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par le Dr Raymond Vergès

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Des rituels après tout réunionnais

Sociologue de l’interculturalité

jeudi 20 juillet 2006


Enseignant chercheur, Yu-Sion Live donne des cours de sociologie de l’interculturalité à l’Université de La Réunion, il s’apprête à faire une communication sur le “Servis Zansèt” à La Réunion lors du Congrès mondial de sociologie.


Au sein du laboratoire de Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Construction Identitaire, quel est le sens de votre recherche ?
- Yu-Sion Live : Moi je m’intéresse à l’interculturalité, au métissage, au syncrétisme, à la créolisation, appelez ça comme vous voulez. Je travaille aussi bien sur les gens que sur les instruments de musique, à la recherche de parentés culturelles entre les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien. Les instruments voyagent, changent de nom, changent de matériaux, changent de sons... Il y a le kayamba en Afrique de l’Est, kayanm à La Réunion, Maravane à Maurice, Raloub à Madagascar.

"Le “sinwa” n’est plus un Chinois, il est Réunionnais"

- Quand je filme le mythe des caïmans à Madagascar, il y a de la musique, du chant, des battements. La musique est un champ d’entrée. Mais je m’intéresse bien sûr aux hommes. Les migrants chinois que j’interroge, si les anciens parlent en chinois, les plus jeunes utilisent le créole, et le créole parfois mieux que le français. C’est cette approche qui m’intéresse. Le “sinwa” n’est plus un Chinois, il est Réunionnais. Pourquoi une semaine pour Guan Di ? Pourquoi ce retour, ce renouveau ? À quoi sert une conférence sur Confucius ? Cela n’est pas vraiment parlant dans notre métissage. Si certains Réunionnais sont dits “chinois”, c’est qu’ils sont victimes du regard des autres, de la société. Stigmatisés, peut-être se disent-ils alors, je suis Chinois, je vais retourner en Chine. C’est pareil pour Dipavali, ou pour certains Malgaches qui procèdent à un retour à Madagascar.

C’est pour cette raison que le film sur lequel vous travaillez s’intitule “Servis zansèt” et non pas “Servis Malgas”, ou “Sevis Kaf”, “Servis Kabaré” ?


- Pour moi, le Servis Malgas comme on dit, est un Servis Zansèt, un servis réunionnais. Les Malgaches à qui je montre mes films ne se reconnaissent pas dans ce rituel. Chez eux, il est très rare que ce soit une femme qui offre des offrandes par exemple. Bien sûr il y a des éléments cultuels qui concordent comme la pleine lune, ou autres. Mais c’est un service réunionnais où il y a de nombreux apports catholiques, malbars... L’objet de ma communication au Congrès mondial de sociologie (voir encadré) est bien de montrer que l’adoration des ancêtres est universelle, mais qu’il existe une manière réunionnaise de la mener. Pour les officiants à La Réunion, dont beaucoup retournent à Madagascar, c’est un service malgache. Mais les Malgaches n’utilisent pas de statuettes dans les rituels, ils les vendent aux touristes. À La Réunion, nous sommes face à une création, c’est vraiment intéressant au niveau de la production artistique, culturelle, cultuelle.

"Le servis dit malgache est Réunionnais"

- Je dis Servis Zansèt et pas Servis Kaf, car les pratiquants sont métissés. Par ailleurs, nombre d’entre eux pratiquent le samblani, marchent sur le feu, ont un boukan comorien, un boucan malgache sur lequel trône une croix... C’est typiquement réunionnais. Si on creuse un peu, on découvre que la personne qui officie a un grand-père maternel chinois et une grand-mère maternelle kaf. Où est la kafrité ? Où est la malbarité ? Elle est réunionnaise ! En plus, avant son service, elle va dire une messe pour le défunt, elle dépose une gerbe à la croix Jubilé... Où est le côté malgache ? Même si tout le monde l’affirme. Je rejette aussi le mot Servis Kabaré, car il est plus attaché au côté festif, au maloya traditionnel qui résonne toute la nuit à partir de 21 heures et qui n’est plus le maloya rituel, celui qu’on joue au moment du sacrifice du coq et du bœuf. Je m’intéresse beaucoup à ces chants-là dont personne ne détient plus la signification littérale. On sait seulement quand les chanter, pourquoi, en quelle occasion. Ils ont été transmis oralement. Ce ne sont plus des chants malgaches, mais des chants en malgache créolisé. J’essaie, en les étudiants, de comprendre le processus de créolisation. Depuis 7 ans que je filme, j’ai des masses d’archives, surtout sur la zone Est.

Le Servis Zansèt est-il très vivant dans la société réunionnaise d’aujourd’hui ?

- En interrogant les pratiquants, j’apprends qu’avant, le Servis était plus court, il ne dure pas 24 heures comme aujourd’hui. Il a toujours eu lieu un samedi. Aujourd’hui, il faut l’autorisation du Commissariat de police, car les soirées rassemblent jusqu’à un demi millier de personnes. La grande période des Services, c’est en octobre, en novembre et en décembre, ce qui correspond à la fin de la coupe. Mais il y en a aussi tout au long de l’année, de temps en temps, pour rendre hommage à un ancêtre mort.

"On se cache moins"

Et puis, chaque famille l’organise à sa manière. Il y en a dans toutes les régions de l’île, surtout dans l’entourage des usines. On se cache moins pour le faire. Avant, si on mettait le mangé sous la table, c’était parce qu’on le faisait en cachette. Il n’y avait pas de musicien pour la même raison. Avec la législation sanitaire et le renouveau de ces 10 dernières années, il ne serait pas étonnant qu’on les oblige bientôt à passer par l’abattoir pour leurs offrandes. Peut-être qu’un jour ils ne pourront plus faire de Servis. Il est difficile de chiffrer le nombre de pratiquants ou de cérémonies, car elles sont individuelles. En plus, toutes les familles ne font pas un Servis tous les ans. Un Servis, ça coûte cher. Il est très difficile de faire un recensement. Il semblerait qu’il y ait même des gens qui installent des boucans dans leur appartement et y sacrifient des coqs. Mais ça, moi, je ne l’ai pas encore vu.

Le Servis Zansèt est-il présent dans les îles voisines ?

- À Maurice, je ne l’ai jamais vu, mais il est attesté par la tradition orale. Aux Seychelles, il n’y en a pas. Dans l’Archipel des Comores, on le retrouve, surtout avec les Djinns.

Entretien réalisé par Francky Lauret


En Afrique du Sud à la fin du mois

16ème Congrès mondial de sociologie

Tous les Sociologues du monde entier, de toutes les langues, vont se retrouver en Afrique du Sud, à Durban, du 23 au 29 juillet pour le 16ème Congrès mondial de sociologie organisé par l’Association Internationale de sociologie. Ce Congrès a lieu tous les 4 ans et rassemble entre 3.000 et 4.000 sociologues.


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Messages

  • Très intéréssant ce que vous dites mais le côté mystique dominera toujours. Plus les années passent plus les hommages aux ancêtres deviennent différents. Ils existent beaucoup de concurrences, a certain endroit on ne trouve plus le plus important le RESPECT. Et pourtant c’est quelque chose que j’adore que j’ai grandi dedans mais je n’arrive pas a m’y faire de cette mentalité que les gens ont aujourd’hui de cette tradition.Aujourd’hui c’est plus la valorisation de soi même le côté ancestral n’est plus prioritaire.

    Pratiquement tout les samedi je me rend dans les kabarés j’ai l’occasion de voir tout ce que je dis mais c’est pas pour autant que je les critiques pour moi c’est le respect des ancêtres avant tout.


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