La décentralisation dévoyée

RMI : un trou de plusieurs centaines de millions d’euros

29 juillet 2005

Plus que des mots, les chiffres concernant la situation financière des Départements à la suite de la décentralisation de la gestion du RMI montrent comment le gouvernement se sert de la décentralisation pour que les collectivités locales prennent en charge ses dépenses sans que la compensation soit à la hauteur de la responsabilité transférée.

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L’Observatoire national de la décentralisation, sis à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a publié des tableaux comparatifs sur la gestion du RMI, avant et après son transfert aux Départements. Bien que des données manquent, an particulier celles de La Réunion, les chiffres vont tous dans le même sens : la compensation de l’État ne suit pas le transfert, le montant versé par l’État est même inférieur aux sommes engagées pour le RMI avant le transfert. L’examen détaillé de la situation de plusieurs Département est révélatrice.
Dans le département de la Dordogne, avant la décentralisation du RMI en 2003, et après la décentralisation en 2004, c’est le jour et la nuit.
La Dordogne compte 388.293 habitants. Avant le transfert de la gestion du RMI, elle comptait 6.349 allocataires, le 31 décembre 2004, 6.898. Avant que le Département Dordogne prenne en charge cette compétence, le RMI représentait 32 millions 299.737 euros de dépenses activées. Au 31 décembre 2004, les dépenses activées par le Département Dordogne se sont élevées à 35 millions 767.994 euros. À la même date, la compensation versée par l’État est de 28 millions 784.550. Il manque donc 7 millions d’euros, alors que le nombre de érémistes a augmenté.

Radiations en hausse

Par ailleurs, avant le transfert, l’État rémunérait 9,5 postes équivalents temps plein affectés à la gestion du RMI. Il a transféré 7 équivalents temps plein. Dans le même temps, 21 agents du Conseil général s’occupaient du RMI, au 31 décembre 2004, ils étaient 30.
Ce qui a augmenté aussi, ce sont les décisions de suspension du RMI : 1.130 avant le transfert en 2003, 1.412 en 2004. Et c’est un minimum selon l’Observatoire national de la décentralisation pour qui "ces chiffres sous estiment le nombre réel des suspensions".
Ce qui diminue, c’est le nombre des Commissions locales d’insertion : 6 avant le transfert, 5 ensuite.
Ces données se retrouvent dans toutes les statistiques disponibles publiées par l’Observatoire national de la décentralisation. Ainsi par exemple, dans la Loire, 720.000 habitants : 9.152 érémistes avant le transfert, 9.578 à la fin 2004. Somme engagée par le Département : 46,7 millions d’euros, compensation versée par l’État : 38,5 millions d’euros, il manque aussi 8 millions d’euros. Dans le Var, quasiment 1 million d’habitants, on avait 24.990 allocataires du RMI avant le transfert, 25.938 au 31 décembre 2004, 108 millions de dépenses consacrées au RMI avant le transfert, 113 millions à la charge du Département pour 2004, et seulement 91 millions versés par l’État, soit un trou de 20 millions d’euros. Dans le même temps, on passe de 1.029 radiations avant le transfert à 1.181 en 2004.

Engagements non tenus

Dans le département du Nord, qui compte un nombre d’allocataires approchant celui de La Réunion (pour une population totale presque quatre fois plus élevée !), on avait 64.221 érémistes avant le transfert, 65.606 en janvier 2004 et 68.547 au 31 décembre. Par ailleurs, au sujet de ce département, l’Observatoire de la décentralisation note que "le différentiel entre les charges supportées en 2004 et la compensation versée par l’État s’élève à 36 millions 526.401 euros. Les 20 agents non titulaires de l’État ont dû être engagés par le Conseil général. Les 26 CLI existantes devraient être réduites à 8".
Le 17 février dernier, le maire de Paris avait alerté le Premier ministre sur les conséquences de ces manquements. Bertrand Delanoë rappelait que "le dispositif retenu par l’État en matière de décentralisation du revenu minimum d’insertion prévoit la compensation du transfert au département de la charge des allocations par le transfert d’une fraction des ressources de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP)". Selon les calculs du Conseil général de Paris, ce dernier devait donc percevoir 241,3 millions d’euros de l’État, soit l’équivalent des "dépenses constatées en 2003 au titre des allocations RMI pour Paris" ce qui est conforme aux "dispositions de l’article 59 de la loi de finances 2004" présentée par le gouvernement et votée par sa majorité. La collectivité locale a donc pris en considération cette dotation prévue dans son budget 2004.

