50e anniversaire du « Manifeste pour le droit à l’autodétermination et contre toute solution néocolonialiste »

La responsabilité pour plus d’autonomie toujours au centre du débat

12 mai 2018, par Manuel Marchal

Ce mois de mai marque le 50e anniversaire de l’adoption du « Manifeste pour le droit à l’autodétermination et contre toute solution néocolonialiste » par les syndicats, partis politiques et organisations progressistes de Guadeloupe, Martinique et de La Réunion. Ce document revendiquait le droit pour les peuples concernés d’avoir les moyens d’élaborer une politique adaptée à la situation de chaque territoire. La réforme de la Constitution lancée par le gouvernement est le moment de relancer ce débat, face à l’échec d’un système qui produit chômage et pauvreté.

Plus de la moitié des jeunes au chômage : conséquence de politiques inadaptées.

Ce début du mois de mai a été marqué par plusieurs manifestations liées à des dates anniversaires : bicentenaire de la naissance de Karl Marx le 5 mai, commémoration de la victoire sur le nazisme les 8 et 9 mai, et de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions le 10 mai. Parallèlement à cela, c’est le 50e anniversaire de Mai-68 en France. Ce mouvement social lancé par la répression visant les étudiants déboucha sur d’importantes manifestations en France puis à La Réunion, ainsi que sur des avancées sociales.

Lutte des planteurs et contre la fraude

Pour ce qui concerne La Réunion, l’actualité voici 50 ans était différente. C’était notamment la lutte des planteurs soutenue par le Parti communiste réunionnais. La bataille portait sur une nouvelle répartition des revenus de la canne à sucre. L’objectif était que les planteurs puissent en obtenir 75 % au lieu de 66 %. Dans le camp d’en face, le pouvoir ripostait. De nombreux militants furent jetés en prison. Une autre bataille portait sur le respect du suffrage universel. Les élections municipales organisées en 1965 avaient tourné à la caricature. Les résultats obtenus par les candidats du pouvoir dès le premier tour montraient l’ampleur de la fraude, avec des scores souvent au-delà de 90 % des « voix ». Quant aux listes communistes, il arrivait qu’elles soient créditées d’un nombre de « voix » inférieur au nombre de candidats qui y étaient inscrits ! Paris avait alors un seul objectif, empêcher le PCR de s’exprimer.

Dans une autre ancienne colonie, la violence de la répression était encore plus dramatique. En mai 1967, le pouvoir a fait tirer sur une manifestation de travailleurs en Guadeloupe faisant de nombreux morts.

Pour une nouvelle société

C’est dans ce contexte que les organisations progressistes de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de l’émigration en France ont décidé de s’unir autour d’une plate-forme commune : le « Manifeste pour le droit à l’autodétermination et contre toute solution néocolonialiste ». Il reflétait les conditions de l’époque. En effet, le principal objectif était d’organiser une nouvelle société en brisant la domination de l’aristocratie sucrière. À ce moment, les industriels du sucre étaient non seulement propriétaires des usines, mais détenaient aussi une grande partie des terres agricoles. La représentation politique reflétait cette domination. Beaucoup d’élus faisaient partie de cette aristocratie du sucre, ils étaient des usiniers, des propriétaires fonciers ou des banquiers.

La création de cette nouvelle société aurait permis d’achever la décolonisation de La Réunion, en faisant sauter la superstructure maintenue par la départementalisation.

Le changement par la responsabilité

D’où la revendication d’une réforme agraire et d’une nationalisation de l’industrie sucrière.
Ces revendications étaient notamment portées par le PCR, créé en 1959. 13 ans après l’abolition du statut colonial, les communistes avaient analysé que la départementalisation de La Réunion était impossible car elle n’avait pas changé la structure de la société coloniale. C’était toujours la même classe dominante, toujours la misère pour la majorité de la population. La crise s’était renforcée par la remise en cause des libertés fondamentales. Le droit de vote n’était plus respecté à La Réunion, et ceux qui militaient pour le changement étaient la cible de la répression.

