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La décision britannique au sujet de Diego Garcia : le bail stratégique concédé aux Américains prorogé pour 20 ans

Libre opinion d’André Oraison

mardi 10 janvier 2017, par André Oraison


Réclamé comme les autres îles Chagos par Maurice depuis le 7 juillet 1980, l’atoll de Diego Garcia risque de rester pendant longtemps encore un « super porte-avions britannique » ancré au cœur de l’océan Indien et puissamment armé par les Américains pour le compte de l’Occident. Accordé aux États-Unis par la Grande-Bretagne pour une période de 50 ans en vertu d’un traité anglo-américain conclu à Londres le 30 décembre 1966 afin d’assurer la protection des « autoroutes des hydrocarbures et des matières premières stratégiques » qui traversent l’océan Afro-asiatique, le bail stratégique sur l’archipel des Chagos vient d’être tacitement renouvelé pour une période de 20 ans.


Mais la décision qui vise à maintenir en activité la base militaire de Diego Garcia dans une région « en effervescence » n’est pas une surprise. De surcroît, elle est critiquée par les États riverains de l’océan Indien, par Maurice et par les Chagossiens, exilés de leur pays natal depuis plus de 40 ans.

Une décision attendue

Les observateurs en géopolitique ont toujours été persuadés que le bail initial serait automatiquement prorogé pour une période de 20 ans. Plusieurs indices viennent étayer cette thèse. Depuis le 30 décembre 2014 – date à laquelle le bail pouvait être dénoncé au plan juridique par l’une ou l’autre des deux Parties – et jusqu’au 30 décembre 2016, les Américains et les Britanniques n’ont jamais envisagé de remettre en cause leur présence stratégique à Diego Garcia, l’île la plus vaste, la plus australe et autrefois la plus peuplée des Chagos. Au demeurant, il est aisé de comprendre leur position.

D’abord, les États-Unis ont dépensé plus de 3 milliards de dollars pour la création, la modernisation, l’entretien et l’utilisation de la base militaire de Diego Garcia, selon les renseignements recueillis par le Financial Times en août 2015. Ensuite, plusieurs autorités américaines et britanniques ont manifesté, à plusieurs reprises, leur intention de maintenir opérationnelle cette base, bien au-delà du 30 décembre 2016. Ainsi, dans une récente déclaration faite au Parlement de Westminster le 16 novembre 2016, la ministre d’État britannique au Développement international a indiqué que le Gouvernement de Londres avait pris la décision d’interdire la réinstallation des Chagossiens dans leur pays d’origine pour des raisons « de défense et de sécurité ». À l’occasion, Joyce Anelay a précisé que le bail consenti au profit des États-Unis serait automatiquement reconduit alors même qu’un Comité de parlementaires de la Chambres des Communes – le Foreign Affairs Committee – avait souhaité en 2014 qu’une condition soit insérée dans l’accord initial pour contraindre les États-Unis à demander le feu vert de la Grande-Bretagne avant d’engager des opérations militaires à partir de la base de Diego Garcia.

En raison de la situation confuse qui caractérise la région du Proche-Orient où se prolonge l’inextricable différend israélo-palestinien, en Iran où le régime de Téhéran doit désormais prouver à la Communauté internationale qu’il a bien renoncé en 2015 à l’arme nucléaire, à la périphérie du golfe d’Aden où sévit à l’état endémique la piraterie qui compromet la liberté de la navigation dans l’océan Indien occidental, en Syrie confrontée à la guerre civile et convoitée par l’organisation terroriste de l’État islamique et en Afghanistan où le régime de Kaboul soutenu par les Américains est toujours menacé par des mouvements islamistes extrémistes, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont jugé inévitable – pour la défense de leurs intérêts, bien compris – de proroger le maintien en activité de la base militaire de Diego Garcia dans cette « zone de turbulences » qu’est l’océan Indien.

