Romain Pinchon, doctorant en droit public

La recherche au service de la protection des victimes des conflits

1er juin 2011

Romain Pinchon est doctorant en droit et Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER) auprès de la Faculté de Droit de La Réunion. Il a choisi de préparer une thèse de doctorat sur le renouveau de la coutume en droit des conflits armés, après l’obtention d’un Master en Droit mention Relations Internationales.

Pourriez-vous nous parler de votre parcours d’étudiant et de chercheur et de vos motivations et intérêts ?

- Après avoir obtenu mon baccalauréat au Lycée de Mamoudzou, à Mayotte, j’ai commencé mes études supérieures à La Réunion, en hypokhâgne. Les lettres et le concours de l’École Normale ne m’intéressant pas outre mesure, je me suis ensuite inscrit en Faculté de Droit. Après l’obtention d’une Licence d’Administration Publique, au DPAG de La Réunion, il m’a été donné la chance d’effectuer un premier stage auprès du Commandant des Forces Maritimes de la Zone Sud de l’Océan Indien. Ayant une curiosité prononcée pour la politique internationale, un goût certain pour les études juridiques et l’intuition que ces études ne pouvaient être complètes sans une approche pluridisciplinaire des différentes problématiques mondiales, je me suis ensuite orienté vers un Master de Droit mention Relations Internationales.
Enfin, après une expérience au Ministère français des Affaires étrangères, à Paris, mon responsable de Master (le Professeur Laurent Sermet) m’a proposé de préparer un doctorat de droit public sous sa direction et enseigner, en parallèle, à l’Université. Mon objectif : faire progresser la science juridique tout en proposant des outils conceptuels nouveaux, applicables par les praticiens des conflits armés, aux fins de la protection des victimes de ces conflits et la modération des combats. Sur un plan personnel, le titre de docteur est particulièrement apprécié dans le monde (un peu moins en France, pour diverses raisons), et la formation doctorale permet d’acquérir des capacités de conceptualisation, de recherche, de synthèse, d’organisation, assez uniques.

Lors du Forum des Jeunes Chercheurs du mercredi 18 mai, vous avez présenté comme sujet "Stratégies juridiques étatiques et revendications territoriales dans l’océan Indien", pouvez-vous en dire davantage ?

- Ce sujet n’entre pas en lien direct avec l’objet de ma thèse, mais en tant que juristes réunionnais, spécialistes de droit international, je suis évidemment très intéressé par les problématiques régionales.
Celles-ci font rarement la une de l’actualité, malgré la mobilisation d’acteurs locaux autour du drame humain qu’ont connu, et auquel sont encore confrontés les Chagossiens ; malgré les solutions juridiques novatrices mises en œuvre par la France dans sa relation avec la République de Maurice. Mon intervention se proposait alors d’expliquer en des termes simples quels sont les moyens de droit employés par deux anciens États coloniaux encore présents dans l’Océan Indien, la France à propos de l’île de Tromelin et des îles éparses, et le Royaume-Uni avec l’archipel des Chagos, en réponse aux revendications territoriales d’États régionaux tels que la République de Maurice et la République de Madagascar.
Récemment, en 2010, ces deux premiers États ont adopté des solutions originales et bien différentes. La France a en effet conclu un accord avec l’île Maurice prévoyant la cogestion de l’île de Tromelin dans des domaines variés, comprenant l’archéologie ou la pêche hauturière. C’est une solution pragmatique, qui permet une relation pacifiée tout en laissant en suspend la question de la souveraineté. Quant au Royaume Uni, il a créé autour de l’archipel des Chagos la plus grande réserve maritime mondiale, ce qui a pour effet, entre autres, d’exclure le retour des Chagossiens, expulsés de leur île au début des années 70, sur leurs terres d’origine. À Maurice, cette initiative a été fermement condamnée, d’autant plus que le site "Wikileaks" a mis en ligne un câble diplomatique américain relatant les propos de diplomates britanniques selon lesquels cette réserve maritime n’était qu’un prétexte afin de garantir sur le long terme le maintien de la base américaine de Diego Garcia.

Les Chagossiens demandent de pouvoir retourner dans leurs îles, comment les lois ont-elles permis de bafouer les droits d’un peuple en le condamnant à l’exil ?

- C’est dans un contexte de guerre froide que les Britanniques ont créé le British Indian Ocean Territory, en retirant l’archipel des Chagos du territoire de leur colonie mauricienne, en 1965. Cette séparation s’est faîte avec l’accord des dirigeants mauriciens et une contrepartie financière. Or, Maurice n’a accédé à l’indépendance qu’en 1968 ! Cela étant, les Anglais ont ensuite conclu divers accords avec les États-Unis afin que ceux-ci édifient progressivement une base sur l’atoll de Diego Garcia ; cette base est aujourd’hui l’une des plus importantes au monde, en terme d’importance numéraire des forces et de positionnement stratégique. Comme la propriété des îles archipélagiques appartenait alors à des compagnies exploitant le coprah, les Britanniques ont exproprié ces compagnies puis ont expulsé par différents procédés et sans grande publicité les Chagossiens. Ceux-ci ont aujourd’hui saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme, en alléguant de nombreuses violations de leurs droits, et après que les juridictions britanniques aient refusé de leur donner raison… mais l’affaire n’a pas encore été jugée. Maurice a également décidé de contester et le droit pour les Britanniques d’édifier une réserve maritime autour des Chagos, et la violation, ce faisant, par le Royaume-Uni du droit des Chagossiens au retour, en introduisant une procédure arbitrale sur le fondement de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer.

Quels sont les avantages et inconvénients du statut de réserve naturelle maritime ?

- La création d’une réserve maritime pourrait être une excellente chose, compte tenu de la biodiversité exceptionnelle de cette zone de l’Océan Indien ; les consultations publiques conduites par les Britanniques ont montré le soutien émanant de certaines associations écologistes à ce projet. Parallèle peut être fait avec les îles éparses, érigées comme "réserve naturelle intégrale" par la France, en 1975.
Or, sous le fard environnementaliste, et sans s’appesantir davantage sur les troublantes révélations publiées par "Wikileaks", l’on est amené à douter de la bonne foi britannique. D’abord, cette réserve englobe l’archipel des Chagos… à l’exception de l’atoll de Diego Garcia où se trouve la base militaire américaine. Cela peut sembler paradoxal, alors même que « l’empreinte écologique » des B52 qui décollent de cette base, comme des porte-avions qui y font escale, n’est pas négligeable !

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