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par le Dr Raymond Vergès

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Les sourds exclus des débats politiques

Les enfants du RESO visitent le Sénat et l’Assemblée Nationale

mardi 11 juillet 2006


Durant leur séjour à Paris à l’occasion du Festival du Silence, les enfants de l’association réunionnaise RESO ont pu visiter le Sénat et l’Assemblée Nationale. Si le fonctionnement institutionnel leur est apparu complexe, ils ont été marqués par la beauté des lieux, fiers de pouvoir accéder aux hémicycles où se discutent et se votent les lois. C’est l’occasion de rappeler que par manque d’information, les sourds sont mis à l’écart de la vie politique, exclus des débats, inégaux dans l’exercice de leur citoyenneté.


Selon le dernier recensement officiel, La Réunion compterait 6.000 sourds, à multiplier par deux si l’on considère tous ceux qui ne se déclarent pas. Mais que représentent 12.000 sourds sur une population de 780.000 habitants ? Une minorité. Et c’est la loi du nombre qui semble expliquer l’important retard en matière d’accessibilité aux services publics, d’intégration des sourds dans notre société.

"Il faut une vraie volonté politique"

S’agissant du handicap, les retards structurels à La Réunion sont énormes. Un plan d’accessibilité pour accélérer la mise en œuvre des mesures de rattrapage a bien été signé entre le Conseil général et le Ministère, la première pierre de la Maison des autistes posée à la Plaine des Palmistes, mais les choses évoluent lentement.
Mêmes victimes de ce que l’on pourrait qualifier de discriminations, les personnes handicapées dans leur ensemble n’ont pas une nature revendicative. Elles aimeraient pourtant ne pas être oubliées si souvent. "C’est à chaque fois pareil, explique Brigitte Hoarau, présidente de l’association. Il faut toujours se battre pour obtenir des résultats ponctuels. Se battre pour faire entendre la voix des sourds. Une information quotidienne traduite en langue serait un minimum, mais cela n’est pas la priorité des chaînes de télévision."
Loi du nombre, considérations budgétaires... hormis la retranscription des questions parlementaires en langue des signes, les sourds sont exclus de la vie politique. "Il faut une vraie volonté politique pour faire avancer les choses," soutient Brigitte Hoarau forcée de constater que les chaînes ne sont pas réceptives à la demande. Pour 5 à 10 minutes de journal quotidien en langues des signes, RFO lui a opposé la question du coût, avançant une note de 250.000 euros par an rien que pour la traduction et 317.000 euros par an avec le sous-titrage. "Il faut voter une loi sur l’accessibilité de l’information au quotidien. Il faut qu’au moment des élections, des interprètes puissent être présents lors des débats. Les sourds ont besoin d’accéder à l’information politique et à tous les niveaux."

"Le passage à l’action ne vient pas"

C’est une question majeure qu’il convient de soulever au plus haut niveau pour que la République considère les sourds comme des citoyens à part entière. Soulignant que c’était la première fois que le Sénat accueillait un public sourd, la sénatrice réunionnaise Anne-Marie Payet, qui a ouvert les portes du palais de Marie de Médicis aux enfants, a relevé que le film diffusé en préambule aux visiteurs pour présenter l’institution n’était pas traduit en langue des signes. Une lacune qui méritait ce jour-là, face aux enfants sourds, d’être palliée.
De son côté, le député Bertho Audifax, hôte du petit groupe à l’Assemblée Nationale, accorde volontiers que cette mise à l’écart des sourds de la vie politique ne lui était pas apparue avant sa confrontation avec les enfants. "Se rendre compte du handicap fait parfois avancer les choses", concède le député qui à la fin de la visite réfléchissait déjà à un amendement portant sur l’accessibilité à l’information des sourds.
"Tout le monde semble d’accord, explique Brigitte Hoarau, mais le passage à l’action ne vient pas. Les sourds représentent une minorité." À part France 2 et son flash d’info quotidien de seulement trois minutes en début d’après-midi, aucun journal national ne s’investit dans cette mission de service public. "On nous répond que les sourds ont la presse écrite pour accéder à l’information, mais cela n’est pas du tout la même chose", insiste Brigitte, rappelant que beaucoup n’ont pas la maîtrise du français écrit. La langue des sourds est reconnue, mais pas suffisamment enseignée, c’est une option facultative qui manque de formateurs et de professeurs.

Oubliés pendant l’épidémie

Durant un an, les déficients auditifs de La Réunion ont été complètement oubliés sur la question du chikungunya. Aucune information sur l’ampleur et l’évolution de l’épidémie, sur les consignes préventives... "Questions de priorité ou de budget, il faut taper du poing sur la table pour être entendus et reconnus", rappelle la présidente du RESO qui milite mais reconnaît que cela demande énormément de persévérance et d’énergie.
À la fin de la visite de l’Assemblée Nationale, sur le perron du palais, interpellé sur cette question de l’accessibilité à l’information politique par Joëlle Malet, déficiente auditive de 15 ans, Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée Nationale, est au pied du mur. "Je pense que tu as raison. Comme il y a ici tous nos débats, il doit y avoir à la télévision française un journal quotidien. Je vais écrire au responsable de la télé pour lui dire." Peut-être cette voix portera-t-elle plus loin, mais lorsque l’on constate que, hormis RFO, aucune chaîne nationale n’a couvert ni même évoqué une seule fois le Festival du Silence, pourtant rencontre de dimension internationale qui réunit des artistes danseurs et chanteurs signeurs sourds professionnels du monde entier, on se dit que le chemin est vraiment encore très long.