Les collectivités doivent se débrouiller

Mais en fait, le Département de Paris n’a reçu de l’État que 234,6 millions d’euros, selon le maire de la capitale, "soit une ressource moindre de 7 millions d’euros par rapport à l’engagement de l’État qui, à de nombreuses reprises, a affirmé qu’il y aurait compensation à l’euro près". "Force est de constater que ce n’est pas le cas", écrit le maire de Paris qui poursuit :
"au vu des résultats de l’exécution 2004, il s’avère que les dépenses réellement constatées au titre des allocations RMI se sont établies à 267,4 millions d’euros, soit une charge supplémentaire de 26,1 millions d’euros pour le département de Paris". "Au global, la décentralisation du RMI se traduit, pour les finances du Département de Paris, par une charge nette de 33 millions d’euros au détriment des actions entreprises au bénéfice des Parisiennes et des Parisiens", conclut Bertrand Delanoë.

Manuel Marchal


Quand le gouvernement s’engageait sur une compensation intégrale...

Le 20 novembre 2003, les députés commençaient l’examen du projet de réforme du RMI. Au cours des débats, le ministre des Affaires sociales de l’époque, François Fillon, s’était engagé à garantir aux Départements, pour 2004, la compensation intégrale de leurs dépenses de RMI. Mais d’après les faits, le gouvernement n’a pas tenu son engagement, plombant les finances des collectivités locales. Extrait d’un article paru le 21 novembre 2003 sur “Maire-Infos” :
"Les inquiétudes suscitées par ce projet se sont manifestées, hier, lors de l’examen du premier volet, consacré à la décentralisation du RMI. Pour apaiser les craintes des Conseils généraux, le ministre des Affaires sociales a présenté un amendement garantissant que le niveau exact des sommes transférées aux départements (environ 5 milliards d’euros) serait établi sur la base de leur compte administratif 2004, autrement dit sur leurs dépenses réelles. "La compensation des dépenses 2004 engendrée par la décentralisation du RMI et la réforme de l’ASS (allocation de solidarité spécifique) sera donc garantie à 100%, comme je m’y suis engagé" , a indiqué François Fillon. Si le groupe UMP a soutenu cette disposition, elle n’a rassuré qu’en partie les députés, tous bancs confondus. Souhaitant une réévaluation "annuelle" des compensations au titre du RMI, à laquelle le gouvernement n’a nullement l’intention de procéder, Christine Boutin, par ailleurs vice-présidente du Conseil général des Yvelines, a refusé de retirer l’amendement en ce sens de la commission des Affaires sociales, comme le lui demandait le ministre. Se faisant porte-parole des élus locaux, elle a estimé n’être qu’"à moitié rassurée" par le geste du gouvernement.
De son côté, Augustin Bonrepaux, également président du Conseil général de l’Ariège, a fait observer que la réforme de l’ASS, qui devrait faire basculer quelques dizaines de milliers d’allocataires vers le RMI, entrera en vigueur au 1er juillet et que ses effets financiers sur le coût du revenu minimum ne se feront sentir qu’en 2005. "Il faudra augmenter les impôts locaux dès 2004", a-t-il pronostiqué".


Budgets 2005 à la hausse dans les Régions et Départements

Selon l’Observatoire des finances locales, la décentralisation a pour conséquence "de déplacer une part des prélèvements obligatoires de l’État vers les collectivités locales".
L’Observatoire des finances locales a rendu un rapport sur les finances des collectivités territoriales en 2005.
En 2005 (d’après les budgets primitifs), les budgets des Régions et Départements voient leur budget augmenter de 15% pour les Régions par rapport à 2004 et de 7% pour les Départements. Plusieurs réformes, la loi organique sur l’autonomie financière des collectivités locales du 29 juillet 2004 et la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004, avaient déjà eu pour conséquences de faire croître les budgets des collectivités en 2004 et "de déplacer une part des prélèvements obligatoires de l’État vers les collectivités locales".
Les budgets 2005 reflètent les transferts de compétences spécifiques vers ces collectivités. L’action sociale (incluant la prévention, le revenu minimum d’insertion-revenu minimum d’activité et l’allocation personnalisée à l’autonomie) absorbe 47% des budgets départementaux. Les Régions consacrent 39 % du budget total à la formation professionnelle, l’apprentissage et l’enseignement contre 8% pour les Départements.

(Source : Vie-publique.fr)


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