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À quand l’état d’urgence sociale ?
Une mesure qui augmentera les libertés au lieu de les restreindre
vendredi 22 janvier 2016, par
En France, le débat sur l’état d’urgence continue. Le président de la République est favorable à sa prolongation. À La Réunion, au lieu de restreindre les libertés, pourquoi ne pas les augmenter en décrétant l’état d’urgence sociale ?
Le 19 novembre dernier, le PCR mettait en garde contre les conséquences de l’application de l’état d’urgence à La Réunion. L’histoire de notre île n’est en effet pas celle de la France. Des années 1950 à 1970, la France vivait l’époque des Trente Glorieuses. C’était une période de prospérité économique. Cela a amené d’importants changements avec le développement de nouveaux services. C’était le temps du plein emploi.
À La Réunion au même moment, c’était l’époque de la plus grande répression contre les démocrates. Le pouvoir faisait tout pour empêcher les Réunionnais d’exercer leurs libertés. Le droit de vote était bafoué par la fraude électorale. La pluralité d’expression était combattue par la censure. Les communistes étaient interdits de radio et de télévision. Les seuls reportages sur le PCR étaient systématiquement à décharge. Ce n’est qu’en 1979, 20 ans après la création du Parti communiste réunionnais, que Paul Vergès a pu s’exprimer sur le petit écran. Il était en effet candidat sur une liste dans un scrutin à circonscription unique pour toute la République, les élections européennes.
La longue conquête des libertés
Le maloya était lui aussi interdit sur les ondes. Les communistes étaient alors les seuls à organiser des représentations publiques grâce au travail des sections communistes. Ce n’est qu’à partir de 1971 que des communes ont ouvert les portes au maloya, au Port, à Saint-Louis et à La Possession, les seules municipalités dirigées directement par des élus du PCR ou en coalition.
Pendant toutes ces années, le pouvoir ne ménageait pas sa peine pour faire taire toute opposition. Plusieurs communistes ont payé de leur vie leur engagement pour les libertés, d’autres ont été emprisonnés ou ont perdu leur emploi. Seule la solidarité permettait à des familles durement éprouvées de survivre.
Ceci rappelle donc qu’à La Réunion, les libertés élémentaires n’allaient pas de soi. Il a fallu de durs combats dans lesquels le PCR a pris toute sa part pour faire céder le pouvoir. Tous ses sacrifices n’ont pas été vains. Aujourd’hui, les élections ne se font plus sous les coups, avec des fraudeurs agissant sous protection du pouvoir. La liberté d’expression gagne du terrain.
Plus personne maintenant n’oserait remettre en cause la présence du maloya à la radio ou à la télévision. Le 20 décembre est devenue une fête officielle à laquelle participent les autorités de l’État.
Même à La Réunion
Le 13 novembre dernier, la France a connu les plus importantes attaques terroristes de son histoire. Plus de 100 personnes sont mortes à Paris et à Saint-Denis en Seine Saint-Denis. Le soir même, le président de la République proclamait l’état d’urgence. Trois jours plus tard, il annonçait sa volonté de voir inscrire ce dispositif dans la Constitution aux côtés de la déchéance de nationalité. Le gouvernement a également étendu le régime de l’état d’urgence à l’outre-mer, y compris La Réunion.
L’état d’urgence permet au pouvoir exécutif de disposer de restreindre les libertés, deux exemples. L’état d’urgence rend ainsi possible les perquisitions sans l’autorisation d’un juge à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Des personnes peuvent être placées en résidence surveillée sans accord d’un juge.
Le 19 novembre dernier, rappelant que l’état d’urgence « signifie une restriction des libertés pour une longue période » un communiqué du Parti communiste réunionnais soulignait notamment qu’ « à La Réunion, la conquête des libertés publiques est le résultat de longues luttes. Des militants communistes ont donné leur vie pour que ces libertés soient respectées. Aujourd’hui encore, ce combat reste toujours d’actualité, comme le rappelle le climat de répression permanent subi par des travailleurs employés en contrat précaire dans certaines collectivités ».
Le jour même, les députés votaient pour une prolongation de trois mois de l’état d’urgence. Le lendemain, la majorité des sénateurs faisait de même. Au cours de ces deux scrutins, un seul parlementaire réunionnais n’a pas voté pour le texte, c’est Paul Vergès.
Depuis que l’état d’urgence s’applique à La Réunion, plusieurs mesures d’exception ont été décidées. C’est le cas de 8 perquisitions. Plusieurs d’entre elles ont soulevé une vive émotion. Les méthodes employées étaient qualifiées de brutales par ceux qui les ont subies. Et à ce jour, elles n’ont pas permis de débusquer un terroriste.
La dernière a eu lieu au Chaudron dans la nuit de mercredi à jeudi, tout aussi infructueuse. Des habitants ont manifesté face à ce déploiement de forces. Un galet a été jeté sur un véhicule de police.
Pourquoi ne pas augmenter les libertés ?
Le président de la République ne fait pas mystère de vouloir prolonger l’état d’urgence. En France, la Ligue des Droits de l’Homme remarque que les trois-quarts des perquisitions sans autorisation d’un juge datent des deux premières semaines suivant les attentats de Paris, tout comme la plupart des assignations à résidence. Elle demande donc la levée d’un dispositif à l’efficacité qu’elle juge très limitée.
C’est d’autant plus vrai à La Réunion. Au cours de son histoire, son peuple a réussi à construire une société intégrant les apports de civilisations et de religions très diverses. Le Groupe de dialogue inter-religieux en est l’illustration.
Par contre, il est un autre état d’urgence qu’aucun gouvernement n’a jamais proclamé à La Réunion : l’état d’urgence sociale.
Les données sont pourtant connues de tous. En 2013, l’INSEE et le Conseil général avaient présenté une étude montrant pourquoi La Réunion est un département socialement « hors norme ». Cette précarité est à l’origine de l’exclusion de près de la moitié de la population. Les pauvres ont moins de libertés.
Plutôt que de restreindre les libertés, pourquoi ne pas les augmenter en décrétant l’état d’urgence sociale ?