Projet de loi sur le port du voile

Gélita Hoarau : une loi qui n’a pas lieu d’être

15 septembre 2010

La sénatrice de La Réunion, Gélita Hoarau s’est exprimée lors de la séance publique d’hier de l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. La parlementaire réunionnaise constate que ce texte ne va pas dans le sens du vivre-ensemble réunionnais et risque d’accentuer les tensions provoquées par la crise sociale. Pour Gélita Hoarau, cette loi n’a pas lieu d’être et la sénatrice n’a pas pris part au vote. Voici le texte de son intervention, avec des inter-titres de ’Témoignages’.

« Monsieur le Président, Madame la ministre, Chers collègues,
Au début du mois d’août de cette année, La Réunion s’est vue classée par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’Humanité pour ses pitons, cirques et remparts. Cette reconnaissance internationale, pour paraphraser le ministre de l’écologie, « témoigne de la place essentielle de l’outre-mer dans les richesses naturelles de la France ».
Mais, il est une richesse autre que ses paysages et sa biodiversité, c’est son histoire, sa culture, nées d’un brassage culturel intense.
En effet, le peuplement de La Réunion s’est fait par un mouvement continu d’immigrations venant d’Europe, d’Afrique, de Madagascar, d’Inde, de Chine et des îles alentours. Ces populations diverses ont connu, sous la pression de l’esclavagisme, puis de la colonisation un double phénomène : l’acculturation d’abord, puis la création d’une nouvelle culture grâce au métissage, la culture ou l’unité réunionnaise disent certains ou la “civilisation créole” pour d’autres.
C’est ce métissage qui a permis à l’identité réunionnaise d’être intrinsèquement disposée à s’enrichir des apports de toutes les composantes, indépendamment des hiérarchies sociales, culturelles et cultuelles imposées par le système.

Le ciment commun de l’unité réunionnaise

Cette unité réunionnaise est marquée par un ciment commun constitué d’éléments suivants : la langue créole et un vivre ensemble qui à l’heure des questionnements identitaires est cité en exemple. Ce vivre ensemble, propre à La Réunion de par son histoire et dans le droit fil des valeurs républicaines, est notamment fondé sur le respect des différents cultes, le respect des pratiques religieuses qui se confondent parfois. Parmi ces religions, on compte notamment le catholicisme, l’hindouisme, et l’islam.
Cet islam venu du Nord de l’Inde a su — dès la fin du 19ème siècle — intégrer ses institutions religieuses dans l’espace public réunionnais. Cette visibilité tranquille, cette intégration de l’islam au sein de la société réunionnaise a pu préserver notre île des remous, polémiques suscitées en France continentale par le port du foulard islamique des jeunes filles dans les établissements scolaires, et autres débats concernant l’intégration des musulmans dans la société française.

La stigmatisation d’une partie de la population

Toutefois, ce vivre ensemble ne saurait se réduire à une image d’Epinal. Ce modèle d’unité est mis à mal pour diverses raisons. La première est, sans conteste, le contexte socio-économique difficile. Comment garantir notre cohésion et comment faire garder confiance aux valeurs républicaines quand le taux de chômage dépasse les 30% de la population active ? Quand plus de 50% de la population totale d’un département vit au-dessous du seuil de pauvreté ? C’est — chacun doit en être conscient — une région au bord de l’explosion sociale. A cela s’ajoute un déni identitaire.
Ensuite, madame la ministre, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui, n’est pas non plus propice à assurer, à encourager ce vivre ensemble. Il stigmatise une partie de la population pour une pratique vestimentaire extrêmement marginale et à la fois, condamnée par la quasi-totalité d’une population attachée au principe de liberté de la femme.
Ce texte risque donc d’être vécu comme un acte d’ostracisme par certains et susciter de ce fait même, par réaction, un renforcement du fondamentalisme islamique. Au final, ce sont certaines femmes musulmanes que ce texte condamnera à un confinement au cercle familial, à la sphère domestique.

Où sont les conditions décentes de vie ?

Ce déploiement législatif semble disproportionné, seules quelques centaines de femmes, en France, étant concernées, et déraisonnable au vu du fondement juridique du projet de loi ; alors qu’il existe déjà des dispositifs réglementaires visant à interdire, dans certains cas, ou du moins à limiter et à dissuader le port du voile intégral. C’est le cas de la loi du 15 mars 2004 qui interdit dans les établissements scolaires publics le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse. Ou encore l’obligation des agents publics à ne pas manifester leur obédience dans le cadre de leur fonction. Chaque citoyen français peut être soumis à un contrôle d’identité qui ne peut se faire qu’à visage découvert. Se pose également le problème de l’application de cette loi.
Enfin, madame la ministre, garantir les valeurs de la République c’est créer des conditions décentes de vie (emploi, logement, bonne qualité scolaire, santé) pour que chacun puisse s’inscrire dans le développement de la société. C’est aussi reconnaître le pluralisme d’une société. C’est la raison pour laquelle je considère, madame la ministre, qu’une loi sur le sujet proposé n’a pas lieu d’être. Aussi, je ne participerai pas au vote.
Je vous remercie de votre attention. »

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