’La politique du gouvernement à l’égard des fonctionnaires d’hier et d’aujourd’hui’ — 6 —

« Dégager des crédits pour l’assistance »

8 août 2012

La dernière partie de l’article publié dans ’Cahiers de La Réunion et de l’océan Indien’ explique quelles étaient les perspectives au moment où le gouvernement prévoyait de remettre en cause plusieurs aspects spécifiques à une partie de la fonction publique en service à La Réunion.

Pour faire face à la montée des forces populaires qui, après un temps de reflux à la fin des années 40 et au début des années 50, se manifestait de nouveau avec vigueur à l’occasion des élections législatives de 1956, nous avons vu le gouvernement recourir à des méthodes héritées du fascisme gansgtérisme électoral, interdictions de défilés traditionnels, saisies de journaux, mutation d’office des fonctionnaires restés fidèles à leurs convictions, dure répression des manifestations de planteurs, etc.

En même temps qu’il maniait le gros bâton, le gouvernement s’efforçait de brandir la carotte aux yeux des masses populaires. Jamais la « départementalisation sociale » n’a fait d’aussi grands pas que depuis l’apparition du mot d’ordre d’autonomie. Les années 60 ont vu notamment l’introduction de la « parité globale » dans le domaine des allocations familiales, la construction de cantines scolaires, l’amorce d’une politique sociale du logement.

La carotte et le bâton

Le gouvernement put croire que les mesures prises en faveur des masses populaires — si insuffisantes soient-elles — étaient de nature à favoriser un revirement politique de ces masses. En fait, le thermomètre ayant été brisé, rien ne permettait plus de mesurer valablement la température du corps électoral. Toutes les velléités ponctuelles de libéralisation dans ce domaine furent décevantes pour le gouvernement : trois élus communistes à Saint-Paul lors des cantonales de 1970 ; quatre mairies enlevées à la droite en 1971 ; et surtout la majorité absolue de la gauche à la présidentielle de 1974.

Le gouvernement comprit qu’il n’était pas au bout de ses peines. Il reprit son gros bâton : on s’en est aperçu lors des récentes élections cantonales. Et, de nouveau, il recourut à la carotte depuis la victoire de la gauche aux élections présidentielles (NDLR - à La Réunion en 1974), la « départementalisation sociale » a fait de nouveaux progrès. Encore que le pouvoir soit plus prodigue en promesses qu’en réalisations, nul ne saurait contester la progression des crédits sociaux depuis deux ans.

Assistance et non-développement

Une telle évolution ne peut que s’accentuer dans les années à venir. Étant donné la politique de non-développement économique choisie par le gouvernement pour les Départements d’Outre-mer, le pouvoir est condamné à renforcer son assistance aux plus déshérités, sous peine de soubresauts violents.

Pour diminuer la tension sur le front social, pour essayer de gagner du terrain sur le plan politique, le gouvernement devra dégager des crédits sociaux de plus en plus importants. Les économies drastiques réalisées dans la Fonction publique répondent donc aussi à des mobiles politiques.

D’autres que nos gouvernants craindraient sans doute de perdre politiquement du côté des fonctionnaires ce qu’ils espèrent gagner du côté des masses populaires. Mais à voir la désinvolture avec laquelle le Secrétaire d’État aux DOM-TOM traite des problèmes de la Fonction publique, il semblerait que le gouvernement n’éprouve nulle crainte à ce sujet. Se fondant sur son expérience d’un passé récent, confiant dans l’idéologie anti-communiste distillée par les Comités de sauvegarde et autres ARDF, le pouvoir estime sans doute qu’il ne court pas le risque de voir les fonctionnaires, quels que soient les coups qui leur seront portés, basculer à gauche ou même simplement s’abstenir lors des prochaines consultations électorales.

(Fin)

légende 4-5a
Malgré toutes les pressions, les classes populaires ne rataient pas la moindre occasion pour montrer son attachement aux thèses du Parti communiste réunionnais. Au moindre relâchement de la fraude, les progressistes étaient devant, comme lors de l’élection présidentielle de 1974.

encadré

La conclusion de l’article de "Cahiers de La Réunion et de l’océan Indien"

« Solidarité »

La solidarité à l’égard des revendications de la classe ouvrière et entre tous les agents de la fonction publique, telle est la proposition sur laquelle se conclut l’article de "Cahiers de La Réunion et de l’océan Indien" publié en novembre 1976. Les intertitres sont de "Témoignages".

Il est vrai que les hésitations des syndicats de fonctionnaires, la timidité de leurs réactions devant l’offensive gouvernementale, semblent de nature à justifier l’assurance du pouvoir. Il a fallu la méprise engendrée par la réponse de Jean-Pierre Fourcade, alors Ministre des Finances, à Jean Fontaine, la crainte de voir supprimer, outre l’index de correction, également l’indemnité de vie chère (confondue avec l’indemnité temporaire des retraités) pour que soit déclenchée la grève massive du 22 avril.

