Devant la multiplication des coups de force

Appel à un sursaut démocratique réunionnais

11 juin 2010, par Manuel Marchal

Depuis l’arrivée d’une nouvelle Direction à la Région, un bruit colporté dans l’opinion fait dire qu’il faut laisser Didier Robert travailler. Selon les instigateurs de cette rumeur, il faut laisser faire et les électeurs jugeront dans quatre ans. Ce point de vue est très étonnant car depuis l’élection de Didier Robert, à aucun moment l’action de la Région n’a été entravée. L’objectif des créateurs de cette rumeur n’est donc pas d’empêcher les entraves, mais de faire taire les critiques. Or, comme ’Témoignages’ l’indiquait hier, des faits montrent que La Réunion connaît une dégradation de ses mœurs démocratiques.

La démocratie est récente à La Réunion. Pendant plus de la moitié de notre Histoire, notre île a connu l’esclavage. À ce régime considéré dorénavant comme un crime contre l’humanité a succédé la colonisation. Puis la lutte des Réunionnais pour sortir de la misère coloniale a débouché sur l’abolition de ce régime le 19 mars 1946. C’est à partir de cette date, c’est-à-dire il y a seulement 64 ans, que la démocratie a commencé à exister en droit à La Réunion. Mais l’application de ce droit a nécessité de nombreux sacrifices, le pouvoir parisien et ses alliés locaux n’hésitant pas à utiliser les pires procédés pour chasser les élus que les Réunionnais se sont choisis (voir encadré). À une première période où le suffrage universel était respecté a succédé à partir de 1957 une violente répression contre les démocrates. Le suffrage universel cessa alors d’exister dans notre île, remplacé par des mascarades électorales qui désignaient systématiquement la victoire du candidat officiel.
La mobilisation des démocrates a permis de faire reculer à nouveau la fraude à partir de la fin des années 60. Dans le même temps s’est opéré le virage de la décentralisation. Cela a donné la possibilité aux Réunionnais de choisir les élus qui administrent des compétences qui concernent directement leur pays. Ainsi, l’ancienne Direction de la Région avait travaillé avec ses partenaires à la réalisation d’un Plan réunionnais de développement durable, mis au point à La Réunion par des Réunionnais afin de répondre à des enjeux réunionnais. Mais depuis 2008, cette période de plein exercice de la démocratie est derrière nous. Des reculs considérables sont observés, et ils laissent sans réaction ceux qui tentent de faire croire à l’opinion qu’il suffit de laisser Didier Robert travailler pour que les choses se fassent de manière "naturelle". Les faits sont pourtant très inquiétants.

Point de départ : la casse de la Rocade du Tampon

- À peine arrivé à la Direction du Tampon, Didier Robert choisit de casser le projet de la Rocade. Cette attitude aurait dû faire réfléchir, mais la "bonne pensée" a décidé de laisser faire, il fallait laisser le nouveau maire du Tampon travailler.
Cette "bonne pensée" ne s’est pourtant pas offusquée de la multiplication de coups de force visant la Région et le Conseil général.

• Blocus de la Région par des camionneurs sans réaction du préfet

- En novembre 2008, un préfet est même personnellement monté au créneau, accueillant à la préfecture une conférence de presse de camionneurs qui ont appelé à bloquer la Région devant les caméras de RFO. Ce soir-là et les deux jours suivants, le représentant de l’État a laissé faire le blocus qui a entraîné une entrave sans précédent au fonctionnement d’une institution de la République. Mais là, aucune voix ne s’est faite entendre pour dire qu’il fallait laisser la Région travailler. Ce coup de force s’est répété en juillet 2009 pendant la visite du Premier ministre, mais là aussi, silence sur une méthode pourtant similaire à celle utilisée en 1973 par les dictateurs qui ont renversé la démocratie au Chili.

• Blocus du Conseil général mené par la future vice-présidente de la Région

- À partir de novembre 2009, c’est le Conseil général qui est la cible d’un coup de force. Objectif Réunion n’hésite pas à profiter de la détresse de 1.200 salariés trahis par la faillite de leurs dirigeants pour orienter leur colère vers le Conseil général. L’assemblée est occupée. À aucun moment, la "bonne pensée" ne s’est exprimée pour dire qu’il fallait laisser le Conseil général travailler. Seul "Témoignages" s’est levé pour expliquer la manipulation. Aujourd’hui, le coup de force contre la démocratie est clairement établi, puisque la meneuse est aujourd’hui vice-présidente de la Région, tandis que les travailleurs de l’ARAST sont restés à terre.

