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par le Dr Raymond Vergès

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Jeudi soir sur TF1, ça ne sentait pas le jasmin...

mardi 15 février 2011

Au moment même où, jeudi soir, tout un peuple en lutte écoutait sur les ondes la reddition historique d’Hosni Moubarak, 8 millions 255.000 téléspectateurs français (« 34% de part d’audience », comme on dit chez nous depuis que le business a remplacé la politique...) écoutaient Sarkozy qui tentait de leur dorer la pilule en repeignant la devanture de son fonds de commerce présidentiel. Bien sûr, on a les heures solennelles qu’on mérite, mais ce contraste entre deux situations simultanées, ce heurt entre l’héroïque et le médiocre étaient pénibles à supporter, tant ils faisaient tache dans le concert mondial, tant ils retentissaient comme un éclat de rire de l’Histoire : le souffle du peuple égyptien se forgeant un nouveau destin, d’un côté, et de l’autre, les boniments en trompe-l’œil d’une bourgeoisie repue, promettant une fois de plus aux Français que demain elle rasera gratis...

Pendant 2h30, l’hyper-président s’est attaché à nous expliquer fièrement comment, en trois ans de pouvoir, tout ce qu’il avait claironné de promesses électorales a systématiquement foiré, qu’il s’agisse d’emploi, d’économie, d’exportations, de sécurité, de niveau de vie, d’industrie, d’agriculture, d’éducation, de fonction publique, de lutte anti-terroriste, et même de justice et de police, puisqu’au moment même où il parlait, magistrats et fonctionnaires de police manifestaient contre ses propos et ses décisions.

Le choix des invités chargés de l’interroger avait manifestement fait l’objet d’un filtrage particulièrement sévère de la part des services élyséens et du “journaliste” Jean-Pierre Pernaut (la voix de son maître, sur TF1), mais ni la timidité, ni la complaisance de cet auditoire à usage de faire-valoir n’ont pu permettre à Sarkozy d’échapper au désastre. Notons au passage qu’il n’y avait sur le plateau aucun jeune (lycéen, étudiant, apprenti, chômeur ou salarié), ni aucun représentant de l’Outre-mer.

Résultat : il a été longuement parlé des retraites, de l’emploi des seniors, d’Alzheimer et de la dépendance, mais la jeunesse avait disparu : elle n’a été évoquée par le président que pour annoncer que le tribunal d’enfants était trop indulgent pour juger des prévenus qui, même jeunes, « mesurent parfois plus d’un mètre quatre-vingt ». Diable ! Doit-on penser qu’on confiera plutôt à cette juridiction ceux qui, même adultes, ne dépassent pas une certaine taille ? Ça permettra, c’est vrai, à Sarko, si d’aventure il devait suivre le même destin judiciaire que Chirac, d’avoir affaire à des juges plus cléments.

Quant aux Domiens, une évidence s’impose. Alors même qu’il a décrété que 2011 serait « l’année des Outre-mer », alors même que l’émission s’intitulait officiellement “Paroles de Français”, le président n’a invité aucun habitant de ces « territoires », ni proposé le moindre strapontin a un de leurs ressortissants vivant en métropole. Peut-être avait-on peur qu’il s’exprime en « patois sympathique » ? Ou qu’il rappelle des chiffres proprement délirants à propos du chômage, de l’illettrisme, de la pauvreté ? A moins qu’on ne considère que quiconque réside à des milliers de kilomètres de la tour Eiffel ne peut revendiquer à bon droit la qualité de Français ? Dernière hypothèse, en fait la plus probable : c’est que son ami Didier Robert, appuyé par Marie-Luce Penchart, a dû jurer à Sarko que tout était pour le mieux dans le petit paradis ultramarin, et qu’à l’inverse de la situation d’un soudeur de Saint-Nazaire, d’un éleveur du Nord, d’une pharmacienne niçoise ou d’un médecin ardéchois, celle d’un chômeur réunionnais ne méritait pas qu’un président de la République s’y arrête... Quoi qu’il en soit, l’émission se solda par un cinglant échec tant sur le plan pratique que politique.

Sur le plan pratique, nous eûmes droit à une longue, fastidieuse, répétitive, désespérante, interminable succession de lieux communs, d’esquives, de constats d’impuissance, de fuites en avant, voire de simplifications outrancières ou de pures contre-vérités (comme lorsqu’il affirma que la jeune Laetitia Perrais avait été violée, alors qu’aucun constat policier ou judiciaire ne corrobore ce fait pour l’instant). Et on cherchait vainement le moindre accent de repentance chez celui qui naguère annonçait fièrement au pays qu’il allait faire la fortune de « la France qui se lève tôt », de ceux qui accepteraient de « travailler plus pour gagner plus », qui promettait dans de viriles envolées qu’il allait « moraliser le capitalisme », faire reculer le chômage et promouvoir l’avènement d’une « France de propriétaires ». Foin de modestie ! C’est le front haut et le jabot plus gonflé que jamais que notre donneur de leçons s’acquitta de son constat de faillite, s’appliquant hardiment à « renouveler les promesses qu’il n’a pas tenues », pour reprendre l’ironique constat que fit en fin d’émission Elisabeth Guigou. Il est vrai que l’attitude servile de ses interlocuteurs de pacotille ne pouvait guère le dissuader d’adopter ce comportement de “m’as-tu-vu”. La courbure d’échine de ces affligeants humanoïdes illustrait à merveille la fameuse maxime de Jules Renard : « Ce n’est pas parce qu’on vit à plat ventre qu’on doit se dispenser de baiser les mains de ceux qui vous bottent les fesses ».

Venons-en au fond de l’intervention présidentielle. Ou plutôt aux bas-fonds, à la fosse d’aisance idéologique où il s’ébroua avec un naturel des plus parfaits, ce qui fit titrer au “Monde” du lendemain : « M. Sarkozy, sans marge de manœuvre, soigne sa droite ». Comme on nourrit ses cochons : à grand renfort d’eaux grasses. En clair, sous couvert de “Paroles de Français”, l’émission consistait en une opération racolage sur les marais fétides de la droite lepéniste.
Rien ne fut négligé : l’identité nationale, la thématique sécuritaire et la dangerosité des mineurs de certains quartiers, la mise à l’index de l’immigration en général et des musulmans en particulier, la dénonciation du multiculturalisme (« Ma réponse est claire : oui, c’est un échec »), le laxisme des juges face à l’hyper-violence de certains criminels (affaire Laetitia oblige). Sans oublier bien sûr l’inappétence des Français pour le travail (à cause des 35 heures évidemment) et le coût des fonctionnaires, ces privilégiés qui ne risquent même pas le chômage !... Bref, il s’agissait bel et bien de lancer la campagne de 2012, qui plus est avec un virage brutal vers la droite pure et dure.

Si 2011 doit être, comme il l’a dit lors de ses vœux du 31 décembre, une « année utile », on voit qu’elle le sera d’abord pour lui et pour son clan, qui feront donner toute l’artillerie médiatique pour tenter de rallier à l’UMP les voix de la droite et de l’extrême-droite. La société française trouvera-t-elle, dans ces manigances de boutiquiers, les voies qui lui permettront de répondre au mieux aux défis du XXIème siècle ? On peut en douter, comme le fait Jean-Luc Mélenchon en écrivant dans le pamphlet qu’il vient de publier (“Qu’ils s’en aillent tous !”) que sous le régime sarkozien, « Liberté, Egalité, Fraternité ont été dissoutes dans le code du commerce ». Soyons sûrs que s’il en reste quelque chose, c’est dans le code électoral que Sarkozy s’apprête à le noyer.

Raymond Mollard


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