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par le Dr Raymond Vergès

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Visite avec un coordonnateur de sécurité

Des travaux et des hommes - 1 -

vendredi 28 avril 2006


Un chantier comme celui de la route des Tamarins, avec ses mouvements quotidiens de dizaines de gros engins charroyant des millions de mètres carrés de matériaux - pour les terrassements, le concassage et la préparation des matériaux, le transport, levage etc... - ne se laisse pas approcher facilement.
Même pour raison professionnelle, même avec l’accord de principe du chef des opérations, Jean-Jacques Gueguen, donné spontanément à l’exposé de ce qui lui était proposé, les travaux d’approche ont duré 2 à 3 mois.


Commencé vers la mi-2003 avec plus d’un an et demi de retard sur le planning initial, le chantier connaissait depuis le début de l’année 2005 une montée en puissance remarquable lorsque s’est produit le 17 octobre 2005 un grave accident du travail, sur les soubassements d’un ouvrage d’art non courant, à la ravine Cocâtre. Jean-Marie Picard, maçon-coffreur intérimaire, y a perdu la vie. Ce drame a révélé des failles dans la sécurité ainsi que dans l’organisation des secours, que les différentes sphères de direction ont dû traiter à la fois dans l’urgence et pour le long terme.
Cet accident tragique - le premier en 27 mois de travaux titanesques - est aussi venu rappeler les dimensions de ce chantier, son caractère exceptionnel, et l’injustice qu’il y aurait à n’en parler, par goût du sensationnel, que dans une occasion néfaste.
Réaliser qu’il s’était écoulé plus de 2 ans et demi et qu’il avait fallu ce drame pour mettre en lumière cette aventure humaine de début de siècle, a donné le point de départ à cette série, qui se propose de laisser, au fil des reportages, une chronique des métiers et des hommes dans les Travaux publics.
Lorsque cette série commence, fin mars 2006, un “plan de secours” fait partie des documents d’approche qui me sont remis par le maître-d’œuvre, Scetauroute, en charge de cette portion des travaux.

2 maîtres d’œuvres

L’approche des chantiers commence justement par des rencontres chez le maître-d’œuvre. Ils sont 2 pour la totalité de la route, divisée en 2 sections. Ce sont les concepteurs et prescripteurs des travaux dont la Région est maître d’ouvrage. La première section de route est sous la responsabilité de la DDE. Sur moins de 8 kilomètres seront réalisés le viaduc et la tranchée couverte de Saint-Paul, ainsi que 3 tunnels, dont celui du Cap La Houssaye.
La suite du linéaire routier a été confiée au bureau d’étude Scetauroute, surtout connu en France pour ses travaux autoroutiers. Trois autres maîtres d’œuvre interviennent pour 3 ouvrages d’art exceptionnels situés sur cette section : Arcadis pour le pont de Trois-Bassins, Setec pour le pont de la Grande Ravine et Greisch pour celui de Ravine Fontaine. Le suivi de ces 3 ouvrages exceptionnels par le maître d’œuvre de la section 2 revient à Éric Barlet, chef de projet pour les ouvrages d’art, “n° 3 de Scetauroute” me dira un intervenant sur les chantiers.
C’est le premier contact avec un univers très structuré, hiérarchisé même, selon les fonctions dévolues à chacun. Cette hiérarchie est très sensible dans les entreprises, de la base au sommet. Elle l’est moins - mais tout aussi réelle - dans un bureau d’étude comme Scetauroute, dont les différents responsables se signalent surtout par une exceptionnelle disponibilité : Paul Barbier, le directeur, Gildas Le Bever, directeur adjoint et Éric Barlet trouveront tous le temps, malgré un programme planifié heure par heure, d’expliquer ce qu’ils font et comment et avec qui ils le font.
Pour Éric Barlet, la clé de cette disponibilité est dans la passion. La passion de concevoir ou de construire, de "faire sortir de terre à partir de rien des ouvrages qui seront utiles à tous", qui laisseront dans le paysage l’esthétique et la technologie d’une époque, le travail et la sueur de milliers d’hommes - quelques femmes aussi, rares - dont ils prennent la vie parfois...
Ils sont tous passionnés dans les travaux publics, ils doivent l’être : depuis la première embauche de l’ouvrier sans qualification jusqu’au directeur général des opérations. C’est l’idéologie de base qui “bétonne” la profession. C’est aussi une réalité quasi palpable sur les chantiers : qui fait oublier le vertige au coffreur perché au sommet d’une pile, qui met en permanence chez d’autres le souci de la sécurité des hommes ou de la qualité des produits, qui empêche le grutier de somnoler, là-haut tout seul à près de 50 mètres du sol, quand on n’a plus besoin de lui.

