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par le Dr Raymond Vergès

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Note : la rédaction solidaire de Mathieu.

dimanche 14 février 2021, par Editorialistes


Au mois de mai 2020, nous avons créé le Club des éditorialistes. En présentant l’initiative, nous avons déclaré que c’était de nouvelles « plumes », de nouvelles « signatures ».

Un éditorial est un exercice plus difficile qu’un article ou un reportage. Le Club se rencontrait à distance, le vendredi à 14h, pour faire le bilan de la semaine écoulée et préparer la suivante. Chaque plume a eu l’occasion d’affiner ses sujets, son style et ses qualités. Nos lecteurs ont pu se rendre compte de l’ extrême richesse de l’expérience.

Puis, en août, Manu, seul rédacteur professionnel, a dû prendre des congés officiels. Après discussion, le Club a décidé d’élargir son expérience à la production quotidienne.
La rencontre hebdomadaire a été maintenue mais nous avons ajouté un rendez-vous journalier à 18h. Il fallait gérer la production de 6 à 8 articles en ligne, la newsletter, la diffusion sur les réseaux sociaux et la sortie tôt le matin d’un format PDF avec la précieuse contribution de Céline.

Le retour de Manu a été court car il a décidé de reprendre d’autres congés réglementaires. Normal.

Aujourd’hui, le journal fonctionne avec l’aide de Georges qui assure les textes en créole et une équipe de 6 permanents qui décortiquent l’actualité internationale, européenne et réunionnaise, souvent jusque tard dans la nuit. Un journal ne peut pas fonctionner sans une équipe de permanents, pluridisciplinaires, qui fonctionnent sur la confiance et l’échange continu.

Depuis, 10 mois, j’ai eu beaucoup de plaisir à partager les joies et les moments difficiles de cette équipe de bénévoles dont fait partie Mathieu Raffini.

Hier, nous avons découvert sur sa page Facebook un texte émouvant et de nombreuses réactions. Il fallait qu’il s’exprime, il l’a fait. Nous avons décidé de le publier. Nous connaissions sa situation et nous en parlions quotidiennement, puis nous lui faisions confiance dans la maîtrise de la suite. Malgré son handicap, son assiduité était remarquable ainsi que la profondeur de ses articles.

Témoignages est fier qu’à 77 ans d’âge et à 23 ans de son centenaire, de jeunes cadres relèvent le défi d’un journal militant de qualité, à orientation communiste. Cette publication exprime notre façon de témoigner à Mathieu notre solidarité et lui dire que nous serons solides au poste jusqu’au retour de Manu.

Pour la rédaction, Ary YEE CHONG TCHI KAN.


