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Il était une fois... La mosquée de Saint-Denis

mardi 24 février 2009, par Georges Gauvin

Toutes les versions de cet article : [Kréol réyoné] [français]

30 novembre 1905 : il fait déjà nuit sur Saint-Denis. La rue du Grand Chemin grouille de monde : hommes, femmes, Indiens, commerçants, chefs de service affublés de leur casque colonial, d’autres portant fièrement leur fez. Ils arrivent en groupes, en flots humains comme papillons attirés par la lumière. Guirlandes électriques, marbres brillants, ce soir, c’est la fête, ce soir, on inaugure la première mosquée de La Réunion.

Enfin, le bout du tunnel

Pour tous les musulmans vivant chez nous, le jour est important, parce que tous ensemble, épaule contre épaule, ils vont pouvoir dire leur prière dans la maison de Dieu. Ajouter à cela qu’il s’agit de la fin du Ramadan, mois de jeûne, mois de prières, mois à vivre d’un bout à l’autre suivant la volonté d’Allah. Maintenant, c’est la fête et les cœurs sont remplis de joie. C’est aussi jour de partage avec ceux qui manquent de tout : ce soir, au moins, l’argent et le riz ne leur manqueront pas.
Et puis, on peut dire que pour les musulmans, voici venu le bout du tunnel, la fin de l’exil ! La mosquée à Saint-Denis, c’est un symbole, le signe que Dieu est ici, avec les fidèles : un signe fort qu’ils ont désormais une terre pour leur famille, pour les enfants de leurs enfants. Enfin, ils ont pris racine quelque part, et c’est sur la terre de La Réunion.

Le dur chemin de l’exil

Leur reconnaissance pour Dieu est encore plus vive lorsqu’ils refont dans leur tête la route semée d’embûches qui les a conduits de leur Goujrat natal dans une île perdue dans l’océan Indien. Ils se revoient, jeunes encore, sur le pont d’un bateau, ou même à fond de cale ; Les muscles et l’ardeur au travail ne servent à rien dans leur terre d’origine… si grande est la misère. Si bien que l’exil est apparu aux jeunes comme la seule voie de salut... Au revoir Sourate, Broach, Kolwad, Quator, Rander, Panoli, noms de villes, ou de lieux qui sonnent encore à l’oreille. Au revoir, ou adieu, car nul ne sait s’ils reverront encore un jour la terre où ils sont nés.
Cela se passe dans les années 1880 et leurs parents sont si pauvres qu’ils peuvent tout juste leur payer une mauvaise place sur un infâme rafiot... avec l’amour de Dieu au cœur et dans la poche l’adresse de quelqu’un venant du pays et déjà installé là-bas sur cette terre inconnue... Le voyage est long et dure longtemps : plus d’un mois… un mois à boire de l’eau saumâtre, un mois à se faire tanner la peau au soleil, un mois où on a l’impression que même la chair prend un goût du poisson salé... Un jour, avec la grâce de Dieu, après être passé par l’île Maurice, voici enfin la terre promise, La Réunion… le terminus et le but de votre voyage.

Une vie nouvelle, un nouveau parcours !

Là commence une vie nouvelle, un nouveau parcours : on devient commis dans le commerce d’un goujrati, d’un bon musulman, enfin « un zarab », selon le vocabulaire des gens du pays. Le travail ne manque pas : de l’aube à la nuit tombée, à ranger, balayer, enrouler le tissu, le transporter sur la tête pour aller chercher les clients jusqu’à chez eux. Mais au moins, l’on a un toit et de quoi manger.
Ainsi les années avaient-elles passé, ainsi avaient-ils pu engranger des économies. D’autres musulmans les avaient aidés à s’acheter un petit commerce, à se marier avec une fille créole, ou bien l’on est allé chercher la promise au pays. Les commerces avaient prospéré, des enfants étaient nés des unions et, tous ensemble, les enfants du Goujrat avaient peu à peu bâti une mosquée, une bien belle mosquée.

Mais cela ne s’est pas fait sans difficultés

Parfois, au moment où l’on s’attend le moins, les choses se gâtent : déjà, pour avoir l’autorisation de construire, il a fallu user de diplomatie, faire écrire une lettre d’une politesse incroyable, associant des sourates au prophète Jésus-Christ (un prophète également pour les musulmans !) et des politesses à l’intention des autorités, et ainsi la mosquée était sortie de terre, et en 1905, elle était prête pour son inauguration.
Mais voilà qu’un journal local s’était mis à les attaquer : « trop d’enfants », « responsables des problèmes du pays », “péril asiatique ». Un pays en difficulté cherche un coupable, et les coupables, c’était eux, les immigrés du Goujrat, les derniers arrivés. Rien de nouveau sous le soleil, mais le temps, s’il n’efface pas les blessures, les rendent plus acceptables.

Une couleur de plus dans l’arc-en-ciel réunionnais

On était donc en 1905 ! Depuis, les immigrés du Goujrat et leurs descendants ont appris à parler le créole, puis le français. Ils ont participé au partage des cultures ! Ils ont vécu avec les autres Réunionnais les bons et mauvais moments. Ils ont connu le cyclone de 1948, la guerre, la grippe espagnole. Il y a encore dans cette population des commerçants, mais aussi des professeurs, des avocats, des médecins, des employés de bureau, de grands personnages et des gens modestes.
Il y a plus d’un siècle, ils sont venus du Goujrat, pour ajouter une couleur de plus — celle de l’Islam —à l’arc-en-ciel réunionnais.

G et R. Gauvin


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