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Attelez mon char à cette étoile ! (Peer Gynt)

vendredi 26 mai 2017, par Jean-Baptiste Kiya


(Place de village, 4 marronniers, théâtre de marionnettes.)


Peer Gynt d’Ibsen, éditions Garnier-Flammarion.

BONIMENTEUR, déroulant une carte devant lui :

- Oyez, oyez, Mesdames et Messieurs, braves gens, butors et crevards : à votre attention ce conte avec girouette et serrure de bois, (désignant le toit du théâtre) la girouette en est la clé, escaladez-en le chaume, tout là-haut, au sommet duquel vous l’y décrocherez pour redescendre et ouvrir grâce à elle l’huis du conte… Mais en grimpant, de qui allez-vous faire la rencontre ? Que le chat ne me gratte ! Peer Gynt, des trolls, ou un fondeur de bouton ? À moins que ce ne soit une troupe de singes qui cherchera à vous en déloger. Vous connaissez l’expédient : se déguiser en singes pour échapper aux singes… Tomber au plus bas, pour être au plus haut, rebondir comme ressort, trolleries !, tandis que le Maître constructeur de la colline d’ivoire, là-bas, à l’autre bout du monde, gravit les degrés, pas à pas, solennellement, de sa tour gigantesque pour, du sommet, s’élancer dans le vide tel Icare… et s’écraser lourdement sur le sol, parachevant ainsi l’œuvre de toute une viiiiiiiie !

Alors, Solveig aux cheveux d’or, à l’âme pensive, s’entêtera à fredonner un air, tressant une couronne autour d’un crâne si fêlé…

Oyez, oyez, braves gens, barbares, fêtards et fielleux, Ibsen a forcé le diable à entrer dans ce livre-là (qu’il montre) et à y rester couché, le galvanisant par quelque odieuse parole. Puis, il l’a tendu à son lecteur – votre serviteur !-, et quand celui-ci l’ouvrit, le diable s’en échappa furieux pour se retourner contre lui, et le dévorer. Le lecteur, couillon de l’écrivailleur !

Car, n’exister que dans les livres, le Courbe le refuse, Il exècre passer pour poésie et vanités !… Enfin, vanités, passe encore, mais POÉSIE, les bras Lui tombent ! Ça dépasse l’entendement.

Alors que vous autres, Gouttes de rosée, que je vois ruisseler des branches en infimes cascadelles, vous qui vous dites (contrefaisant la voix) : « Nous sommes les larmes qui n’ont pas été versées. Tout cœur, avec l’âge, devient froid de sorte que, gelées, les larmes non versées deviennent si rudes, à la façon d’un pic à glace, qu’elles le transpercent de part en part. Voilà ce que c’est que de ne pas vouloir épancher un cœur trop lourd ! », vous n’attendez que ça !

Peer, si tu m’entends, je te somme de livrer tes péchés au diable avant que ceux-ci ne te percent le cœur, de sorte à ce que le démon les portassent, ornements suprêmes, en sautoir… Roule, petit bouton d’homme, passé troll en contrebande, bouton qui a sauté, (sur la redingote trop tendue du ventre si pansu de la Vie). Foulé aux pieds par des manants égarés, des gamins l’ont ramassé comme un trésor, et enterré si profondément… qu’ils ne l’ont plus retrouvé, le jour d’après. Un fossoyeur ! Un fossoyeur ! Aslak, Helga, Kari, qu’on m’apporte un fossoyeur, et que son œuvre soit digne du défunt Peer ! Le baromètre de la vertu est descendu au plus bas - révérence parlé (il rote). La réalité est non interprétée…

Allons, oyez, oyez, braves gens, torves et goitreux… qu’on me serve un broc, une pinte, n’importe quoi qui fera refleurir un gosier sec comme le sable du Sahara, les hommes de science ne disent-ils pas que l’alcool a déterminé l’évolution de l’homme, alors, buvons, buvons encore pour accélérer la mutation inachevée ! Et que la musique couvre le bruit des pleurs et des fantômes, que la musique couvre le bruit des armes et des chutes ! (En levant un flacon qu’on vient de lui tendre) La sagesse est au fond de la bouteille, c’est bien vidée qu’elle montre son cul ! Rions, rions ensemble ! (Il ne rit pas). Et buvons. Je porte un toast au monde gyntien, (il boit) à l’alcool frelaté aussi… (jette la fiole).

Voici du songe en monnaie de singe. Que vous la payiez en slotis, en berguens, en dinar ou en boisson, en quelque monnaie que ce soit, aucun droit de passage…, vous trouverez une œuvre prête à vous faire la nique. À la manœuvre Neck, pour vous saisir la main et vous faire danser la gavotte avec ses sales malices, et méchancetés sans nombre. Gavez-vous de ces friandises, qui pourrissent les dents, et vous les font tomber parce qu’à la place de votre rire légendaire, vous n’aurez plus qu’un gros trou noir sans fond, béant à la lune. Joie, rires et larmes, enfin, par les temps qui courent, dans ce monde de terreur, ça fait du bien, chevaucher un gros cochon, chanter l’ivresse ; vivez un peu grâce aux aventures de « Peer Gynt », par notre regretté Ibsen, Henrik Johan…

Sortez-vous les doigts, entrez, et réjouissez-vous du peu de temps que la Vie vous consacre encore, allez pêcher à l’hameçon le mensonge : applaudissez au spectacle régaliciomètre de « Peer Gynt ».

Mais avant, saviez-vous qu’à la suite de son séjour au Caire, celui-ci a écrit un traité qui s’appelle « De l’âme des fous » ? Il y écrit que les fous veulent remplacer le soubassement du monde, et ils y parviennent. Pour le savoir, courez-y et, en chemin, ne perdez pas votre pantafroc !

Jean-Baptiste Kiya


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