50 ans après un choix politique, l’amplification de la crise ? —1—

Routes du littoral : combien de dizaines de milliards enlevés aux Réunionnais ?

10 septembre 2013

Combien a coûté la décision de supprimer le chemin de fer et de construire une route du littoral ? Les chiffres du commerce extérieur permettent d’avoir une idée de l’impact d’une décision prise voici plus de 50 ans.

La Grande Chaloupe abrite un des rares vestiges de la première route du littoral (au milieu de la photo), inaugurée en 1963. 15 ans plus tard, la route actuelle a été inaugurée tandis que la première était détruite. Tout ce qui a été dépensé pour la première route l’a donc été en pure perte. Le projet de Didier Robert prévoit exactement la même chose : casser la route actuelle et en construire une autre… et dans 20 ans une quatrième route ?

Plus d’un milliard d’euros en un an : c’est la somme cumulée des importations liées au tout-automobile et aux énergies fossiles selon les chiffres 2012 du commerce extérieur. Autrement dit, l’équivalent du montant de la route des Tamarins a quitté La Réunion l’an dernier, uniquement pour acheter des voitures, des pièces pour les entretenir, du carburant pour les faire fonctionner, ainsi que du charbon et du fuel pour produire de l’électricité.

En se limitant uniquement aux importations de voitures, camions et pièces, la facture a approché 500 millions d’euros en 2012. C’est là que se trouvent les plus de 20.000 véhicules achetés chaque année à l’étranger par de l’argent qui est à La Réunion.

À l’échelle de notre île, ce sont des sommes énormes. Elles ne sont pas la conséquence de l’évolution du monde, mais d’un choix politique fait au détriment de l’intérêt des Réunionnais.

La décision

Dans les années 1880, La Réunion s’est hissée à la hauteur des pays les plus avancés du monde. Car quelques décennies après l’abolition de l’esclavage, les Réunionnais ont réussi à construire en quelques années un port et un chemin de fer. C’était un outil qui permettait de consolider l’industrie sucrière. Les cannes étaient transportées vers les usines, puis le sucre des usines vers le port. Pour franchir l’obstacle de la Montagne entre La Possession et Saint-Denis, décision a été prise de construire un tunnel. Il sera à l’époque parmi les plus longs tunnels du monde.

Pendant plus de 60 ans, le chemin de fer allait être le principal moyen de transport des marchandises, des humains et aussi des idées. Car il servait de lien entre des travailleurs en lutte : dockers, cheminots, ouvriers des usines, petits planteurs et journaliers agricoles.

Pour que le train roule tous les jours, il n’était pas nécessaire d’importer des milliers de wagons chaque année. Il était alors possible de le moderniser pour qu’il coûte encore moins cher en fonctionnement. Mais dans les années 1950, une décision est prise : supprimer le chemin de fer et construire la route du littoral. Sous la direction du préfet Perreau-Pradier, un vote a lieu au Conseil général pour valider ce choix, avant que les conseillers puissent débattre… Au-delà du coût de construction de l’infrastructure, les pertes pour l’économie réunionnaise n’ont jamais été évaluées. Elles sont pourtant énormes et méritent d’être précisées. Voici quelques pistes de réflexion.

Quelques conséquences

- L’aménagement

Tout d’abord, la suppression du chemin de fer a transféré tout ce qui était transporté par rail sur la route. C’était le point de départ de la domination du tout-automobile. Le train roulait de Saint-Benoît à Saint-Pierre en passant par Saint-Denis. Aujourd’hui, ces trois villes sont reliées par une quatre voies. Si le train avait été maintenu, deux voies n’auraient-elles pas suffi ?

- L’importation de matériel

La Réunion n’est pas un pays doté d’une industrie automobile. Par conséquent, tout ce qui roule avec un moteur doit être importé. Une part non négligeable de l’argent issu de la création de richesses à La Réunion, ou des transferts publics venus de France, quitte alors notre pays pour acheter des automobiles aux pays qui en produisent. Cet argent contribue alors à créer de l’emploi en France ou ailleurs en Europe, et à enrichir les profits de ces entreprises.

- L’importation d’énergie

À ce jour, quasiment toutes les automobiles et les camions utilisent le moteur à essence pour fonctionner. La Réunion ne produisant pas cette énergie, elle doit l’importer. C’est encore une ponction supplémentaire qui profite avant tout à des intérêts extérieurs.

- Energie et temps gaspillés

L’étroitesse de notre île fait que la construction des routes ne suit pas l’accroissement du nombre de véhicules. Depuis que Didier Robert est président de la Région, plus de 60.000 voitures ont été importées pour zéro kilomètre de route en plus.

Par conséquent, les embouteillages s’allongent. Des dizaines de milliers de moteurs tournent à l’arrêt pendant des dizaines de minutes chaque jour, pendant que s’accumule le temps perdu dans la circulation.

Le moment du choix

Sous l’ancienne mandature de la Région, l’objectif était d’atteindre l’autonomie énergétique en 2025. Le tram-train doit y contribuer, car il marche à l’électricité. Cette énergie peut être produite à partir de sources renouvelables.

Le tram-train est aussi le moyen d’amorcer le changement dans les déplacements. C’est donc progresser d’un mode de transport individuel et polluant, à un mode collectif moins cher et respectueux de l’environnement.

Le 1er avril dernier à Saint-Louis, le candidat François Hollande avait donné son plein accord à cette vision en déclarant ceci : « oui, il nous faudra aller vers le tram-train, c’était un projet que vous avez lancé et il appartiendra au prochain président de lui donner toute sa place » . Autrement dit, celui qui est devenu chef de l’État s’est engagé à corriger une décision prise voici plus de 50 ans par un précédent gouvernement, qui a plombé le développement de La Réunion pendant des décennies.

Or, en ce moment, le chef de file de l’opposition au gouvernement à La Réunion tente de faire passer un projet dévoilé quelques semaines après les dernières régionales. Ce que veut Didier Robert aurait une conséquence : détourner tous les financements alloués au tram-train vers une route en mer, qui poursuivrait dans la logique de la décision prise voici plus de 50 ans.

Quel sera le choix fait par Paris ?

(à suivre)

M.M.

Coût prévisionnel de la première route du littoral : 1,6 milliard

Coût réel de la première route du littoral : 7 milliards

En 1958, lors du débat au Conseil général sous la direction du préfet Perreau-Pradier, le projet voté était estimé à 1,6 milliard. 12 ans plus tard, le président du Conseil général, Pierre Lagourgue, estimait le coût réel de cette route à 7 milliards. L’unité de compte était certes le franc CFA, mais la différence entre le coût prévisionnel et le coût réel montre l’écart qui peut se créer dans ce type de chantier aussi hasardeux.

Mais cela n’a pas suffi, et il a été décidé de construire une seconde route, plus chère que la première… quant à la troisième annoncée par Didier Robert…
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