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par le Dr Raymond Vergès

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’Une chasse aux nègres-marrons’, de Théodore Pavie — 19 —

Nout mémwar

vendredi 13 juillet 2012


Voici le dix-neuvième extrait d’un texte de Théodore Pavie, un écrivain, voyageur et botaniste angevin, venu à La Réunion entre 1840 et 1845. Ce texte, que nous a transmis notre ami Jean-Claude Legros, est intitulé : ’Une chasse aux nègres-marrons’ et il est paru la première fois dans ’La Revue des Deux mondes’ en avril 1845. ’Témoignages’ publie chaque vendredi dans cette chronique ’Nout mémwar’ un extrait de cette œuvre, qui retrace une partie de l’histoire de Quinola, l’un de nos ancêtres chefs marrons. Cela, à partir d’une visite ’touristique’ d’un docteur et ses amis dans les Hauts de l’île, avec Maurice, un ’guide créole’. Celui-ci leur raconte son aventure sur « le plateau des Palmistes, c’est-à-dire le camp des noirs marrons », où il organise une chasse contre Quinola et d’autres esclaves rebelles.


Enfin il nous arriva un cri si perçant, que mon père se décida à ajuster la tête du Malais dès qu’il la distingua nettement. Deux fois il redressa le canon de son fusil ; deux fois, pâle et tremblant, il l’abaissa dans la direction que suivaient nos regards. Le coup partit, et un rugissement hideux qui en fut la réponse nous fit frissonner. Sans aucun doute le Malais était blessé ; nous le vîmes bondir et saisir avec ses dents le bras de son adversaire qui lui serrait la gorge, enlacer ses jambes dans les siennes et l’entraîner au bord du précipice. Mon père brisa son fusil avec rage, et à ce moment-là je fermai les yeux.

Quand je les rouvris, je vis tous mes compagnons qui se penchaient sur le torrent sans prononcer un seul mot ; j’allongeai la tête, et je ne distinguai rien que l’écume de l’eau qui bouillonnait, je n’entendis rien que le bruit des cascades, qui montait d’en bas. Nous restâmes là quelque temps encore, comme pour dire adieu à notre compagnon et puis nous reprîmes la route de nos quartiers.

Nous traversâmes tristement les plaines, les ravins, les sentiers pénibles que nous avions parcourus les jours précédents avec une joyeuse ardeur. Celui que nous venions de perdre dans la campagne ne laissait point de famille après lui ; mais c’était un bon compagnon, un de ces anciens créoles des hauts de Saint-Benoît qui aiment à se plonger dans les parties solitaires de l’île, qui s’entendent à pêcher dans les baies, dans les bassins profonds des rivières, aussi bien qu’à dépister les chèvres sur les mornes.

À mesure que nous descendions vers le village, chacun se séparait pour regagner son toit. Mon genou enflait à vue d’œil, et cependant, comme je touchais au terme de ma course, la douleur et la fatigue ne m’empêchaient point de hâter le pas. Pour nous, messieurs, qui ne faisions jamais de grands voyages, une expédition de quelques jours dans le creux de ces montagnes inhabitées équivaut presque à une campagne lointaine ; l’absence nous semble longue. Quand j’aperçus les cases du hameau disséminées sous les arbres, à travers les jardins, sous un beau soleil, à mi-côte, en face d’une mer étincelante, je sentis mon cœur se gonfler. Puis, il me vint à l’esprit que bien des choses avaient dû se passer pendant cet intervalle, et à la joie du retour se mêla une inquiétude que je ne pouvais surmonter.

(à suivre)


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