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La conférence de coopération régionale ne répond nullement aux enjeux

Lettre ouverte de Nassimah Dindar

mercredi 16 octobre 2013


Lettre ouverte de Nassimah Dindar, présidente du Conseil général de La Réunion à M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer et à M. Johannes Hahn, commissaire Européen pour la politique régionale.


« Il importe de développer une politique globale de la France et de l’Europe dans le sud-ouest de l’océan Indien à partir des terres françaises et européennes qui y sont localisées », souligne la présidente du Conseil général Nassimah Dindar.

« Vous venez dans notre île à l’occasion de la réunion des présidents de régions ultrapériphériques de l’Union européenne et de la Conférence de coopération régionale de l’océan Indien.

Je vous souhaite la bienvenue à La Réunion, département français d’outre-mer et région européenne ultrapériphérique.

Votre arrivée se situe juste après la nomination d’un nouvel ambassadeur chargé de la coopération dans l’océan Indien par le Gouvernement français sans concertation avec les Réunionnais. Même si l’affront fait à notre population à cette occasion ne s’oubliera pas de sitôt, respectueux des institutions et des personnes, le Conseil général participera à ces rencontres.

Je profite cependant de l’occasion pour attirer votre attention sur les insuffisances et les contradictions des politiques menées par la France et par l’Union européenne dans l’océan Indien.

« Une grande importance géopolitique »

Cette région revêt une grande importance géopolitique. Allant de Djibouti à l’Afrique du Sud [1] en passant par les îles du sud-ouest de l’océan Indien [2], elle abrite au total 185 millions d’habitants. Même si les niveaux de vie y sont souvent bas, elle regorge de ressources minières, agricoles et halieutiques [3]. Région afro-asiatique, victime de la piraterie, elle revêt une importance stratégique exceptionnelle. Elle voit passer 25% du trafic maritime mondial et une bonne partie de l’approvisionnement pétrolier de "l’Occident".

La France et l’Europe y occupent encore une place primordiale, en raison de l’existence de terres françaises, de pays francophones comme les îles de l’océan Indien, de leur présence militaire et diplomatique, de leurs intérêts économiques, étant les premières partenaires commerciales des pays insulaires et leur premier investisseur.

Cependant, leurs positions reculent devant la concurrence d’autres puissances, notamment la Chine. La France et l’Europe sont absentes des grands investissements miniers à Madagascar, perdent des parts de marché aussi bien dans les îles que dans les pays de la côte africaine.

Il importe de développer une politique globale de la France et de l’Europe dans le sud-ouest de l’océan Indien à partir des terres françaises et européennes qui y sont localisées, principalement de Mayotte et de La Réunion en butte à de graves problèmes de développement.

Une politique de développement

Cette nouvelle politique pourrait avoir les objectifs suivants :

- Développer de façon coordonnée la "France de l’océan Indien" composée de La Réunion, de Mayotte et des Terres Australes. L’État y est éclaté et cloisonné et les politiques menées, tant nationales que communautaires, y perdent en efficacité ;

- L’insérer dans son environnement géographique, afin de rechercher à l’international de nouveaux relais de croissance et de création d’emplois ;

- Mettre en œuvre dans le sud de l’océan Indien une politique maritime intégrée de la France et de l’Union européenne. La Zone Economique Exclusive française y couvre 2,7 millions de km2, soit 26 % du total, représentant 9 fois la zone métropolitaine ou encore la superficie de toute la Méditerranée. La France qui possède le second empire maritime du monde a une balance commerciale en produits halieutiques déficitaire. L’océan Indien représente un quart des captures de sa flotte de pêche, tous poissons confondus dont 62 % des prises de thonidés. Le potentiel de développement de la pêche y est considérable [4], sans oublier les autres dimensions d’une politique maritime globale. Selon le Grenelle de la mer, « la mise en valeur de cet espace maritime est une nécessité pour la France de l’océan Indien, ses pays voisins, l’ensemble de la France et l’Europe »  ;