Celle des 21 et 22 juin a été engagée mollement, avec une préparation insuffisante, de même que la manifestation automobile confidentiellement décidée par quelques dirigeants à l’occasion du dernier séjour de M. Stirn à La Réunion.

Il est vrai aussi que la position des fonctionnaires et de leurs syndicats n’est pas une position facile. Dans un pays misérable comme le nôtre, dans un « département » où le SMIC ne représente que 66% du SMIC métropolitain, il peut sembler injustifié de se battre ouvertement pour des traitements deux fois supérieurs à ceux des fonctionnaires français. On éprouve toujours quelque mauvaise conscience à lutter pour le maintien de ce qui peut être considéré comme des privilèges.

L’exemple martiniquais

Mais les privilèges sont toujours relatifs. Les avantages accordés depuis la Seconde Guerre mondiale à la Fonction publique ne semblent « exorbitants » — pour reprendre une expression du Rapport général d’Approche du Vile Plan — que parce que le secteur privé est resté à la traine, que la législation métropolitaine en matière de salaires, d’aide aux travailleurs sans emploi, de prestations familiales, etc., est restée lettre morte.
Les fonctionnaires de notre pays se sentiraient certainement plus à l’aise pour défendre leurs intérêts si leurs dirigeants les associaient plus étroitement aux revendications des masses populaires en lutte pour le mieux-être. Les fonctionnaires martiniquais n’éprouvent, pour leur part, aucun complexe à se battre pour leurs revendications propres dans la mesure où ils ont toujours manifesté une solidarité active à l’égard de la classe ouvrière.

Solidarité ! Tel est le maître mot qui doit guider désormais l’action des fonctionnaires et assimilés. Solidarité bien sûr nécessaire à l’intérieur même de la Fonction publique, où la diversité des situations ouvre au gouvernement la possibilité de manœuvres. Il est certain qu’en s’en prenant à l’indemnité temporaire des retraités, le pouvoir table sur l’indifférence de tous ceux (hospitaliers, communaux, Sécurité sociale...) qui n’en bénéficient pas. Au contraire, il espère détourner fonctionnaires de l’État et départementaux de la lutte commune contre l’abaissement de l’index de correction en leur conservant une indemnité de vie chère dont les autres ne jouissent pas.

Les conditions d’une solidarité réciproque

Il faut déjouer ces manœuvres. Et nous sommes persuadés que le dénominateur commun capable de mobiliser l’ensemble des travailleurs de la Fonction publique doit être trouvé dans la détermination d’un coefficient unique de multiplication des traitements, retraites, prestations sociales, bourses ; coefficient qui serait fonction du coût de la vie, calculé dans la concertation syndicale et qui remplacerait à la fois l’index de correction, l’indemnité de vie chère et l’indemnité temporaire ; coefficient dont il conviendrait d’exiger qu’il s’applique ultérieurement aux salaires et prestations du secteur privé.

Car la solidarité est aussi et surtout nécessaire à l’égard de la classe ouvrière qui n’a ni indemnité de vie chère, ni indemnité temporaire, dont les allocations familiales sont amputées de 45%, et dont l’index de correction est pour ainsi dire négatif. Les modalités d’exercice d’une telle solidarité sont à trouver. Mais en aucun cas elles ne doivent laisser aux ouvriers l’impression que l’Histoire recommence et qu’il leur est demandé comme en 48-49 de se battre pour les avantages exclusifs des travailleurs de la Fonction publique. Il faudrait, bien au contraire, que des actions concrètes soient engagées de part et d’autre, en premier lieu autour des revendications prioritaires de la classe ouvrière, montrant que les conditions d’une solidarité réciproque sont en train de se réaliser.

(Fin)

Encadré

« La politique du gouvernement à l’égard des fonctionnaires d’hier et d’aujourd’hui »

Voici la liste des différentes parties de l’article paru sous la signature de Daniel Lallemand dans le numéro de novembre 1976 de la revue "Cahiers de La Réunion et de l’océan Indien", dirigée par Antoine Minatchy.

Mercredi 1er août : "L’intégration des fonctionnaires"
Jeudi 2 août : "L’écart se creuse"
Vendredi 3 août : "Les signes avant-coureurs d’un changement"
Samedi 4 août : "L’offensive du pouvoir"
Lundi 6 août : "Le coût de la vie"
Mardi 7 août : "Les raisons d’une marche arrière" et "La créolisation des cadres"

L’intégration des fonctionnaires réunionnais dans le "cadre métropolitain" ou "inter-colonial" répondait à trois objectifs du gouvernement :

1) - créer les conditions de la venue massive de fonctionnaires métropolitains à La Réunion (objectif administratif)

2) - favoriser la constitution artificielle d’une couche sociale privilégiée, grosse consommatrice de produits importés (objectif économique)

3) - enfin et surtout diviser et briser le mouvement syndical et par contrecoup affaiblir le mouvement populaire (objectif politique).

"Cahiers de La Réunion et de l’océan Indien", novembre 1976.


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