Stéphanie Longeras


An plis ke sa

Pour financer ce séjour à Paris, l’association RESO (Rassemblement Entendants Sourds Offensifs) a sollicité divers soutiens. L’aide à la continuité territoriale de la Région Réunion a aidé aux financements des billets, à hauteur de 50 voire de 100% selon les cas. La Compagnie Air France a proposé de son côté des tarifs préférentiels. Le Ministère de l’Outre-mer a puisé 3.632 euros dans les fonds d’échanges, alors que le Département doit encore voter une subvention qui remboursera l’avance de frais faite par les parents. Des dons de bénévoles, aussi modestes soient-ils ont aussi contribué à la réalisation de ce voyage. Depuis 1 an, Brigitte Hoarau court de toute part pour réaliser ce projet, mais elle ne regrette pas l’énergie déployée, car le bonheur des enfants répond largement à ses efforts.


Réaction

o Marie Lisiane Fontaine, maman de Brice, 16 ans, entendant et de Lionel, 13 ans, déficient auditif

Les sourds "sont mis à l’écart"

Si elle trouve formidable que le Sénat et l’Assemblée Nationale ouvrent leurs portes aux sourds, Marie Lisiane regrette en revanche qu’ils soient écartés de la vie politique. "Au moment des élections, les débats publics ne sont pas retranscrits en langue des signes. Pour voter, on dit aux personnes handicapées de se faire accompagner ou de voter par procuration, mais ils n’ont pas la possibilité de s’intégrer au débat. Ils en sont mis à l’écart et suivent bien souvent les consignes de leurs familles pour faire leur choix."

o Christine Corré, maman de Loïc et Océane, 12 ans et 5 ans, déficients auditifs

" L’égalité, ça n’existe pas "

Ce que Christine veut avant tout retenir de ce voyage, de cette visite au cœur des institutions de la République, c’est cette opportunité pour les enfants de s’ouvrir sur le monde. "Ça les encourage à aller plus loin, à voir autre chose, à dépasser leur crainte et leur timidité." Mais la question de fond de l’accessibilité à l’information reste entière. "Il est très difficile pour les sourds d’accéder à l’information politique. Il faudrait peut-être des élus sourds pour franchir une autre étape ? Mais que ce soit à l’école et dans le système en général, pour communiquer, il faut à chaque fois se bagarrer, en tant que parents mais aussi en tant qu’enfants. Ils doivent toujours se battre. Pour les intégrer dans des activités lors des vacances, pour le travail, et l’école n’en parlons pas, on se bagarre toujours pour trouver à chaque fois une solution. L’égalité, ça n’existe pas."


Quand la télé joue son rôle d’information

26 minute d’info en langue des signes

L’Oeil et la Main est la seule émission en langue des signes du paysage audiovisuel français destinée à tous publics, sourds et entendants. Diffusée trois samedis par mois sur Arte, elle est très regardée par les déficients auditifs de La Réunion qui bénéficient par son biais d’une large ouverture sur l’information. Nous avons rencontré Daniel Abbou, co-animateur du programme aux côtés d’Isabelle Voizeux, qui nous parle de cette belle aventure.

Qui a initié cette émission et depuis combien de temps existe-t-elle ?

- Elle aura bientôt 10 ans. Jean-Marie Cavada, dans le cadre d’un reportage sur la population sourde, m’avait invité à participer à un débat sur son plateau de La Marche du Siècle. Là, il a réalisé qu’il n’existait pas d’émission sous-titrée et traduite en langue des signes. Une semaine après, il m’a à nouveau invité dans son bureau et m’a proposé d’animer une émission pour les sourds sur la cinquième chaîne. Je lui ai dit que je n’étais pas journaliste, mais ça ne lui a pas posé de problème. J’apprendrai. C’est comme ça que deux ans après, naissait L’Oeil et la Main proposée trois samedis par mois, sauf le premier samedi du mois.

Quel est le contenu de l’émission ?


- Culture, sport, théâtre, politique, tranches de vie... en 26 minutes, on essaie de donner le maximum d’informations sur un vaste choix de sujets. Effectivement si l’on compare ce temps aux 1.000 heures hebdomadaires d’information réservées aux entendants, c’est peu. Franchement, je pensais la première année que l’émission serait retirée. Mais on nous a fait confiance, à moi et à mon équipe, et 10 ans après, l’aventure continue.

