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par le Dr Raymond Vergès

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Risham Badroudine : « 19 mars 46-19 mars 2016 : La nécessité de tout changer »

Les interventions à la conférence du PCR célébrant le 70e anniversaire du statut colonial

lundi 21 mars 2016


Second intervenant à la conférence du PCR du 19 mars, Risham Badroudine a présenté le contexte de La Réunion au lendemain de la Seconde guerre mondiale.


Risham Badroudine

La Seconde guerre mondiale éclate et déchire l’Europe. A la fin de la guerre un nouvel ordre mondial s’établit. L’Europe est meurtrie. La France, quant à elle, doit se reconstruire tant sur le plan humain, matériel que politique.

Dès 1941, la Charte de l’Atlantique est adopté par le président américain Franklin Rossevelt et le Premier ministre anglais Winston Churchill dont l’article 3 déclare : « Ils (Roosevelt et Churchill) respectent le droit des peuples à choisir la forme du gouvernement sous laquelle ils souhaitent vivre ; et ils souhaitent voir le droit de souveraineté et l’autodétermination restauré à ceux qui en ont été privés par la force. »

La résolution des Nations Unies de 1952 demande aux pays membres qui possèdent des territoires sous tutelle, c’est-à-dire les puissances coloniales (Royaume-Uni, France, Belgique, Portugal…), de laisser les peuples colonisés disposer d’eux-mêmes. L’ONU demande aux puissances coloniales de mener leurs colonies vers la décolonisation.

En France le 31 août 1944, alors que les troupes alliées se battent encore sur le sol français, le général de Gaulle forme le premier gouvernement provisoire. Il compte deux communistes (François Billoux et Charles Tillon). Le 13 novembre 1945, le deuxième gouvernement du général de Gaulle est caractérisé par l’entrée de cinq ministres communistes (Maurice Thorez, Ambroise Croizat, François Billoux, Marcel Paul et Charles Tillon). Les ministres communistes vont devenir acteurs de l’invention sociale, provoquant une véritable cassure dans la manière d’envisager une nouvelle politique au service de l’humain.

A La Réunion de 1939 à 1945 La Réunion est coupée du monde. Elle devra trouver des solutions pour se nourrir, se vêtir, se soigner seule.

Avant la guerre l’économie réunionnaise était au service du pays colonisateur, la France, et non pour satisfaire les besoins vitaux de la population notamment alimentaires. Elle exporte principalement les produits de la canne à sucre ainsi que la vanille et les essences :

SucreRhumVanilleEssence de géranium
Principale exportation en tonnes 113 000 29 000 64 106

La Réunion importe une bonne partie de ses denrées alimentaires notamment de Madagascar. La guerre a entrainé le blocus presque total. Dès lors tout manque, à commencer par le riz aliment de base.

La famine

En 1943, La Réunion, qui compte 225 000 habitants, a évité de peu la catastrophe alimentaire grâce à l’arrivée de plusieurs milliers de tonnes de riz et de légumes.

Les exportations souffrent du blocus : le sucre s’entasse dans les hangars de stockage. Pour faire face au manque de denrées alimentaires, la culture de la canne est remplacée par celle du maïs, des grains, le manioc et autres racines. La production du sucre tombe ainsi de 113 000 tonnes en 1940 à près de 13 000 en 1944. Il en est de même pour les autres exportations de l’île. A partir de 1946, le manioc va devenir l’aliment de base des Réunionnais et pour plusieurs années. Aujourd’hui encore, nous avons honte de ces tubercules qui dans la mémoire collective des Réunionnais rappellent la violence de la misère de l’époque.

Le rationnement

193819431946
15 Kg 12 Kg 9 Kg

Ration de protéines (viandes et poissons par habitants et par an en kilos)

Le problème de ravitaillement rendu aiguë par l’absence de production locale (tissus, vêtement, médicament…) et la rupture des communications maritimes ordonnent la mise en œuvre d’une politique de rationnement et avec l’instauration d’une carte d’alimentation. Les produits comme le pain, le riz ou encore l’huile étaient également rationnés à partir de 1941.

Les tickets d’alimentation distribuée aux familles fixaient les rations en fonction de critères définis tel que l’âge ou la profession.

Au niveau social la carence alimentaire entraine des conséquences graves sur le plan de la Santé publique : la variole, le paludisme (33 % de la mortalité), la tuberculose, la diphtérie et le tétanos constituent autant de fléaux supplémentaires et le taux de mortalité infantile bât des records.

La ration alimentaire des Réunionnais, déjà réduite avant la guerre, est désastreuse au lendemain de celle-ci. À titre de comparaison, le Français moyen disposait de 25 kilos de viandes par habitant et par an en 1946 contre 9 kg pour le Réunionnais.

La faiblesse de la production agricole, la carence en engrais et machines constituent autant de facteurs aggravant.

La diversification de l’industrie

L’industrie doit se diversifier et installer des petites unités économiques (huilerie, savonnerie…) pour satisfaire les besoins courant de la population.

Dans le bâtiment, pour faire face à la pénurie de ciment, les habitants inventent un mortier à base de chaux et de sucre de canne (école de Joinville, Saint-Denis). Le troc remplace le commerce officiel.

Mais surtout la solidarité se crée entre Réunionnais de divers origines. La lutte elle aussi continue pour de meilleurs lendemains. En 1944, le premier numéro de Témoignages sort sous la direction de Raymond Vergès.

Une île exsangue au lendemain de la guerre

Cependant, malgré les efforts, les rationnements, l’ingéniosité et la solidarité des Réunionnais, la situation est désastreuse. Ces années de misère sont encore dans les mémoires des anciens.

Au lendemain de la 2e guerre mondiale, La Réunion compte :

- un taux de mortalité parmi les plus élevés au monde à cause, notamment, de la sous-nutrition

- un trafic maritime très en deçà de la situation de 1939 : 131 navires en 1939, 56 en 1946.

La quantité de marchandises débarquées sur l’île est inférieure de plus de 60 % à la situation d’avant guerre. De plus en plus d’assiettes sont vides, surtout dans les familles pauvres.

- une mortalité infantile de 180 pour 1000, alors qu’en 2010 par exemple il est de 7 pour 1000, et c’est encore le taux le plus élevé de France, Dom y compris.

- une espérance de vie de 48 ans, alors qu’aujourd’hui elle est de 82,7 ans pour les femmes et de 74,9 pour les hommes.

- 29 médecins pour les 240 000 habitants, ramené à l’unité cela fait environ 1 médecin pour 10 000 personnes soit l’équivalent d’une commune comme Trois Bassins (+ 7050) ou les Avirons (+ 10 600).

- quasiment pas de route goudronnée (130 km) et d’écoles, à peine 10 % des maisons sont raccordées aux réseaux d’eau et d’électricité, on « charoye de l’eau » à la tête, on s’éclaire à la lampe pétrole.

Face à cette situation, les Réunionnais ne mettent pas leur sort au décideur parisien et se prennent en main c’est ce que nous expliquera la prochaine oratrice.


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