En 1968, les organisations signataires du Manifeste était d’accord sur la méthode pour aller vers cette nouvelle société : l’autodétermination.
Cela signifiait qu’il appartenait aux peuples de gérer leurs propres affaires, et de décider eux-mêmes du statut qui leur apparaissait le plus adapté. Tout était possible, à l’exception de la départementalisation qui était un échec reconnu par tous. Et c’est à partir de ce droit à l’autodétermination que chaque peuple était capable de mener une politique conforme à ses intérêts.

L’impasse de la départementalisation

Le pouvoir n’a pas tenu compte de cette volonté d’émancipation. La départementalisation a été maintenue et la société a évolué dans un sens qui n’était pas celui souhaité par les progressistes. À La Réunion, la classe dominante n’est plus celle de l’aristocratie du sucre. L’année suivant la publication du Manifeste, ce fut la signature des Accords de 1969. Ils eurent pour conséquence de séparer le capital foncier du capital industriel. Ceci permit aux industriels de ne plus être obligés de planter de la canne, et de diversifier leur activité en dehors du sucre. Un des aboutissements fut le rachat de l’industrie sucrière par Tereos, les capitaux de cette industrie ont donc été transférés à une coopérative française de planteurs de betterave.

Cette crise de la canne à sucre s’est accompagnée d’un effondrement de secteurs traditionnels tels que le géranium, la vanille, le tabac, du fait de la concurrence sur le marché français. Ce fut alors le début du chômage de masse auquel la départementalisation est bien incapable d’apporter une solution. Une autre classe a alors pris le pouvoir, elle est issue du secteur des services et elle doit la totalité de ses revenus à la France. Les services représentent en effet plus de 85 % de l’économie réunionnaise, dans un système où plus de 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et où une grande partie des travailleurs sont contraints à la précarité et aux revenus minimums à vie. Ces services fonctionnent grâce aux transferts publics venus de France, qui sont transformés en profits privés en passant par La Réunion.

Comme en 1968, l’impasse de la départementalisation est évidente. Si le suffrage universel est aujourd’hui respecté, il est de moins en moins utilisé par les citoyens, car des droits essentiels comme le travail ou le logement sont loin d’être garantis pour la population.

Faire sauter le premier verrou

50 ans après le Manifeste des organisations progressistes de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion, la question du statut revient dans le débat. Le gouvernement a en effet annoncé une réforme de la Constitution. Les premiers éléments font apparaître un article spécifique à la Corse, ainsi que l’inscription d’un « droit à la différenciation » des collectivités sur la base de l’expérimentation. Pour La Réunion, la question essentielle est celle du niveau de responsabilité.
La départementalisation signifie l’intégration totale à la France, avec les mêmes lois. Or la France se situe à 10.000 kilomètres, elle n’est pas une île tropicale de l’océan Indien qui a subi l’esclavage et la colonisation.
Depuis tout ce temps, le peuple réunionnais n’a jamais été considéré comme majeur par le pouvoir. Paris a même laissé passer une disposition réactionnaire enlevant aux élus réunionnais une parcelle d’autonomie concédée aux autres départements d’outre-mer : le droit d’adapter les lois et règlement. C’est l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution, spécifique à La Réunion.

La réforme de la Constitution est l’occasion de mettre fin à cette discrimination. C’est un préalable nécessaire pour que les Réunionnais puissent disposer d’outils adaptés à leur situation. Cette revendication n’est plus seulement portée par le PCR et les organisations signataires du Manifeste de 1968. L’impasse du système est un constat partagé par un nombre toujours plus grand. En témoigne la proposition du député Les Républicains David Lorion de remettre en cause l’alinéa 5 de l’article 73. Il rejoint la proposition initiée par les communistes Paul Vergès et Gélita Hoarau au Sénat, et par la socialiste Ericka Bareigts quand elle fut députée avant d’être ministre.

Ceci montre qu’il est nécessaire de faire sauter ce premier verrou, afin que les Réunionnais puissent eux-mêmes élaborer des politiques qui répondent à leurs intérêts.

M.M.

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