ; se déclarer chrétienne de culture indienne, ou musulmane de culture berbère, ou encore bouddhiste, africaine, de culture occidentale, etc.
Ainsi, chaque individu peut se caractériser par plusieurs appartenances simultanées et successives. Certains spécialistes préfèrent parler d’identités multiples : identité personnelle (subjective), identité sociale (objective), identité culturelle...

Nous sommes un arlequin

Le philosophe français Michel Serres compare le sujet multidimensionnel que nous sommes à un arlequin dont l’habit est constitué de tas de bouts de tissus différents, cousus ensemble, au fur et à mesure du déroulement de sa vie. "Vous ne cessez de coudre et tisser votre propre manteau d’arlequin, aussi nué ou bariolé, mais plus libre et souple que la carte de vos gènes", écrit-il (2). Pour Erik Erikson, qui a introduit le concept d’identité dans la psychologie sociale, l’identité présentait déjà un caractère fluide, de transformation jamais achevée (3).
Ainsi, l’identité est par essence dynamique et multidimensionnelle, tout en étant structurée en un tout pour préserver une certaine continuité. Car, tout en étant plurielle, l’identité, écrit Étienne Bourgeois, "n’est pas une juxtaposition de ces multiples identités. Elle en constitue l’intégration en un tout structuré, plus ou moins cohérent et fonctionnel" (4). C’est un système dynamique, à la fois processus et structure, en construction permanente tout en gardant une organisation stable. "Malgré le caractère mouvant - suivant les situations - et changeant - dans le temps - de l’identité, le sujet garde une conscience de son unité et de sa continuité, de même qu’il est reconnu par les autres comme étant lui-même", écrit Camilleri (5).

L’identité comme processus

Enfin, le sujet a une certaine prise sur son identité ou ses identités, donc la capacité, plus ou moins grande, de développer des stratégies identitaires. Il s’autodétermine en même temps qu’il est l’objet de déterminations externes.
D’où la notion de stratégie pour affirmer que l’identité se construit toujours dans un environnement actif. Ce qui amène Camilleri à dire que rien n’est plus collectif que l’identité personnelle. Nous pouvons en dire autant pour les autres identités.
Cette nouvelle conception de l’identité comme processus résultant de stratégie - le sujet étant acteur qui filtre et sélectionne - est au fondement même de la démarche interculturelle.

Les identités réductrices

Affirmer le caractère dynamique et multidimensionnel de l’identité n’est pas de peu d’importance. Car l’identité ramenée à une seule appartenance - surtout lorsqu’elle est imposée - peut devenir intolérante, dominatrice, voire "meurtrière", pour reprendre une expression d’Amin Maalouf.
Que dit le raciste ? s’écrie Michel Serres : "Il vous traite comme si votre identité s’épuisait en l’une de vos appartenances ; pour lui, vous êtes noir ou mâle ou catholique ou roux. Il adore le verbe être, aussi flou que réducteur. Le racisme puise sa puissance dans une ontologie dont l’acte premier de parole réduit, ici, la personne à une catégorie ou l’individu à un collectif. Il vous cloue dans une case comme un entomologiste pique d’une aiguille tel insecte dans sa collection : chassé, tué, traversé d’acier, il incarne une espèce" (6).

Il y a alors “nous” et “eux”...

Nous ne pouvons pas oublier qu’au cours de ces dernières décennies, on a tué, dans plusieurs pays, parce que l’autre n’était pas de la même religion ou ethnie que soi. En imposant aux Juifs de France, le 7 juin 1942, le port de l’étoile jaune, les nazis réduisaient leur identité à une seule dimension : Juifs ! Au terme de ce processus de réduction identitaire, c’est leur dimension humaine qui s’est trouvée effacée !
À tout le moins, le repli sur une seule dimension de son identité ou sur une seule mémoire est un obstacle à la compréhension d’autrui. En s’enfermant dans son appartenance, on exclut l’autre. Il y a alors “nous” et “eux”, Israéliens contre Palestiniens, Hutus contre Tutsis... Deux armées en ordre de bataille, prêtes à l’affrontement.