Une autre vision de l’île

Une première visite de reconnaissance a lieu le 29 mars 2006 avec Thierry Gluza, coordonnateur de sécurité pour la section 2 - elle représente 80% du linéaire de route (27 km sur 33,4).
Cette première visite nous fait monter-descendre, entre la ravine de l’Hermitage (Saint-Gilles) et la Petite Ravine (Saint-Leu) pendant un peu plus de 2 heures. Les voies d’accès aux chantiers épousent un terrain accidenté qui oblige à des parcours crénelés "du battant des lames au sommet des montagnes" (et retour).
Réalise-t-on que cette expression, en vogue de la fin du 17ème siècle à la fin du 20ème, perdra beaucoup de sa fonctionnalité - sans perdre sa puissance d’évocation poétique - lorsqu’il sera possible de franchir d’un coup la grande Ravine et toutes celles (plus de 120) qui jalonnent le parcours de ce tronçon de route ?
Avant la fin du mois d’avril 2006, les 2 premiers ponts terminés sont livrés, sur la ravine de l’Hermitage et sur le Bras l’Hermitage.
Loin d’abolir la géographie de l’île, cette route de moyenne altitude en souligne les moindres accidents de terrain, elle en rehausse le relief - grandiose en bien des endroits - et donne à ceux qui l’emprunteront une autre vision de leur île.
Dira-t-on encore longtemps que “les Réunionnais tournent le dos à la mer” ? Lorsqu’on est au niveau de la route des Tamarins, on ne voit plus que l’océan - pouvoir d’attraction de son immensité bleue.

Des règles spécifiques

Approcher le chantier de la route des Tamarins, c’est d’abord intégrer un code de sécurité. En suivant Thierry Gluza pendant 2 heures, sur une portion d’à peine 8 kilomètres de linéaire, nous croisons un nombre impressionnant d’engins de chantier de toutes sortes : grues de levage, pelles, chargeurs, Volvo et camions se croisent dans un mouvement perpétuel.
Les règles de conduite sont “hors code de la route” ; elles obéissent à un code propre : priorité aux gros engins (lorsqu’ils croisent un véhicule “léger” de type 4x4), feux de croisement et de détresse allumés sur les gros engins, vitesse limitée à 50 km/heure, ou au pas devant les ateliers... Normalement, les manœuvres en recul font l’objet d’une autorisation spécifique et doivent être signalées par un signal sonore.
On peut comprendre l’attraction qu’exerce ce chantier gigantesque sur l’opinion publique. La curiosité déplace un nombre croissant de visiteurs qui, en groupe ou en famille, veulent voir de plus près le gigantisme des terrassements, les tonnes de blocs de roche déplacées, concassées ou poussées en remblais.
Le travail des hommes sur cette veine ouverte à flanc de coteau a un côté fascinant. Pour y faire face, la Région a prévu l’ouverture d’une “Maison des Tamarins”, chargée de réguler l’accueil des visiteurs et nombreux curieux, professionnels ou non, qui demandent à se rendre sur les sites du chantier. Situé sur la “route du Théâtre”, à Saint-Gilles (RD 10), cet outil tarde à entrer en fonction. En attendant, ce sont les maîtres d’œuvre qui gèrent ces contraintes, en particulier Scetauroute, installé sur le même emplacement.
Les responsables de Scetauroute s’inquiètent de plus en plus de la fréquentation “sauvage”, le week-end surtout, sur des sites interdits dont ils ne peuvent condamner l’accès. "Sur un chantier du bâtiment, c’est plus facile. On met une clôture et les panneaux “chantier interdit au public” sont respectés. Mais comment clôturer 34 km de linéaire ?", s’inquiète Thierry Gluza. En tant que coordonnateur de sécurité, il ne peut que marteler cette évidence : "Un chantier n’est pas un lieu de promenade, encore moins une aire de pique-nique. Tout chantier est interdit au public !".
On sent son avertissement lourd d’appréhension pour le jour où le non-respect de cette interdiction par des curieux indisciplinés (et imprudents) posera un vrai problème de sécurité.
Il évoque cette question alors que nous approchons de la rive droite de la Ravine de Trois-Bassins, où doit passer un ouvrage d’art exceptionnel. La semelle en béton de la culée “zéro” est en place, au fond d’une fosse encore béante. Il a fallu pour cela entailler la falaise en bordure de ravine et des filets ont été posés en aplomb pour empêcher les chutes de pierres. Au bord du précipice, de gros blocs de roche soulignent en pointillé la lisière d’un à-pic de plusieurs dizaines de mètres. La plus haute pile fera 76 mètres de hauteur.
Avant d’arriver à la Grande Ravine, nous passons de la ravine de l’Hermitage à la ravine de La Saline, occasion de voir la future “aire de repos” de l’Hermitage et plusieurs ouvrages hydrauliques, des plus courants à l’OH de la ravine de La Saline, très long et très encaissé. Les ouvrages hydrauliques sont très nombreux le long de la route, rendus nécessaires par l’inclinaison du terrain et les fortes pluies. Ils sont là pour organiser et réguler le passage des eaux. Dans le secteur de l’Hermitage, sur quelques kilomètres du TOARC 1 (Terrassement - ouvrage d’art - rétablissement de communication), 11 ouvrages hydrauliques assurent le passage des eaux.