• La casse du principe de continuité de la République

Depuis fin mars et l’arrivée d’une nouvelle Direction à la Région, des projets sont cassés, des milliers d’emplois sont perdus et des sommes considérables sont gaspillées, mais là, personne ne tire la sonnette d’alarme.
Un des principes de la démocratie, la continuité de l’action de la République, est bafoué. Les projets étaient en effet inscrits dans des partenariats impliquant l’État et l’Europe.

• L’utilisation de l’appareil judiciaire

- Force est de constater également une utilisation de l’appareil judiciaire pour régler des comptes politiques car, manifestement, des tris sont opérés concernant le traitement des dossiers. Comment expliquer tout le battage médiatique effectué autour des gardes à vue sans suite visant Claude Hoarau alors que dans le même temps, la condamnation de Cyrille Hamilcaro pour diffamation et sa mise en examen pour une gestion peu orthodoxe des affaires publiques est quasiment passée sous silence.

• La déstabilisation d’une assemblée préparée depuis l’Élysée

- Le bouquet final, c’est lorsque l’on apprend que c’est à l’Élysée, en présence du président de la Région, que l’on décide des moyens à mettre en œuvre pour déstabiliser la majorité du Conseil général, une assemblée élue directement par les Réunionnais.

Depuis l’arrivée officielle de la démocratie à La Réunion il y a à peine 60 ans, cet acquis a connu des périodes de progrès et de reflux.
Nous vivons actuellement une période de dégradation des mœurs démocratiques. Face à cette aggravation de la situation, "Témoignages" appelle les démocrates les plus sincères à se lever face à ce qui est en train de se tramer.

Manuel Marchal


Quand Paris faisait "élire" un candidat avec 100% des suffrages

L’abolition de l’esclavage en 1848 n’a pas signifié la démocratie. Le statut colonial était maintenu et les femmes n’avaient pas le droit de voter. Les élections se déroulaient d’ailleurs dans un climat de violences et de fraudes que l’on a du mal à imaginer. Ainsi, dans les années 30, plus de 10 personnes étaient mortes durant une élection législative.
À la sortie de la guerre, la vigilance des démocrates réussit à faire reculer la fraude. Le suffrage universel est enfin une réalité, et en 1945-1946, les Réunionnais élisent leurs représentants à la Direction des Mairies, du Conseil général et leurs parlementaires. La volonté du peuple est de donner les moyens au CRADS d’appliquer son programme. Cela aboutit le 19 mars 1946 à l’abolition du statut colonial et au droit à l’égalité au 1er janvier 1947.
Mais cette loi n’est pas appliquée, et la pratique coloniale persiste, donnant à la départementalisation un contenu réactionnaire, à l’opposé de ce que voulaient ses fondateurs et le peuple réunionnais qui les avaient élus.
Le peuple prend conscience de cette situation, et en 1956, la liste qui milite pour la fin de la pratique coloniale à La Réunion remporte deux sièges sur trois aux Législatives. Ce résultat amplifie la réaction dirigée de Paris qui décide d’envoyer le préfet Perreau-Pradier prendre la Direction de la lutte contre les progressistes. La première offensive a lieu peu après le décès du Dr. Raymond Vergès, c’est la fraude électorale de Saint-André. Puis toutes les élections voient la fraude imposer le candidat officiel, avec à chaque fois des titres dithyrambiques de la part d’une certaine presse. L’ORTF et le "JIR" de l’époque n’hésitaient pas à titrer sur le "raz-de-marée UDR", sur la victoire massive du parti du pouvoir ou sur la prochaine disparition du PCR. Il n’était pas rare qu’à une élection municipale, le candidat officiel recueille 100% des suffrages au premier tour !
Voilà ce qui se passait à l’époque des candidats officiels. Et c’est la méthode du candidat officiel qui est utilisée aujourd’hui pour tenter de renverser la majorité du Conseil général.

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