L’embryon ressent-il s’il est désiré ?

2 janvier 2018, par Frédéric Paulus

L’embryon a-t-il conscience de vivre dans un environnement favorable à sa gestation ? Il nous faudrait nous entendre quant à la définition du terme conscience. Nous tenterons une extension à l’embryon de la définition qu’en présente Patrick Tort (philosophe et épistémologue, grand connaisseur de l’œuvre de Darwin). « On conviendra de nommer conscience le fait, pour un être vivant, d’appréhender d’une manière unitaire un différentiel sensible dans le rapport de sa propre unité biologique à son environnement – cette appréhension unitaire étant elle-même suivie d’un réglage comportemental également unitaire, et ajusté à l’information obtenue. », cité par Chomin Cunchillos, continuateur de l’œuvre de Faustino Cordon, (2014).

Pour nous persuader de la pertinence de cette proposition de définition de la conscience de Patrick Tort un rapprochement avec la sensibilité de l’amibe vue par la philosophe François Grégoire, (1914-1973), extraite de son ouvrage « La nature du psychique » (1957), nous conduit sur la voie métaphorique pour nous exprimer « au-delà des mots ». Pour Grégoire : « 0n pourra dire par exemple que l’amibe « erlebt », « enjoys », survole, pense sa structure organique, ou qu’elle la “comprend” de l’intérieur immédiatement et sans l’intermédiaire d’une organisation nerveuse, d’organes sensoriels et de représentations de nature intellectuelle. Il nous est évidemment malaisé, à nous humains chez qui, justement, le psychisme secondaire a pris une importance “monstrueuse”, de concevoir ce que peut être cette auto-possession d’une forme vraie ; peut-être y parviendrons-nous au moins mal dans cet état d’engourdissement, de demi-anéantissement qui accompagne un bain de soleil trop prolongé ou, plus poétiquement, ces « extases, ces ravissements inexprimables » qu’éprouvait Rousseau au cours de ses songeries sur la grève de l’île de Saint-Pierre lorsque « le flux et le reflux de l’eau… suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence sans prendre la peine de penser’ : alors, notre activité consciente, “secondaire”, et notre activité sensorielle étant presque totalement détendues, sans que le rythme vital soit sensiblement modifié, nous nous sentons vivre en quelque sorte à la façon de l’amibe, comme « forme en soi », par saisie directe extra-intellectuelle, extra-perceptive, de notre unité agissante de coordination interne. Il s’agit naturellement là d’une grossière approximation : nous ne pouvons jamais être totalement “amibe”, en raison de cette sensibilité secondaire qui peut s’atténuer mais non interrompre complètement son activité de survol du monde extérieur ». p 53, La nature du psychique, (1957).

Comment se rendre compte de cet ajustement comportemental différentiel de l’embryon vis-à-vis de l’environnement au-delà du ressenti considéré comme subjectif ? L’épistémologue Eveline Fox Keller annonce de beaux jours pour l’exploration de l’embryogénèse qui devraient permettre aux chercheurs de visualiser ces « ajustements comportementaux ». « Les avancées de la technologie visuelle permettent aux chercheurs d’observer le mystère des mystères en train de se déployer devant leurs propres yeux », p. 239, in Expliquer la vie, (2004).

L’embryologie est une science jeune qui a dû s’associer en 5 ou 6 décennies à la génétique et à la biologie du développement. Il lui faudra accepter de travailler avec des psycho-biologistes du développement de l’enfant spécialisés dans l’exploration de la vie intra-utérine. Le bébé d’Homme met 9 mois pour naître, ce n’est pas rien en termes de perceptions différentielles des « stimuli », comme on dit, pour ne pas dire stress !

De son côté la culture professionnelle des chercheurs en embryologie, en génétique ou en biologie du développement devra intégrer dans ses méthodes « coutumières » - que ce soit d’excisions de territoire embryonnaires, de greffes, de traitements chimiques (vaporisation d’éther notamment) ou physiques rayons (X, UV) qui s’appliquent à la mouche du vinaigre ou encore au petit vers transparent - le Cœnorhabditis elegans (dit C elegans) - une autre culture, celle de l’étude respectueuse du vivant telle que la vie l’aura sélectionné.

Ce qui vient d’être dit ne devrait pas choquer Nicole Le Douarin, Professeur au Collège de France auteur de l’ouvrage « Des chimères, des clones et des gènes », (2000), qui a « un faible » pour l’expérimentation sur les embryons d’oiseaux ou de poulets. Merci pour son ouverture pour les sciences dites « molles ».

Frédéric Paulus, Cévoi


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