- Veiller à la coordination des politiques intérieure et extérieure de l’Union européenne en matière de développement, de commerce extérieur et de pêche au regard des Outre-mer. En effet, il y a des contradictions entre la politique de cohésion financée par le FEDER dans les Outre-mer d’une part et la politique de coopération pour le développement relevant du FED d’autre part, qui méconnaissent souvent les intérêts des Outre-mer (qui sont aussi pourtant des intérêts nationaux et communautaires) ;

- Promouvoir la mise en œuvre de la politique européenne de "grand voisinage", évoquée depuis 2004 dans le but d’aboutir à un développement mutuellement profitable des îles de l’océan Indien. Les pays de la Commission de l’océan Indien doivent aller vers plus d’intégration et constituer une "Communauté de l’océan Indien" ;

- Faire adhérer la France aux Organisations d’intégration régionale de l’océan Indien. "Puissance riveraine de l’océan Indien", elle est déjà membre à part entière de la Commission de l’océan Indien au titre de La Réunion. Depuis le début des années 2000, elle veut sans succès devenir aussi membre du COMESA et de l’IOR-ARC [5], alors qu’elle n’est que "membre observateur" dans le premier cas et "partenaire de dialogue" dans le second. Ce serait une grande victoire diplomatique pour notre pays ;

- Établir des relations apaisées entre la France/Mayotte et l’État comorien, par la coopération et le co-développement des îles de l’archipel des Comores. Ce serait un moyen de stabiliser la région, de maîtriser l’immigration clandestine à Mayotte et d’atténuer la revendication de Mayotte par l’État comorien qui nous met en difficulté au plan international.

Le contenu de la Conférence de coopération régionale des 16 et 17 octobre 2013 ne répond nullement à ces enjeux. Elle se présente comme une réunion rituelle prévue par les textes et, année après année, ne constitue qu’un exercice formel et obligé, ne débouchant presque jamais sur des réalisations concrètes.

Des «  fronts avancés de la diplomatie française »

Elle fait peu de place aux collectivités qui constituent la France de l’océan Indien et apparaît comme une manifestation de la France dans l’océan Indien, dans le prolongement de la colonisation et de l’impérialisme et non de la France de l’océan Indien, située au milieu de peuples frères. C’est dans cet esprit d’un autre âge que le choix de l’État pour le poste d’ambassadeur chargé de la coopération dans l’océan Indien s’est porté sur une personne originaire de la France métropolitaine et non de la France de l’océan Indien.

Pourtant, le Grenelle de la mer avait noté que « par leur situation géographique et géopolitique, les territoires français d’outre-mer sont des fronts avancés de la diplomatie française et ont besoin de moyens adaptés. Il convient en effet de permettre à ces territoires d’être non seulement réactifs face aux multiples sollicitations dont la France est l’objet dans ces zones, mais d’être en mesure d’assurer efficacement la présence de notre pays, de répondre aux attentes de nos partenaires, de déployer notre influence et de lancer davantage d’initiatives. »

C’est pourquoi, au-delà des personnes, il y a nécessité pour la France et pour l’Europe de mener une politique nouvelle dans le sud-ouest de l’océan Indien en bonne intelligence avec les collectivités de la France de l’océan Indien.

Portfolio


[1Et comprenant la Somalie, le Kenya, la Tanzanie et le Mozambique.

[2Union des Comores, Mayotte, La Réunion, Madagascar, Maurice, Seychelles.

[3On y pêche annuellement 700.000 tonnes de thons (20% du total mondial) pour une valeur de 2 milliards d’€.

[4Le sud de l’océan Indien selon la FAO, c’est 6% du domaine maritime mondial mais seulement 4% des pêches. Alors que dans le monde 53% des espèces sont pleinement exploitées et 28% surexploitées, ici les chiffres ne sont respectivement que de 36% et 19%, ce qui ne dispense pas, bien au contraire, d’une gestion durable de la ressource.

[5COMESA (Common Market of Eastern and Southern Africa) ; IOR-ARC (Indian Ocean Rim-Association for Regional Cooperation).


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