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par le Dr Raymond Vergès

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« Mon visage me brûle. J’ai l’impression d’être en feu »

Témoignages de réfugiés victimes d’exactions de policiers à Calais

jeudi 27 juillet 2017


Human Rights Watch a publié mardi un rapport faisant état d’opérations de répression contre les migrants perpétrées par des dépositaires de l’autorité publique. Démentis par l’administration, ces faits sont pourtant corroborés par de nombreux témoignages.


« Il est tout à fait condamnable que des policiers utilisent du gaz poivre sur des enfants et des adultes endormis ou en train de vaquer pacifiquement à leurs occupations », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « Lorsque les policiers détruisent ou confisquent les couvertures des migrants, leurs chaussures ou encore leur nourriture, non seulement ils rabaissent leur profession, mais ils portent atteinte à des personnes, dont ils ont juré de défendre les droits. »

Un récit caractéristique est celui de Nebay T., un jeune Érythréen de 17 ans, qui a relaté à Human Rights Watch : « Les aspersions ont lieu presque chaque nuit. Les policiers s’approchent de nous pendant que nous dormons et nous aspergent de gaz. Ils le pulvérisent sur tout notre visage, dans nos yeux ».

De même Moti W., un jeune Oromo de 17 ans, a rapporté : « Ce matin, je dormais sous le pont. Les policiers sont arrivés. Ils nous ont aspergé le visage, les cheveux, les yeux, les vêtements, le sac de couchage, la nourriture. Il y avait beaucoup de gens endormis. La police a tout recouvert de gaz poivre. »

Usage de gaz sans sommation

Abel G., un garçon érythréen de 16 ans, a également témoigné : « Si vous êtes en train de dormir, ils se contentent de vous pointer leur bombe dessus. »

Dans la plupart des cas, d’après le récit de demandeurs d’asile et de réfugiés, cet usage policier du gaz poivre se fait sans aucun avertissement. « Ils n’ont pas dit un mot, ils nous ont juste aspergés », a ainsi déclaré un homme afghan, Mirwas A.

Layla A., une femme de 18 ans interviewée début juillet, a déclaré à Human Rights Watch : « Il y a deux jours, je marchais sur la route. Des policiers sont passés et ont utilisé leurs sprays. C’était le soir, peu après 20 heures, ils sont passés près du point de distribution dans leurs voitures. Ils ont ouvert la fenêtre et m’ont aspergée »

Dans un autre récit similaire, Abel G., 16 ans, a rapporté : « S’ils vous attrapent quelque part dans la rue, ils vous aspergent de leur véhicule au moment où ils passent près de vous. »

Un autre garçon érythréen, Birhan G., 16 ans, a décrit comment il avait été traité par la police à une distribution de nourriture nocturne deux jours auparavant : « Il était environ minuit. Je suis venu chercher à manger. Les policiers étaient là. Ils ont dit au groupe : « Vous ne devez pas donner de nourriture ». Nous avions faim. Nous avions soif. Mais les policiers ont commencé à nous asperger, alors nous nous sommes enfuis. Nous trébuchions tout en courant vers les bois, et les policiers se moquaient de nous »

Pour décrire les sensations produites par l’exposition au gaz poivre, Abel G., 16 ans, nous a dit : « Vous pleurez. Vous avez très chaud au visage. Votre gorge est contractée. Vous ne pouvez plus respirer. »

D’autres personnes qui ont été visées par des sprays au poivre nous ont fait des descriptions semblables. « Mon visage me brûle. J’ai l’impression d’être en feu », nous a déclaré Meiga T., un garçon oromo de 16 ans.

Un autre garçon oromo, Demiksa N., 15 ans, a déclaré : « Après l’action du spray, vous êtes désorienté. C’est comme si vous ne saviez plus rien ; vous n’arrivez pas à réfléchir. Vous ne voyez plus rien, vous ne vous rappelez plus de rien. Vous avez le sentiment qu’il vaudrait peut-être mieux vous tuer. »

Les coups pleuvent

En plus d’utiliser des sprays au gaz poivre, les policiers, d’après certains demandeurs d’asile et migrants, les ont parfois frappés avec leurs matraques ou avec leurs pieds, alors qu’ils leur ordonnaient de quitter les sites de distribution ou d’autres endroits. Par exemple Abel G., un garçon érythréen de 16 ans, nous a déclaré : « Il y a quelques jours, nous sommes venus à cet endroit [où les travailleurs humanitaires distribuaient des repas aux migrants]. Les policiers nous ont dit : « c’est fini, les repas ! » Un policier est arrivé près de moi et m’a frappé avec sa matraque. Il ne l’a pas balancée ; on aurait dit qu’il ne voulait pas qu’on le voie, alors il m’a frappé avec comme s’il donnait un coup de poing. Elle m’a atteint ici, dans les côtes. Ça m’a fait tellement mal ! »

Des travailleurs humanitaires ont expliqué qu’une fois, des gendarmes armés de fusil les ont encerclés, et que de nombreuses fois, par d’autres méthodes musclées, les CRS ont empêché les migrants de s’approcher des travailleurs humanitaires et ont fait tomber la nourriture des mains de ces derniers.

Lorsque les travailleurs humanitaires essaient de photographier ou de filmer ces actes, il arrive que les policiers saisissent leurs téléphones de façon temporaire, effaçant ou consultant le contenu sans permission ni motif légal.

Les autorités ont pourtant ignoré les multiples témoignages portant sur les abus policiers envers les demandeurs d’asile et les autres migrants. Vincent Berton, le sous-préfet de Calais, a catégoriquement réfuté les comptes-rendus selon lesquels les policiers ont utilisé des sprays au gaz poivre ou ont eu recours à la force sans distinction et de façon disproportionnée. « Ce sont des allégations, des déclarations de personnes, qui ne sont pas basées sur des faits », a-t-il déclaré à Human Rights Watch.

Paris dément

Les autorités locales se sont notamment opposées aux appels demandant la création à Calais d’un centre d’accueil pour migrants ou un guichet unique de demande d’asile, affirmant que cela encouragerait davantage de migrants à venir dans le Nord de la France. Lors de sa visite à Calais le 23 juin, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, s’est fait l’écho de ces sentiments.

En même temps, le président Emmanuel Macron a promis d’adopter une approche humaine à la question des réfugiés, notamment en réformant le système de l’asile. Récemment en juillet, lors d’un sommet à Trieste (Italie), il a déclaré : « Les femmes et les hommes qui, naguère venant de Syrie, aujourd’hui venant d’Érythrée ou de nombreux autres pays, qui sont des combattants de la liberté, doivent être accueillis en Europe et tout particulièrement en France. Donc, nous prendrons notre part évidemment dans ce combat. »

« Les autorités devraient envoyer un message clair pour signifier que le harcèlement policier, ou toute autre forme d’abus de pouvoir, ne sera pas toléré », a conclu Bénédicte Jeannerod. « Le gouvernement a le devoir de s’assurer que les migrants sont protégés et qu’ils ont la possibilité de demander l’asile s’ils le souhaitent. »


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