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par le Dr Raymond Vergès

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Malgré la crise, la logique du pire

Privatisations

samedi 24 juillet 2010


La récente grève des aiguilleurs du ciel montre que l’offensive des privatisations vise aujourd’hui les services les plus sensibles, dont l’exercice met en jeu des milliers de vies humaines. Et témoigne de la radicalisation d’un mouvement de destruction sociale en cours depuis 30 ans.


En 1929, la spéculation à outrance provoquait l’effondrement de l’économie mondiale, plongeant dans le chômage et l’extrême pauvreté une large partie des classes moyennes et populaires. Une crise dont l’onde de choc menace alors les fondements mêmes du capitalisme aux USA : lors des scrutins suivants, 1 million d’américains votent pour des candidats socialistes ou communistes ; un nombre toujours croissant de travailleurs s’engagent au sein des organisations syndicales et progressistes.

Un État social imposé par la base

Sous cette pression, le système dut lâcher du lest : élu en 1932 à la présidence, le démocrate Franklin. D. Roosevelt lance le “New Deal”, nouvelle donne sociale fondée sur les nationalisations et un programme de grands travaux, appuyée notamment sur les syndicats, dont les effectifs sont multipliés par 4 entre 1932 et 1940. En Europe et en France, c’est aussi un rapport de force qui impose les nationalisations. Après la défaite du nazisme en 1945, une Assemblée dominée par les forces progressistes impose sous pression populaire une série de nationalisations, ainsi que l’instauration d’un système social développé.

Le tournant des années 80

La victoire de l’union de la gauche en 1981 permet une nouvelle vague de nationalisations, — dans des conditions néanmoins nettement moins favorables aux travailleurs que celles de 1946. Les années 1980 vont pourtant être le théâtre d’un vaste retour en arrière. Aux États-Unis, Ronald Reagan et Georges Bush Sr. procédent au démantèlement des services publics issus du “New Deal”. En France, l’entrée de Jacques Chirac au gouvernement de cohabitation en 1986 remet en cause les nationalisations et lance un programme de privatisation massive.

Démantèlement de la République sociale

Les dirigeants socialistes français glissant du côté d’un dogme néo-libéral de plus en plus rigide, cette orientation n’a plus été remise en cause… Sauf par les mouvements sociaux, dont la grève générale de 1995 contre la privatisation des retraites reste à ce jour l’expression la plus forte. Au fond, ce basculement a une cause simple : la prise en main par des instruments de l’État social par des intérêts privés, avec l’aide des gouvernements et l’appui d’institutions internationales comme l’OMC, le FMI et la Banque mondiale.

Promesses non tenues

Imposée les armes à la main au Chili et dans d’autres États du Tiers-monde dès les années 1970, la privatisation de l’État social nécessitait un « enrobage » dans les pays démocratiques.
Par tous les canaux possibles, des experts et média de toutes tendances ont inlassablement rabâché les arguments de la privatisation, présentée comme la solution-miracle aux défaillances d’un État social considéré comme source de tous les maux. Au cœur de ce qu’il faut bien nommer une opération de propagande, les concepts « d’efficacité » et de démocratisation.
La réalité s’est chargée de démentir ces discours. En Europe et aux États-Unis, on a privatisé de force — contre la volonté des professionnels — des services publics dont le fonctionnement était satisfaisant. Conséquence : des services à la population efficaces et relativement bon marchés sont en quelques années devenus désorganisés et coûteux. Autrefois célèbres pour leur ponctualité et leur sécurité, les trains allemands le sont désormais pour leur inexactitude…. Non moins proverbiales sont les lenteurs et les avaries chroniques des transports ferroviaires britanniques depuis leur privatisation.

La preuve par la crise

À un niveau plus général, la crise financière et économique généralisée qui frappe le monde depuis deux ans a apporté la preuve définitive de l’incapacité des intérêts privés à se gérer eux-mêmes. Aux USA, terre sainte du libéralisme économique, on a renationalisé en catastrophe et à tour de bras : en septembre 2008, l’État prenait ainsi le contrôle de Fanny Mae et de Freddie Mac, établissements-piliers du marché de l’hypothèque. Avec un engagement public de 200 milliards, cette nationalisation est la plus chère de l’histoire. En juin 2009, Washington annonçait la prise de contrôle par l’État de 60% des parts du géant automobile General Motors. Au contraire des nationalisations des années 1930, cette intervention de l’État s’accompagne cette fois d’un volet antisocial : ainsi, la reprise du de General Motors décidée par Barack Obama s’est accompagnée de fermetures d’usines et de la suppression de milliers d’emplois.

Logique du pire

La privatisation de tout n’est tout simplement plus crédible dans le monde contemporain. Aux désastres économiques et sociaux qui l’accompagnent, s’ajoutent les risques directs pour la sécurité des personnes, lorsque la recherche du profit s’immisce dans la gestion des services vitaux. La privatisation des trains ne provoque pas seulement des retards : elle tue. De la boucherie de Hattfield en 2000 (Royaume-Uni), à la catastrophe de Hal (Belgique) le 15 février dernier, « l’économie » sur les coûts d’entretien du matériel s’est chiffrée en vies humaines. Loin de faire marche arrière, les gouvernements européens et la commission soutiennent aujourd’hui plus que jamais des privatisations porteuses de catastrophes annoncées sur les plans économiques, sociaux et humains. Malgré les tragiques échecs dans le secteur du rail, la course à la privatisation de l’air est lancée. Il en va de même pour les retraites, alors que la crise a montré qu’une retraite spéculée est une retraite perdue. Loin de renverser la course du libéralisme, la crise a imprimé un nouvel élan à la logique du pire. Seule la mobilisation de tous peut aujourd’hui le briser.

Geoffroy Géraud-Legros 



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