Un long texte sur mon rapport, peut-être pas si personnel que ça à la maladie (particulièrement psy) et au handicap.
Ça fait quelques temps que je voulais en parler, mais là je pense que c’est le bon moment. Parce que j’en ai simplement marre de le cacher, et qu’au final je ne vois même pas pourquoi je continuerais à le faire.
Je suis en dépression, pour la énième fois en dix ans. Comme tout le monde qui en a déjà vécu une, c’est évidemment très loin d’être agréable. Et étant relativement sévère, j’ai demandé à me faire hospitaliser pour la 2e fois dans les jours qui viennent (dans une clinique privée, comble de l’ironie pour quelqu’un qui tient tant au service public). Mais est-ce si dramatique ? Après tout, quelle que soit la maladie, quand elle est importante on va à l’hôpital pour se faire soigner.
Au final, c’est en réfléchissant à cette question que je me suis rendu compte qu’il y avait un vrai problème : pourquoi devrais-je être honteux de souffrir et d’avoir besoin d’aide pour aller mieux ?
Ce problème, je le subis au quotidien, la dépression n’étant en effet qu’une des parties de ma maladie. Je suis bipolaire (comme 1% de la population au passage), ce qui veut grossièrement dire que mes humeurs vont par phases. Il ne s’agit pas de changement toutes les 30sec comme le voudrait le cliché, mais de changement global toutes les 2 semaines environ pour moi en ce moment. Soit je suis en dépression, soit en phase maniaque (moments d’excitation/énervement, ceux qui me connaissent vraiment savent de quoi je parle). Heureusement il y a également des moments plus tranquilles.
Au-delà du côté chiant, c’est surtout vraiment handicapant dans la vie quotidienne. Je suis fatigué en permanence, je ressens le besoin de m’isoler des autres dès qu’une phase un peu sévère apparaît, des choses me sont de fait interdites pour le moment telles que la conduite (encore faudrait-il que j’ai le permis, running gag...), etc.
Pour info, cela peut "s’équilibrer", notamment grâce à des traitements, mais pour l’instant je n’ai pas encore trouvé le bon. Une des autres raisons pour lesquelles je vais également me faire hospitaliser est justement le fait d’aspirer à retrouver un peu de sérénité dans ma vie. Je raconte tout ça, mais pourquoi ai-je dû attendre 6 ans pour pouvoir le faire, et pourquoi est-ce qu’au final je ressens le besoin de le faire ?
Parce qu’en plus des conséquences directes de la maladie et du handicap que cela crée, c’est ce qu’on me fait ressentir, le plus souvent inconsciemment heureusement qui me fait également souffrir. Je vais essayer de résumer cela au principal élément qui me dérange :
Au final, parce que je suis malade, parce que j’ai un handicap, je ne peux pas être, ou tout du moins me sentir pleinement intégré à la société. Et pourquoi cela ?
Parce que je suis déconsidéré, car je ne suis pas intégré au marché de l’emploi. Pas besoin de justifier ça, tout le monde sait ce que cela fait d’être privé d’emploi. Mais la peine est double lorsque l’on a un handicap. Les postes ne sont pas adaptés, et dans l’hypothèse où ils le seraient et qu’on pourrait être en état d’en occuper un, ce qui n’est pas mon cas, ce serait littéralement pour rien.
Je ne suis donc pas productif aux yeux du système capitaliste (validiste) dans lequel on vit. Et par conséquent, je devrais donc me cacher, me mettre moi-même au ban de la société et ne pas montrer aux autres ce que je ressens ?
Je devrais accepter d’être obligé de m’adapter à toutes les situations, toutes les institutions ? Et enfin, je devrais accepter d’avoir un statut économique précaire (qui n’est au passage pas cumulable avec des compléments de revenus) dont je ne sais pas combien de temps il sera encore reconnu ?
Je dis ça tout en ayant conscience que la situation que je connais est largement minorée entre-autres par le fait d’être un homme et issu d’un milieu social favorisé.
Ce constat que je fais ne peut plus durer, d’autant plus qu’il ne s’agit au final pas que de moi, mais d’un véritable système qui nous oppresse presque toutes et tous. Je parle là de handicap et de santé psy, mais dès que l’on est considéré comme "moins productif", on en subit les conséquences, que cela soit économiques (salaires, allocations, retraite, etc. de misère ) ou sociales, en étant de fait mis au ban.
Alors à cela je n’ai que deux choses à dire.
Tout d’abord, évidemment, écoutez-vous, écoutez les autres, et prenez soin de vous et des autres, d’autant plus dans cette période troublée.
Enfin, ça peut paraître évident, mais ce système n’est plus tenable. Nous avons toutes et tous des raisons de le voir, alors cessons de nous voiler la face, tant que nous ne partirons pas sur de nouvelles bases, les mêmes logiques oppressives perdureront.


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Messages

  • Merci Mathieu d’avoir eu le courage et pris le temps d’écrire cela. Merci d’avoir su trouver les mots pour nous aider à réfléchir aux situations de handicaps et d’attirer l’attention sur la situation des porteurs de handicaps invisibles.
    On ne nous a pas appris à avoir une attitude naturelle en présence d’une personne ayant un handicap visible alors qu’il suffirait simplement de considérer la personne elle-même plutôt que se focaliser sur la différence.
    Pour les personnes ayant à vivre avec un handicap invisible, notre société de compétition permanente est Impitoyable à leur encontre : c’est « pas de temps à perdre ! ou tu marches ou tu crèves ! », Et le pire — Mathieu le dit — c’est le porteur de handicap qui doit se cacher, s’excuser, s’évaluer sans cesse à l’aune des "normes” inhumaines sécrétées par un système ne jurant que par la “performance”.
    Le résultat est là : performe comme tu peux, comme tu veux, tu trouveras toujours un meilleur “performer” que toi, et s’installe ainsi un apartheid qui interdit qu’on dise son nom. Et les médias, l’école — avec ses classements et ses appréciations lapidaires — nous imprègnent de cette “norme” du dénigrement permanent, cette “aptitude” à ne voir que les “défauts” chez l’autre et construire ainsi une société toujours plus négative.
    Merci Mathieu pour ce cri d’alerte.
    Claudette et Jean

    Faudrait-il un #Ma normalité contribue à une société humaine ?


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