Témoignages - Journal fondé le 5 mai 1944
par le Dr Raymond Vergès

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Au cadran de ma montre (4)

jeudi 9 août 2018, par Jean-Baptiste Kiya

Le tableau lumineux des arrivées et des départs m’informe que le vol de 9 h 55 en provenance de Paris a du retard. L’horloge de l’aérogare fait entendre un grincement sans fin qui me fait songer au cercle d’Ouroboros, le Roi Serpent qui a la queue dans sa gueule, symbole de l’éternel retour. “En to pan : De L’Un au Tout/De L’Un, le Tout”, martèle l’antique tradition païenne : le Temps s’achèvera quand les astres reviendront à leur point de départ, chaque quinze mille ans, selon le comput médiéval, alors s’inversera son cours. Comme le reflux succède au flux, il repartira dans la direction opposée : les rivières remonteront à leur source, le soleil se lèvera au couchant, les vagues naîtront de la berge, et les Titans terrasseront les dieux. Mon enfant a seule ce pouvoir de refaire le temps.

1944. Vassili Grossmann raconte dans ses Carnets de guerre avoir vu un partisan dont la fille et les deux fils avaient été tués par les Allemands massacrer deux soldats de la Wehrmacht à coups de pieu : “Il leur brisa tous les os, mis leurs crânes en miettes et, tout en frappant, il pleurait et criait : ‘Voilà pour Olia, voilà pour Kolia !’”

Il faut que j’aille moins loin ; je me souviens des yeux de ce pilier de bar qui me fit remarquer :
- La justice ? Elle te fera rouler comme un dé…
J’ai réglé mon café, et dans le froid de la rue, j’ai allumé une clope pour répondre :
- Sans doute, mais ils en auront pour vingt ans.
Je remonte encore les marches. Début juillet 2007, je recevais le rendu de divorce sans recommandé, sans notification. Les écritures étaient la quasi-photocopie du précédent arrêt. Un copinage guère étonnant dès lors que dans le récent livre que le Jaf écrivait en touriste sur l’Ylang-ylang, celui-ci remerciait son prédécesseur. Un juge ne contredit pas un collègue : la justice ne saurait se tromper, ça enverrait un message négatif.

C’est un classique de la justice française que de faire parvenir une décision juste au début des grandes vacances, une fois que les cabinets d’avocats sont fermés pour la trêve estivale…
J’informais aussitôt Mme la présidente de l’association Agir Ensemble qui m’avait si bien compris. Réponse : Patientez, attendez. Wait and see. Attendre quoi ? Que l’affaire soit close pour qu’elle soit nommée assesseure ?
Cet été-là, ma nouvelle compagne attendait un enfant. Nous étions très occupés à la venue du bébé.
La lettre-dossier “Merci, M. Le Juge !” en témoignage de la gratitude que l’on sait au juge d’appel qui renversa le lieu de garde de ma première fille, avait été la cause d’un dépôt de plainte contre moi pour outrage. Ce Monsieur ne put guère consulter le document épais que j’envoyais en retour qu’il était déjà parti en pré-retraite. Je demandais naturellement au procureur que la plainte soit instruite, en vain. C’était un temps où la gendarmerie patrouillait régulièrement à l’angle de notre jardin, regards appuyés. Je devais être dangereux…

Les vacances d’octobre, j’étais en coup de vent à Saint-Pierre de La Réunion devant le JAF. La convocation valait diversion.
L’avocat saint-pierrois fut expéditif et cher, ses honoraires pour lesquelles il ne fit pas grand-chose d’honorable se montèrent à 1300 euros. Elles ne lui servirent à dire qu’une seule phrase : “M. Kiya aime sa fille”… Aucun écrivain n’est payé à ce tarif-là. Faut-il préciser que ce Monsieur était bâtonnier de son barreau et médaillé de la légion d’honneur, ça pèse sur le porte-monnaie. Il n’a pas même été fichu de me faire rembourser le billet d’avion de mon enfant que j’avais avancé, que je réclamais au juge puisque la grosse de jugement l’attribuait cette année-là à la mère…
Sur le bureau, je déposais toutes les plaintes en éventail en demandant à la Jaf où en était leur traitement : 2 plaintes pour non-présentation d’enfant, 3 pour violences conjugales, une autre pour escroquerie à la pension alimentaire, sans compter les dernières pour obstruction à la communication personnelle entre un père et son enfant. Je revois encore l’ahurissement de la Greffière. La juge est restée stoïque, alors mon ex-épouse, pour clore cette énumération, a annoncé fièrement : “Pour l’appel, c’est trop tard.”
Surprise.
Un cabinet d’avocats parisiens spécialisés dans les affaires en cassation m’apprit que ce n’était pas le cas.
Je demandais en A.R. le retour du dossier à mon ancien avocat mahorais, celui qui connaît tellement bien les lois qu’il trône encore à l’assemblée nationale, j’appris qu’il avait à cette époque maille à partir devant les tribunaux pour avoir logé insalubrement le CPE du lycée de Sada, entre autres choses. Il me renvoya un dossier ‘nettoyé’ : toutes les copies des pièces d’identité étaient manquantes. C’est de cette façon sans doute qu’il protège ses administrés. Je pris contact avec un autre avocat de Mayotte pour lancer l’appel. Elle accepta, encaissa, reçut le dossier. Puis silence.

