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par le Dr Raymond Vergès

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’Une chasse aux nègres-marrons’, de Théodore Pavie — 2 —

Nout mémwar

vendredi 16 mars 2012


Voici le second extrait d’un texte de Théodore Pavie, un écrivain, voyageur et botaniste angevin, venu à La Réunion entre 1840 et 1845. Ce texte, que nous a transmis notre ami Jean-Claude Legros, est intitulé : ’Une chasse aux nègres-marrons’ et il est paru la première fois dans ’La Revue des Deux mondes’ en avril 1845. ’Témoignages’ publie chaque vendredi dans cette chronique ’Nout mémwar’ un extrait de cette œuvre, qui retrace une partie de l’histoire de Quinola, l’un de nos ancêtres chefs marrons. Cela, à partir d’une visite ’touristique’ d’un docteur et ses amis dans les Hauts de l’île, avec un ’guide créole’, à la recherche d’une grotte pour y passer la nuit…


Un coup de fusil, tiré à quelque distance de l’endroit où nous étions assis, tout en interrompant les réflexions du botaniste, mit en émoi la petite troupe ! ; le bruit de l’arme à feu, répété par les échos de la montagne, s’en allait roulant de roc en roc et résonnait sourdement jusque dans les forêts échelonnées au-dessous de nous. Chacun s’élança du côté où l’explosion s’était fait entendre, et, après avoir traversé un bois assez épais, nous nous trouvâmes sur le sommet d’un escarpement qui bordait un véritable précipice. Le guide essuyait sa carabine et sifflait son chien.
— Eh bien ! Maurice, lui cria le docteur, quel ennemi avez-vous rencontré dans ces parages ?
— Ce n’est rien, répliqua le créole. Avant d’entrer dans la grotte, j’ai voulu m’assurer qu’elle n’était pas occupée. Mon chien sentait quelque chose ; il a fini par aboyer. J’ai armé ma carabine, et j’ai tiré au moment où un noir marron s’enfonçait dans le ravin en s’accrochant aux lianes. Vous pouvez entrer, messieurs ; personne ne viendra vous troubler ici désormais. Aussi loin qu’a retenti ce coup de feu, les maraudeurs sont avertis qu’il y a des blancs sur la hauteur ; ils se tiendront tranquilles.
Un rideau de plantes grimpantes masquait entièrement l’entrée de la caverne ; rien ne pouvait faire supposer que ce ne fût pas un roc tapissé de verdure, et cette retraite solitaire n’avait dû être découverte que par un fugitif réduit à demander un asile à tous les buissons. Nous y allumâmes une lampe dont la flamme se jouait en reflets charmants sur les feuilles découpées, et nous nous étendîmes sur une mousse fine, que le docteur se garda bien de fouler avant d’en avoir examiné à la loupe quelques poignées ; il affirma même, car il était un peu las, que ce frais tapis lui semblait plus mielleux que le velours. Quant à moi, je craignais que le créole n’eût blessé ou tué peut-être ce noir marron qu’il avait chassé de son gîte ; mais il me rassura complètement.
— J’ai tiré à balle perdue, me répondit-il en riant. D’ailleurs, je voulais l’éloigner, lui et ses pareils, voilà tout ; il a d’autres repaires, croyez-le, moins agréables peut-être que celui-ci, mais assez bons encore pour un nègre.

(à suivre)


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