Billet philosophique

À La Réunion, un racisme institutionnalisé

11 juin 2010

“Témoignages” a déjà consacré plusieurs de ses “biyé filo” du vendredi à la réflexion sur le racisme dans notre île et dans le monde, ainsi que sur les moyens de combattre ce non-respect de la dignité humaine et des droits humains. Deux événements d’actualité — parmi d’autres — viennent de confirmer l’importance de ce combat parce que 162 ans après l’abolition de l’esclavage dans notre île et 64 ans après l’abolition du statut de colonie du pays, le peuple réunionnais continue d’être victime dans les faits d’une sorte de racisme institutionnalisé.

Tous les Réunionnais ont été frappés la semaine dernière par la différence de traitement appliquée par les institutions et par les médias officiels entre les équipes de football de Chine et de France lors de leur passage à La Réunion pour un match amical à Saint-Pierre. Pourquoi cette discrimination arbitraire et scandaleuse entre nos deux hôtes ? Pourquoi un tel mépris envers nos frères chinois ?
Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu droit à une explication de la part des responsables de cette affaire à ce sujet. Pourquoi ? Tout simplement, parce que ce sont eux qui commandent, qui font la loi et qui fabriquent l’opinion dans le pays. La population n’a rien à dire. Elle est tout juste bonne à être conditionnée, formatée, manipulée pour servir les intérêts du pouvoir en place et des classes dominantes.
Certes, dans un match de foot comme dans bien d’autres domaines ludiques, chacun peut avoir sa préférence et se comporter en supporter de telle ou telle équipe. Mais cela n’a rien à voir avec le racisme anti-chinois auquel certains décideurs se sont livrés lors de cette rencontre avec les Bleus de l’équipe de France.

« Des nègres et toutes des putes »

Autre illustration du racisme institutionnalisé dans notre île : c’est le laxisme de l’appareil judiciaire devant les propos racistes lancés contre les Réunionnaises et les Réunionnais par un enseignant en pleine séance du Tribunal correctionnel de Saint-Denis, où il comparaissait pour agression sexuelle. Il a essayé de justifier son geste agressif contre une jeune fille en déclarant devant les magistrats : « Je suis blanc et, de toute façon, ici c’est des nègres et toutes des putes, et c’est comme cela qu’il faut faire ».
Pourquoi les magistrats n’ont-ils pas réagi devant des propos aussi ignobles, méprisants et délictueux ? Comment interpréter une telle complicité ? Nous laissons nos compatriotes juges de ces faits.

Le droit à l’égalité collective

En tout cas, les Réunionnais, aujourd’hui comme hier, ne sont pas prêts à se laisser ainsi marcher dessus par les néo-colonialistes qui continuent de couper et trancher dans le pays. En voici deux preuves, parmi d’autres, tirées elles aussi de l’actualité.
La première est la dénonciation par de nombreux citoyens et par les responsables de l’Alliance du refus de l’État de verser à La Réunion la dotation ferroviaire comme aux Régions de France, pour permettre le fonctionnement du futur tram-train. En effet, au nom du principe de l’égalité collective entre Réunionnais et métropolitains, une telle dotation ne peut pas nous être refusée. Sinon, quel prétexte pourrait être inventé pour tenter de justifier une telle discrimination ?
Cela nous fait penser à la bataille pour l’égalité sociale entre Réunionnais et métropolitains, qu’il a fallu mener pendant un demi siècle. La seule raison pour laquelle tous les gouvernements ont refusé d’appliquer la loi de l’égalité du 19 Mars 1946 est le fait qu’ils nous traitaient en êtres inférieurs. Cette discrimination institutionnalisée n’avait-elle pas un contenu raciste ?

Achever la décolonisation

Autre preuve de la détermination des Réunionnais à faire respecter leur identité culturelle et leurs droits : la conférence-débat animée le 3 juin dernier par le Frère dominicain Delphin-Chrystophe Randriambololona, au Centre Saint-Dominique de Saint-Denis, sur le thème : “Mieux connaître La Réunion en passant par Madagascar”. Cette conférence sera redonnée vendredi prochain à La Providence de Saint-Pierre.
La rencontre dionysienne a permis de montrer la richesse des apports malgaches à la création du peuple réunionnais, de son économie, de sa culture, sa langue, son identité. Le Frère Chrystophe a rappelé aussi l’importance des combats menés par nos ancêtres esclaves pour la liberté et il a cité de nombreux noms de sommets de nos montagnes qui portent les noms de ces marrons, dont des Malgaches comme Tsimandefy, qui ont été francisés, donnant ainsi le nom de Piton Cimendef, signifiant “Celui qui ne laisse pas aller, qui n’accepte pas, qui ne courbe pas la tête”.
Le racisme étant à la base de l’esclavage, les tenants de ce système avaient fait inscrire dans la loi (le “Code Noir”) que les esclaves ne sont que des “meubles”. Comment considère-t-on leurs descendants et le peuple réunionnais aujourd’hui ? En tout cas, les raisons ne nous manquent pas pour essayer d’être fidèles chaque jour à nos ancêtres rebelles, en luttant ensemble afin d’achever la décolonisation de La Réunion.

Roger Orlu

(*) Merci d’envoyer vos critiques, remarques et contributions afin que nous philosophions ensemble… ! [email protected]


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?

Messages

  • Tout le temps que la révocation de Serge Copy n’aura pas été effective à la Réunion, le racisme continuera à avoir de belles lettres françaises à son actif.

    Je pense qu’il n’est plus de temps de parler, puisque peu d’émoi dans cette affaire, où sont passés nos cris de détresse, nos cris implorant la justice qui ignore.

    Doit-on attendre que la colère collective surgisse avant que la révocation de ce "pro-fesseur" soit exécutée.


Témoignages - 80e année


+ Lus