Avril 2008, devant mon questionnement, elle me demanda de contacter l’assurance de mon ancien conseil, le député-avocat, attendu que je lui avais fait part en juillet 2007 de mon opposition au rendu du divorce et qu’il n’avait pas réagi. Plutôt que de demander de l’argent, je lui indiquais préférer la vérité. Autant demander la lune, je n’eus ni l’un ni l’autre.
Par contre, elle me produisit quelque temps après un certificat de non-appel daté de février 2008…
Il s’agissait de ce qu’on nomme dans le jargon un vrai-faux, un faux officiel, dans la mesure où sans la réception de la notification, la forclusion d’une affaire court non pas sur deux mois, mais sur deux années. J’avais d’une part reçu le jugement sans preuve de dépôt ; d’autre part, j’avais décrit le contenu de l’enveloppe à la présidente de l’association, cela montrait l’absence de cette notification.
Je rappelais l’avocate à la loi, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Je lui demandai en A.R. le retour du dossier, elle ne bougea pas davantage. Les courriers attestent de la plus parfaite politesse de ces demandes. J’en connais de la racaille, elle est bien habillée.

À nouveau, plainte contre cette avocate, ce qui eut le même effet qu’un coup d’épée dans l’eau. Les avocats, c’est comme Macron, inatteignables.
Qui est-ce qui parlait déjà du “devoir de vérité” ? J’ai oublié le nom, les politiques passent, et ne laissent qu’une piètre ombre derrière eux…
Enfin, l’affaire était bouclée comme une bouche.
Qui avait gagné ? La bêtise, c’est la bêtise qui l’avait emporté une nouvelle fois !
Tous ces gens-là, juges, avocats, huissiers qui ont traité cette affaire, peuvent ajouter fièrement sur leur CV déjà bien rempli quelques lignes de plus : cette chronique.
J’ai toujours soutenu que la justice française était la première fabrique d’extrême droite. La loi s’arrête à la porte des garages des juges et des avocats véreux, précisément, là où ils rangent leur gros 4x4.

J’étais dans ce hall de gare de Gillot, froid et laid, je haussais les épaules et me réfugiais dans ma lecture.
Comme Benjamin Button rajeunissait, sa femme qui prenait de l’âge n’appréciait pas : « Il y a toujours une bonne et une mauvaise façon de faire les choses (lui fit-elle remarquer). Si tu t’es mis en tête de faire autrement que les autres, je ne crois pas que je puisse t’en empêcher, mais je ne trouve pas cela très juste à mon égard ».
Button nous somme ainsi : ‘Memento nasci’. Souviens-toi que tu dois renaître.
Je levai les yeux un instant.
Le temps est passé depuis, que reste-t-il de ces moments ? Des souvenirs. Plutôt, de mauvais souvenirs, c’est-à-dire rien.
Un ami me disait d’un air désolé, en me mettant la main sur mon bras : - Faut bien faire confiance en Dieu…
Tout ce temps de foutu. Il n’en restait rien - ou plutôt, si : il me restait ma fille.
La porte métallique du débarquement s’ouvrit alors. L’aiguille de l’horloge se remit à battre.
- Boujour p’pa, me fit-elle. Qu’est-ce que tu lis de beau ?
J’hésitais. - Du Boris Vian, ma chérie… Tiens-toi bien, il écrit ça :
« Un jour, il y aura autre chose que le jour
Une chose plus franche qu’on appellera le jodel… »
Elle me regarda, étonnée, et me dit, sa valise à la main : - Papa, parle-moi du Jodel…

Jean-Baptiste Kiya


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