Communication, présence de terrain et réunions

Nous voilà sur la rive droite de la ravine de Trois-Bassins. Le coordonnateur de sécurité relève un risque de chute de blocs rocheux sur une plate-forme, en surplomb.
Deux cordistes venus du Port sont juste dessous. Avec eux, des ferrailleurs qui plantent des pics dans la plate-forme, destinée à protéger la semelle de la pile à venir. Nous passons au moment où, quelques dizaines de mètres plus bas, les ferrailleurs sous-traitants posent l’armature de la semelle. Coup de téléphone de Thierry Gluza sur ce qu’il considère comme "un manquement aux dispositions hygiène et sécurité du décret du 8 janvier 1965". Vus de la plate-forme, ces blocs de plusieurs dizaines de tonnes semblent en équilibre instable. Cela peut n’être qu’une apparence à un temps “T”, mais les vibrations répercutées d’un chantier à l’autre sur plusieurs centaines de mètres font constamment bouger les matériaux. Et ce qui peut paraître sûr un jour peut ne plus l’être le lendemain ou 2 ou 3 semaines plus tard, après un dynamitage de matériaux sur un chantier de concassage voisin.
"Normalement, je ne devrais pas avoir à m’occuper de cela. C’est au chef d’entreprise de veiller au respect des normes de sécurité sur le chantier", tempête-t-il. Il y a quelque part un chef d’entreprise qui se fait remonter les bretelles.
Nous empruntons la Montée Panon pour rejoindre le Bras de la Grande Ravine (OA 146 du 7ème lot) puis la Grande Ravine elle-même. Des équipes de cantonniers du Conseil général font la pause sur un parapet. Nous sommes sur une Route départementale (D9) et c’est l’Unité territoriale routière qui a la charge de son entretien.
Plus bas, autre coup de téléphone : une aire de stockage de matériau, des portions d’installations hydrauliques, sont à l’air libre, quelque part le long du CD9. Un panneau “chantier interdit au public” est planté en bordure de route, entre deux arbustes au milieu d’une végétation rase.
Une “journée ordinaire” du coordonnateur de sécurité est faite de beaucoup de communication (mail, téléphone) et de présence de terrain entrecoupée de réunions multiples.
Le suivi d’une seule de ces journées donnerait une approche sinon complète, du moins assez transversale de l’organisation des chantiers, auxquels Thierry Gluza nous a introduit avec une grande prévenance et beaucoup d’à propos.

P. David

à suivre...


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