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par le Dr Raymond Vergès

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’Tout enfant qui meurt de faim est assassiné’

’Le marché de la faim’, d’Erwin Wagenhofer

lundi 9 juillet 2007


« Étant donné l’état actuel de l’agriculture dans le monde, on sait qu’elle pourrait nourrir 12 milliards d’individus sans difficulté. Pour le dire autrement : tout enfant qui meurt actuellement de faim est, en réalité, assassiné », a déclaré Jean Ziegler, rapporteur auprès de l’ONU sur le droit à l’alimentation.
“Le marché de la faim” est un documentaire directement inspiré de cette pensée. Comme nous n’avons pas encore la possibilité de le voir dans l’île, cet article doit beaucoup à celui d’un confrère, Jean-Luc Douin, critique de cinéma.


Les grandes firmes de l’agroalimentaire ont un mode d’exploitation intensive du sol qui a des conséquences écologiques et sociales désastreuses.

Réalisé par Erwin Wagenhofer, journaliste et cinéaste, “Le marché de la faim” (1h36) montre comment le capitalisme tel qu’il fonctionne - ou dysfonctionne - affame des millions de gens sur la planète alors que, comme le dit très bien Jean Ziegler, nous produisons largement de quoi nourrir 12 milliards d’êtres humains. Et nous ne sommes encore “que” 6 à 7 milliards.
Mais les grandes firmes de l’agroalimentaire ont un mode d’exploitation intensive du sol qui a des conséquences écologiques et sociales désastreuses.
Ce documentaire lucide montre le chaos qu’est la production mondiale des aliments, et comment elle fabrique la pire des injustices - celle qui fait mourir de faim - et la pollution, qui détruit la planète.
On y voit comment les manipulations politiques couvrent les manipulations génétiques, dans une dénonciation efficace de l’extrémisme de la consommation et du libre-échange. Tel celui de l’Autrichien Peter Brabeck, PDG de Nestlé (leader mondial du secteur de l’eau en bouteille), qu’on voit à la fin du film s’en prendre aux ONG qui veulent voir l’eau reconnue comme un droit public. Aux penseurs qui disent qu’« en tant qu’être humains, vous êtes en droit d’avoir de l’eau », ce patron sans scrupule rétorque : « l’eau est un aliment, elle devrait donc avoir une valeur marchande ». Et le tragique est que ce n’est pas la politique actuelle de la PAC qui va nous sortir de cette ornière.

Les mécanismes du gaspillage

Ce film est à la fois redoutable et indispensable parce qu’il montre de façon sobre les mécanismes du gaspillage. Chaque jour, à Vienne, les grandes chaînes de la boulangerie détruisent 20% à 25% de leur production, « soit l’équivalent de la consommation quotidienne de la ville de Graz », 2e ville d’Autriche, dit le documentaire. Une partie de ces déchets est donnée aux cochons, le reste prend le chemin de la décharge ou des incinérateurs d’ordures... qui, eux aussi, polluent. Ce n’est qu’un exemple, symbolique, de l’incohérence de la politique alimentaire mondiale. Un autre exemple d’absurdité assassine vient du Brésil, qui produit annuellement plus de 100 millions de tonnes de céréales, dont la majeure partie est destinée ... au cheptel des pays européens ! On a détruit depuis 1975 l’équivalent en forêt amazonienne de la surface de la France et du Portugal réunis, pour faire pousser des cultures dont les habitants de l’Amérique latine - qui souffrent encore de malnutrition chronique - ne profitent en rien !
Puis le cinéaste nous emmène en Bretagne (France) où un pêcheur de Concarneau, qui n’a pas de sonar sur son bateau, sait à la minute près, en observant la lumière, quand il faut jeter ses filets. Le film montre la différence entre le turbot qu’il vend sur le marché et les poissons drainés par les pêches industrielles, dans les grands fonds. Elle est visible à l’oeil nu, elle se vérifie au toucher. D’un côté la bête frémissante du pêcheur breton, de l’autre ces cadavres aux yeux explosés par la pression dans les nasses géantes. Ces poissons-rats, qui « ne sont pas faits pour être mangés, mais pour être vendus ».

La fabrique de la malbouffe

Et ainsi de suite... Pendant plus d’une heure et demie, nous voyons ce qu’il faut combattre tous les jours : comment, on fabrique la malbouffe - « les tomates produites en serres dans le sud de l’Espagne sont-elles encore le fruit d’une plante ? », demande J-L Douin. Les manipulations génétiques qui, par exemple, condamnent depuis la Roumanie les producteurs mexicains de maïs à n’être plus que des réfugiés économiques dans leur propre pays. Comment les producteurs de la planète sont étranglés par des firmes géantes et comment les consommateurs sont enrôlés malgré eux - s’ils laissent faire - pour servir les intérêts d’une poignée de rapaces.
En attendant que la télévision ou le cinéma d’art et d’essai nous permettent (peut-être) de voir un jour ce documentaire à La Réunion, Erwin Wagenhofer a publié sous le même titre, avec Max Annas, un livre paru à Actes Sud (et malheureusement très cher : 192 pages, 20 euros... c’est l’autre façon « d’affamer » le genre humain), où il s’interroge sur ce qu’on nous fait manger, sur le sens de la “fuite en avant” économique appelée “mondialisation”, qui tue plus que les guerres. « Pas de crabe dans la “chair de crabe”, pas de fraise dans le “yaourt à la fraise”. Le poulet qu’on nous fait manger est-il encore un animal ? Quelque chose ne tourne pas rond sur notre planète ».

P. David


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