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Rassemblement et confrontation : une dimension historique

samedi 2 avril 2011, par Geoffroy Géraud-Legros


Trop souvent réduit à la dimension triviale des individus et du discours, le jeu politique réunionnais d’hier et d’aujourd’hui se construit en réalité en fonction des courants profonds qui animent la structure économique, sociale et culturelle réunionnaise.


Peu d’observateurs prédisaient une réelle longévité à la majorité plurielle — vite surnommée « zembrokal » — formée il y a trois ans autour de Nassimah Dindar. La réunion de ces élus, issus du PCR, du PS et de formations identifiées à droite, répondait à une tentative de prise de pouvoir organisée en coulisse par Didier Robert et menée, au grand jour, par Jean-Louis Lagourgue. L’issue des élections cantonales, marquée par l’application à peu près généralisée de pactes de bonne conduite entre les formations politiques présentes à l’Assemblée départementale, montre une pérennité inattendue d’une formule qui, en plus d’être jugée peu viable, a subi un nombre impressionnant d’attaques et de déstabilisations.
Deux éléments majeurs peuvent expliquer cette longévité : d’une part, la radicalisation de la politique inspirée par Nicolas Sarkozy. De l’autre, les caractéristiques objectives des formations qui composent la majorité plurielle. Représentantes de diverses forces sociales façonnées par l’histoire réunionnaise, celles-ci peuvent, malgré d’évidentes différences, trouver un terrain commun dans l’exercice des responsabilités.

Diversité politique héritée

Historiquement, le PCR, plus vaste formation politique réunionnaise, est au confluent de forces sociales issues du monde ouvrier et de la paysannerie. Le déclin de ces deux dernières catégories sociales ne s’est pas traduit par une diminution de la surface électorale et militante du Parti communiste réunionnais, qui, à l’inverse d’autres formations communistes dans le monde, a gagné en audience après la fin de la Guerre froide. Le PCR présente aujourd’hui le visage d’une formation qui demeure solidement ancrée dans le mouvement social, dont l’électorat se recrute tant dans les classes populaires que dans les classes moyennes, employées aujourd’hui dans les services. Cette large audience s’explique par un militantisme actif, la réalisation de projets d’intérêt collectif, mais aussi par la dimension culturelle de l’action des communistes, qui fait du PCR un parti véritablement « Réunionnais ». Les composantes revendiquées de droite « sociale » ou « centristes » susceptibles de s’allier aux forces de gauche se composent quant à elles des porte-paroles de la classe des entrepreneurs et commerçants réunionnais, dont les intérêts matériels et moraux sont profondément ancrés dans l’Histoire et le marché réunionnais. Les labels de cette droite « endémique » regroupent particulièrement les petits commerçants, ou des entrepreneurs agissant sur le marché réunionnais. S’il n’a peut-être pas l’homogénéité d’une classe, ce groupe social peut se retrouver dans la défense d’un marché proprement réunionnais.

Convergences contemporaines

Un intérêt qui, en période de crise, peut rejoindre ceux des ouvriers, dans la défense de l’outil de production et de l’emploi local face à l’appétit des grandes entreprises de l’Hexagone et du capital mondialisé : c’est ainsi qu’on a pu voir ouvriers et patrons du BTP manifester contre la casse du secteur, planifiée depuis Paris. Le Parti socialiste a une assise forte dans la fonction publique, et regroupe une sensibilité plus attentive à une lecture « métropolitaine » des enjeux politiques. À noter, comme le faisait apparaître une étude produite l’an dernier, que le vote socialiste a tendance à être plus fort dans les tranches de population aux revenus les plus élevés, qui correspond à certaines strates de la fonction publique. Le vote communiste est, en terme de tendance, plus présent dans les couches de la population aux revenus moindre, ainsi que dans les couches moyennes plus basses.

Intérêt réunionnais contre intérêt des monopoles : l’histoire longue de La Réunion

L’intensification des attaques contre l’État social et le rétablissement des monopoles issus de l’ère coloniale créent un objectif commun de ces trois composantes politiques. Arrêter les attaques contre le statut des fonctionnaires ; défendre les planteurs, les ouvriers, les chômeurs ; enrayer l’offensive contre la culture réunionnaise ; protéger les marchés locaux et la possibilité d’une économie et d’un marché du travail réunionnais : autant de causes dans lesquelles des forces politiques d’identité et de cultures différentes peuvent trouver un dénominateur commun, et converger vers la construction d’une alternative progressiste proprement réunionnaise. En face, on trouve une composante à la présence séculaire, alliée historique des monopoles hérités d’une histoire modelée par les flux coloniaux de personnes, de capitaux et de marchandises. Fidèles à leur destinée historique, ses incarnations contemporaines combattent toutes les initiatives qui pourraient remettre en cause une structure qui perpétue la domination économique de l’ancienne puissance coloniale. Cette vocation est visible à l’œil nu : la suppression du train, des énergies renouvelables n’est rien d’autre qu’une restauration de la puissance du monopole pétrolier et celle, corrélative, du lobby automobile à La Réunion. Cette orientation économique a pour corollaire l’assimilation culturelle, qui vise à créer des travailleurs déracinés et des consommateurs acculturés.
C’est donc une logique profonde qui commande tant le rassemblement que la confrontation. Inscrite dans le courant de l’histoire économique, politique et sociale de notre pays, elle dépasse les questions individuelles auxquelles on assigne souvent les évolutions du jeu politique réunionnais.

Geoffroy Géraud-Legros


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