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Libye : les bellicistes à l’Ouest, les pacifistes à l’Est et au Sud ?

Le monde change

samedi 16 avril 2011, par Geoffroy Géraud-Legros


Autour de la crise libyenne se dessine un nouveau clivage international.


Un clivage de plus en plus affirmé se dessine autour de la crise libyenne. Réuni à Doha mercredi dernier, le « groupe de contact » composé des représentants d’anciennes puissances coloniales européennes et de la monarchie qatarie a franchi un nouveau pas dans l’aide aux forces armées qui affrontent le Gouvernement libyen depuis la mi-février.
Commandées depuis la ville de Benghazi, ces dernières occupent toujours les grandes villes de Cyrénaïque (Est). Elles tiennent en particulier la ville-clef de Misrata située à quelque 200 kilomètres de la capitale, Tripoli. La rencontre de Doha tenue sous l’égide de l’Émir du Qatar Hamad bin Khalifa Al Thani constitue une nouvelle avancée diplomatique pour les dirigeants rebelles, dont le statut d’interlocuteur reconnu est désormais confirmé auprès de l’Italie, de la Grande-Bretagne, de la France et du Qatar .
Surtout, le Conseil national de transition (CNT), organe représentatif revendiqué des adversaires du Gouvernement est assuré d’une aide financière officielle via un « Fonds temporaire » dont la dotation n’a néanmoins pas été rendue publique.

Les BRIC montent au créneau

En face, le mécontentment des grandes puissances émergentes s’exprime de plus en plus ouvertement. Lors d’une rencontre entre les États membres du groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) tenue sur l’île chinoise de Hainan, le président russe Dmitri Medvedev n’a pas ménagé les critiques envers les opérations menées sur le sol libyen, fondées selon lui sur des interprétations « de pure fantaisie » du mandat octroyé par les Nations Unies.

Front commun franco-anglais

L’intervention du dirigeant russe a visiblement aiguillonné Nicolas Sarkozy, qui lui a répondu indirectement par la voix de Bernard Valéro, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. L’intervention, tient à rappeler Paris, est légale, « l’action de la France », précise-t-on au Quai, « se situe dans le strict respect de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies d’abord, et dans le cadre d’une mobilisation en faveur de la population libyenne persécutée par Kadhafi, dont le fils avait promis des rivières de sang à son peuple ».
Reste que l’engagement de plus en plus visiblement favorable aux forces rebelles qu’affichent Paris et Londres à rebours des principes affichés par les Nations Unies est loin de faire l’unanimité. L’OTAN est plus circonspecte : là où Nicolas Sarkozy et James Cameron demandent une « intensification des bombardements contre les forces de Kadhafi », le secrétaire général Fhogh Rasmussen se contente de réclamer plus d’avions à ses membres « pour protéger les populations civiles ». Une prudence plus affirmée encore outre-Rhin, où les officiels affirment toujours l’impossibilité d’une « solution militaire ».

Diplomaties offensives

Ce n’est sans doute pas par hasard que les positions les plus bellicistes sont affirmées dans les deux pays européens où les dirigeants ont le plus de difficulté à faire accepter des plans de rigueur particulièrement sévère. Le procédé n’est d’ailleurs pas nouveau au Royaume-Uni, où la guerre des Falklands en 1982 avait permis à Mme Margareth Thatcher de regagner une popularité perdue par l’application de mesures visant au démantèlement de l’État-providence.
Du côté des puissances émergentes, on craint que l’influence d’une diplomatie conquérante des États-Unis ne soit à l’œuvre derrière les révoltes en cours dans le Maghreb. Une appréhension en partie corroborée par de nombreux observateurs, qui pointent entre autres éléments l’activisme des lobbies pro-américaine en Tunisie contre le Gouvernement de M. Ben Ali, le « lâchage » finalement assez rapide d’Hosni Moubarak par les États-Unis, attitudes qui contrastent avec le soutien sans faille accordé par l’administration Obama aux régimes les plus « durs » du monde arabe et en particulier à l’Arabie saoudite. Vladimir Poutine avait d’ailleurs clairement énoncé la conviction selon laquelle « la Russie était la prochaine cible » de cette stratégie. Un sentiment qui trouve un écho à Pékin, où l’on se souvient du rôle joué par les services américains dans les troubles survenus entre Ouïgours et Han en juillet 2009.

Vers un nouveau rapport de puissances

Les États émergents sont de surcroît attentifs au respect de l’intégrité des frontières héritées de la décolonisation. Or, l’histoire contemporaine fournit quelques arguments à ceux qui craignent qu’une sécession des régions orientales riches en hydrocarbures contrôlées par Benghazi soit organisée sous le parrainage plus ou moins visible des États-Unis. Ainsi, les dissociations de territoires en fonction de différences ethnico-religieuses réelles ou supposées ont été encouragées par la
Maison-Blanche en Yougoslavie après 1992. Aujourd’hui encore, en Bolivie, les États-Unis appuient sans presque se cacher les menées séparatistes des provinces du Sud, qui recèlent de considérables ressources gazières. Une stratégie qui a aussi abouti en février dernier à la sécession du Sud-Soudan, largement organisée à Washington pour enrayer la progression des entreprises chinoises dans une zone qui compte près de 80% des ressources pétrolières soudanaise.
Dans ce contexte, la Libye est désormais l’un des points de friction entre les intérêts du Nord et ceux des nouveaux pouvoirs économiques du Sud et de l’Est. La France et le Royaume-Uni feront-ils évoluer l’OTAN vers une ligne plus radicale ? Ou le poids des BRIC pèsera-t-il en faveur d’un règlement politique ? Il serait hasardeux de prédire l’issue du rapport de forces. Ce qui est certain en revanche, c’est que l’enjeu libyen constitue aujourd’hui un point de division clair entre puissances industrielles et puissances émergentes .

Geoffroy Géraud-Legros


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