Le danger du repli sur une identité exclusive

Contre ses coreligionnaires qui ont trop tendance à se replier sur une judéité exclusive, Théo Klein écrit :
"Les jeunes (...) justifient leur identité par cette mémoire exclusive et intransigeante de la Shoah. Ils développent alors ce que j’appellerais une judéité mortifère".
Et d’ajouter : "Notre deuil, nos morts, aussi sacrés soient-ils, n’effacent jamais le deuil et les morts des autres" (7).
Texte à méditer par tous ceux qui se livrent à la "concurrence mémorielle" ou qui ont trop tendance à se replier sur une identité exclusive.

"Multipliez vos appartenances"

Notre identité se conjugue toujours au pluriel. Dès lors que nous la concevons comme étant faite d’appartenances multiples, certaines liées à notre histoire passée, d’autres à notre présent et d’autres en construction, se nourrissant à divers confluents, subissant diverses influences, notre rapport à l’autre, aux autres et à nous-même se trouve profondément modifié. Il n’y a plus “nous” et “eux”, “inclus” et “exclus”, tout en nous contraignant à mieux nous comprendre pour mieux nous définir dans notre diversité créatrice.
En outre, notre identité est toujours en chantier. Elle s’enrichit sans cesse d’appartenances nouvelles au gré de nos rencontres et nos découvertes. Elle nous permet de partager notre expérience avec d’autres, dans l’accomplissement du bonheur de participer à plusieurs cultures. "N’hésitez donc pas, multipliez vos appartenances, vos liens s’enrichiront d’autant", nous recommande Michel Serres (8).

Reynolds Michel

(à suivre)

o Demain : “Des espaces d’interaction”.

(1) Geneviève Vinsonneau, “Socialisation et identité”, “Sciences Humaaines”, n° 110, novembre 2000. "On appelle socialisation les modifications qui se produisent dans les rapports de chacun avec son environnement et avec soi-même", écrit-elle.
(2) Michel Serres, “L’Incandescent”, Édit. Le Pommier/livre de poche, 2003, p. 153.
(3) Claire Pouchain-Avril, CNAM Paris, “Des enseignants... et de leurs dynamiques identitaires”, in “Education Permanente”, n° 128, p. 154.
(4) E. Bourgeois, “Identité et apprentissage”, “Education Permanente”, n° 128. L’auteur se réfère à Lipiansky et ses collègues.
(5) Carmen Camilleri, cité par Vincent de Gaulejac in “Vocabulaire de psychosociologie, références et positions”, Paris, Erès, 2002.
(6) Michel Serres, “L’incandescent”, p. 138.
(7) Théo Klein, cité par Alfred Grosser, “Une judéité sans identité réductrice”, “La Croix” du 12 décembre 2001.
(8) Michel Serres, ibid, p. 137.


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Messages

  • Excellent article, j’écris souvent sur ce thème mais les citations que j’ai trouvées ici sont frappantes. Mes passage préférés :
    - "rien n’est plus collectif que l’identité personnelle"
    - "Car l’identité ramenée à une seule appartenance - surtout lorsqu’elle est imposée - peut devenir intolérante, dominatrice, voire "meurtrière"

    Le danger dans cette société bouféée par la mondialisation et le désir de briser les préjugés, est que l’on se construit une identité qu’on revendique un peu trop violemment.
    D’un autre côté, chaque individu a besoin de se construire et non de subir une idendité que lui impose son apparence.

  • Je voudrais contacter Geneviève Vinsonneau et Michel Reynolds pour animer un débat. Quelqu’un pourrait-il me fournir leurs adresses mail pour pouvoir les joindre ? Merci d’avance.
    Marie-Françoise Lebonnois

  • Deux questions :
    1.Qu’entend t’on par l’identité n’est pas une donnée intangible ?

    2.Cette identité est par essence composite ?


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