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Gélita Hoarau : « Trop de langues, trop de cultures ont été anéanties »

Séance publique du Sénat

mercredi 14 mai 2008


Voici l’intervention de Gélita Hoarau, Sénatrice de La Réunion, à la Question orale avec débat de M. Nicolas Alfonsi, député corse, à Mme la Ministre de la Culture et de la Communication, sur la sauvegarde et la transmission des langues régionales ou minoritaires, au Sénat.


Monsieur le Président, Madame la Ministre, Chers collègues,

À La Réunion, très récemment, un sondage établissait que l’immense majorité de la population (83%) utilisait la langue créole dans son vécu quotidien.

Il faut dire que dans le peuplement de La Réunion, qui a vu l’arrivée de populations des continents le plus divers (Europe, Asie, Afrique), chacune apportant sa propre culture, l’élément essentiel qui a cimenté l’unité du peuple à La Réunion a été la langue créole. Depuis, elle s’est maintenue, non sans avoir subi des évolutions, des transformations et des enrichissements multiples. Que cette langue perdure aujourd’hui, c’est la preuve de sa vitalité et de la volonté des Réunionnaises et des Réunionnais à vouloir la conserver.

Pourtant, comme le dit Aimé Césaire, la politique imposée aux esclaves et aux colonisés a été non seulement la domination et la sujétion, mais aussi la destruction des cultures. « Je parle, dit-il, de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées ».

Combien de fois n’a-t-on pas entendu des affirmations péremptoires selon lesquelles la langue créole, voire tel ou tel aspect de la culture de pays subissant la colonisation, étaient inférieurs à ceux de l’Occident.

Le pire étant que, du fait des complexes ainsi engendrés, des ressortissants de contrées colonisées ont parfois repris à leur compte ces jugements définitifs, reniant ainsi leur propre identité culturelle.

À La Réunion, la chasse à la langue créole faisait partie de la politique officielle tant sur le plan administratif que dans l’Éducation nationale. Le mot d’ordre d’un vice-recteur n’était-il pas : « il faut fusiller le créole », et cela se passait il y a seulement 30 ans.

Persister à vouloir « fusiller le créole » susciterait une réprobation unanime tant il est admis aujourd’hui qu’il n’existe aucune échelle de valeur pouvant classer les cultures selon d’illusoires critères de "supériorité". Chacun de nous sait trop bien où cela a conduit l’Europe dans les années 40.

De plus, à l’heure où tous les efforts sont faits pour sauvegarder la biodiversité, par respect pour la nature et pour ce qu’elle a produit sur le plan animal ou végétal, comment admettre que ce qu’une société humaine a créé de spécifique et d’unique - sa culture - puisse disparaître sans dommage.

Trop de langues, trop de cultures ont été anéanties. La diversité culturelle enrichissant le patrimoine de l’Humanité, c’est à nous qu’incombe la charge d’en sauvegarder et valoriser toutes les expressions, tant il est vrai que la culture unique est annonciatrice de la mort de toute culture.

A La Réunion, l’entrée du créole à l’école a toujours été un sujet de polémique et de déchirements. Les uns estimant qu’il est un obstacle à l’apprentissage du français, ce qui conduit certains à approuver la répression du créole, les autres considérant que la prise en compte du vécu de l’enfant réunionnais dans tous ses aspects socio-culturels - dont sa langue maternelle - contribue au contraire à son plein épanouissement et favorise ses apprentissages, notamment celui de la langue française.

Ceux-là insistent sur le fait que réprimer la langue maternelle engendre chez l’enfant de graves traumatismes le bloquant dans ses apprentissages.

C’est fort de ces observations et aussi dans le souci de valoriser et d’enrichir les cultures régionales que la loi organise maintenant l’enseignement et le développement de la langue et la culture régionales.

Cette loi constitue une avancée indéniable et elle contribue à faire évoluer les esprits. Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Il y a seulement quelques jours, un Principal de collège a interdit à l’un de ses élèves de s’exprimer en créole à la télévision publique alors même que cette émission se fait entièrement en créole !

La mise en application des textes se heurte encore trop souvent soit à l’inertie, soit à des réflexes passéistes, quand il ne s’agit pas tout simplement de mauvaise foi. Sans doute vous-même ne manquerez pas, Madame la Ministre, avec votre collègue de l’Éducation nationale, de faire à ce sujet un point d’étape de manière à surmonter les pesanteurs et à encourager les initiatives entreprises.

Pour conclure, et d’une manière plus générale, sans doute conviendrons-nous tous que la reconnaissance et la valorisation de la diversité culturelle ont besoin d’un souffle nouveau. Si en 1992, la planète a eu droit à son Sommet à Rio, la diversité culturelle n’en mérite-t-elle pas autant ? Il serait tout à l’honneur de la France d’être à l’initiative d’un tel Sommet. Elle sera d’autant plus légitime à l’organiser, elle qui possède déjà une grande diversité dès lors que sont pleinement reconnus les apports culturels spécifiques et uniques de toutes ses régions et des DOM-TOM en particulier.

Je vous remercie.


Diversité linguistique : 3.000 langues en péril

La moitié environ des quelque 6.000 langues parlées dans le monde sont menacées de disparition, à des degrés divers. Au cours des 3 siècles derniers, des langues se sont éteintes ou ont disparu dans des proportions dramatiques et à un rythme sans cesse croissant, en particulier en Amérique et en Australie. Aujourd’hui, au moins 3.000 langues sont menacées dans de nombreuses régions du monde. 


(...) « Parmi toutes les langues parlées dans le monde, la plus importante pour le début du développement émotionnel et cognitif est celle avec laquelle nous apprenons à nommer notre univers personnel [...]. C’est la langue de l’enfance, de l’expérience familiale intime et de nos premières relations sociales », souligne le Directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura. (...) La France à elle seule compte 14 langues « gravement menacées ». (...) En Europe, les langues minoritaires ont souffert de politiques répressives, même si elles ont récemment retrouvé des défenseurs. Seuls quelques rares pays, comme la Norvège et la Suisse, encouragent le multilinguisme depuis longtemps. (...)


En Nouvelle-Calédonie, le français a exercé une « influence dévastatrice » : sur 60.000 habitants autochtones de l’île, 40.000 ont oublié leur langue maternelle. (...)


Diverses causes peuvent aboutir à l’abandon progressif d’une langue par ses locuteurs. La première est l’éclatement et le déplacement de certaines communautés : des individus ou des petits groupes d’individus se retrouvent immergés dans un Environnement culturel et linguistique différent, qui finit par étouffer leur langue. Une langue peut aussi disparaître lorsque ses locuteurs entrent en contact avec une culture plus « agressive » ou plus forte sur le plan économique. Les adultes encouragent alors leurs enfants à apprendre la langue de la culture dominante, notamment en vue de trouver du travail. Enfin, certaines minorités et leur langue sont agressées par des groupes humains qui détruisent leur environnement pour en tirer des minerais, du bois, du pétrole, etc... La situation s’aggrave lorsque les autorités découragent systématiquement l’emploi des langues locales (à l’école, dans l’administration, dans les médias, etc...). (...)
L’UNESCO, qui a adopté la Déclaration universelle sur la diversité culturelle lors de sa dernière Conférence générale, le 2 novembre 2001, encourage la communauté internationale à prendre des mesures pour protéger le patrimoine immatériel, dont les langues, au même titre que les trésors naturels et culturels du patrimoine matériel.

(Sources : UNESCO)


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