L’équipe qui vous entoure pour réaliser l’émission est-elle mixte ?


- Dès ses débuts, neuf sourds participent à l’émission. Depuis deux ans, un comité éditorial composé à 50% de personnes sourdes (un professionnel du montage, 3 réalisateurs...) et à 50% de personnes entendantes, supervise sa réalisation. Cette mixité, qui permet des échanges très riches, est une des particularité de l’émission. Elle a été rendue possible grâce à la confiance accordée par la production “Point du Jour” et la chaîne France 5. En novembre, nous aborderons justement ce thème de la mixité dans notre émission pour montrer, à travers des couples, des tranches de vie, que entendants et sourds partagent la même culture, sont confrontés aux mêmes choses, c’est juste le vécu qui est différent.

Quel retour avez-vous des téléspectateurs entendants qui suivent L’Oeil et la Main ?
Autrefois, l’émission était plus centrée sur les questions de santé, les problèmes auditifs. On parlait des sourds toujours en termes de problèmes. Maintenant que de plus en plus de gens regardent l’émission, qu’ils font partager leurs critiques, on se rend compte qu’elle a permis de changer un peu la vision qu’ont les entendants de la vie des sourds. Je remarque également que cette phobie des sourds tend à diminuer. De plus en plus d’entendants ont moins peur d’interpeller un sourd, de tenter la communication. Avant, quand ils se rendaient compte que vous étiez sourd, les gens fuyaient et nous on préférait cacher notre surdité. De plus en plus, cette peur commence à diminuer, on essaie le contact.

Si la communication entre sourds et entendants s’améliore, d’où vient alors la difficulté d’intégration des sourds dans notre société ?


- Ce problème d’intégration vient de plus haut, des responsables politiques avec qui l’on entretient, justement, un vrai dialogue de sourds. De plus en plus, les sourds essaient d’interpeller les politiques pour tenter de se faire entendre, démontrer que la loi de 1975 concernant le monde du handicap est dépassée. Sa rénovation, actée le 11 février 2005, représente déjà une première prise de conscience, mais la mise en application est très longue.

Après Madagascar, à quand une émission sur La Réunion ?


- Pour le voyage à Madagascar, France Télévisions a payé le voyage avec les soutiens de Arte, France 3, Point le Jour. J’aimerais beaucoup faire des sujets sur La Réunion, vous rencontrer, mais il faut pour cela les moyens financiers.

S. L.


Chanter et danser quand on est sourd : c’est possible !

"S’épanouir ensemble"

L’association Rassemblement Entendants Sourds Offensifs de Saint-Denis a été créée en septembre 2004 à l’initiative d’enfants, de parents sourds et de Brigitte Hoarau que l’on connaît bien à La Réunion pour son Journal des Sourds sur RFO et son combat en faveur de l’intégration des déficients auditifs. L’officialisation de l’association répond à la demande des parents de pouvoir faire entendre le droit à l’intégration de leurs enfants sourds en milieu ordinaire, au sein de l’Éducation Nationale. Faute d’interprète, ce droit n’est pas acquis. Mais son objectif est aussi et surtout comme nous le rappelle sa présidente, Brigitte Hoarau, "de tout mettre en œuvre pour permettre l’épanouissement de l’enfant sourd". Et la culture a ici un rôle majeur à jouer.
Ainsi dès le mois de mars 2004, des ateliers culturels de chants et de danse ouverts aux sourds, aux entendants et aux aveugles étaient mis en place. Les non-voyants, qui possèdent de fortes prédispositions pour la musique, y apprennent le chant avec François Mariapin, détaché de l’école municipale de musique. Les enfants entendants apprennent la langue des signes et servent aussi de repères rythmiques pour permettre aux sourds de bouger sur scène. Ces derniers apprennent les chansons dansées et signées issues du répertoire musical traditionnel réunionnais grâce aux vibrations, aux coups que peut ressentir le corps avec la musique.
Mangé pou le cœur, Ti Flèr fané, Valet Valet, Canne Mapou... c’est Jean Varondin, le doyen et militant actif des sourds qui sert de médiateur à Brigitte Hoarau pour retranscrire le vocabulaire créole en langue des signes, pour que les images de notre belle langue créole trouvent une retranscription en autres images, cette fois signées. Ce travail de recherche sur l’explication du sens est fondamental et très enrichissant pour les enfants qui découvrent ainsi une part importante de leur patrimoine culturel et de leur identité.
Enfin, Brigitte travaille sur la partie rythmique, la danse. Elle nous explique que "une fois le rythme acquis, le texte et la danse intégrés : les trois cultures se marient." Et le résultat positivement inattendu est émotionnellement fort pour les petits artistes en herbes comme pour le public.
La Réunion aurait à coup sûr été très fière de se voir ainsi représentée à l’inauguration du Festival du Silence à l’Hôtel de Ville de Paris, avec autant d’enthousiasme et de vérité, face à des artistes sourds professionnels du monde entier, médusés par la performance.

S. L.


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