Un autre indice militait en faveur de la thèse du renouvellement du bail stratégique. Relative à l’« Application de la Déclaration faisant de l’océan Indien une zone de paix », la Résolution 70/22 votée par l’Assemblée générale des Nations Unies se prononce – comme toutes les précédentes résolutions onusiennes adoptées, à ce sujet, depuis 1971 – pour le démantèlement des bases militaires établies par les grandes puissances maritimes et nucléaires dans l’océan Indien. Mais si la Résolution 70/22 a été votée le 7 décembre 2015 à une très large majorité, par 128 voix et 45 abstentions, elle l’a été avec l’opposition de trois États qui entretiennent des bases militaires permanentes dans cette région : nommément les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Pour leur part, en votant contre la Résolution 70/22, les Américains et les Britanniques ont clairement fait savoir aux Nations Unies qu’ils avaient bien l’intention de maintenir une base aéronavale à Diego Garcia après l’expiration du bail initial de 50 ans. De fait, cette importante base anglo-américaine restera encore opérationnelle pendant au moins 20 ans jusqu’à la nouvelle date butoir, désormais connue et fixée au 30 décembre 2036.

Une décision contestée

La prorogation pour 20 ans du bail stratégique consenti sur l’atoll de Diego Garcia aux États-Unis par la Grande-Bretagne ne laisse personne indifférent. Devenu effectif le 30 décembre 2016, cette prolongation se traduit d’abord par une profonde déception chez les États riverains de l’océan Indien qui, pour la plupart, sont favorables à la création d’une « zone de paix » dans cette partie du monde.

La prorogation du bail pour 20 ans contrarie tout particulièrement les attentes des Mauriciens qui souhaitaient récupérer les îles Chagos après l’expiration du bail initial. Dans sa dernière allocution prononcée à l’Assemblée générale des Nations Unies le 23 septembre 2016, le Premier ministre mauricien n’avait pas hésité à brandir la menace d’une saisine de la Cour internationale de Justice de La Haye en cas d’échec des nouvelles négociations récemment engagées entre les Gouvernements de Londres et de Port-Louis. Pour Sir Anerood Jugnauth, ces négociations doivent aboutir à des solutions satisfaisantes pour Maurice, rapidement et au plus tard en juin 2017. Mais ces solutions ne sont-elles pas désormais compromises depuis le renouvellement effectif du bail stratégique anglo-américain jusqu’au 30 décembre 2036 ? La question est posée. Il convient toutefois de souligner que Maurice demeure en position de force au plan juridique dans le cadre du contentieux qui l’oppose à la Grande-Bretagne. Il en est ainsi depuis qu’une sentence arbitrale rendue le 18 mars 2015 par un Tribunal international a condamné la Grande-Bretagne pour n’avoir pas consulté son ancienne colonie au sujet de la création d’une « aire marine protégée » aux îles Chagos, alors même que Maurice détient des droits de pêche dans leurs eaux environnantes en vertu d’un accord anglo-mauricien conclu à Lancaster House le 23 septembre 1965, à une époque où Maurice avait encore le statut de colonie de la Couronne britannique.

La prorogation du bail pour 20 ans brise enfin et surtout les rêves des Chagossiens exilés à Maurice et aux Seychelles entre 1967 et 1973 et qui, depuis, militent sans relâche pour leur retour dans leur pays d’origine. Dans un premier temps, la Grande-Bretagne n’avait pas exclu la possibilité du retour des Chagossiens dans l’hypothèse d’une prolongation du bail. Après avoir exprimé les « regrets » du Gouvernement de Londres au sujet du « déplacement forcé » des Chagossiens, dans une déclaration faite le 8 juillet 2013 à la Chambre des Communes, Mark Simmonds – le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères – avait en effet indiqué que la Grande-Bretagne avait envisagé de commander à un cabinet d’experts indépendants une nouvelle étude de faisabilité portant sur un éventuel retour des Chagossiens dans leurs îles natales, y compris la partie orientale de Diego Garcia qui échappe au processus de militarisation. L’intention initiale des Britanniques semblait d’autant plus logique que la maintenance de la base militaire aéronavale est assurée en permanence par plusieurs milliers de civils, notamment des Philippins, des Sri-lankais et des Mauriciens, mais pas des Chagossiens.

Cependant, à la suite d’un changement de gouvernement intervenu après le référendum du 24 juin 2016 sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, ce projet a été purement et simplement abandonné. Dans une déclaration faite au Parlement le 16 novembre 2016, Joyce Anelay – la ministre d’État britannique au Développement international – a en effet indiqué que son pays avait décidé d’interdire la réinstallation des Chagossiens dans leur archipel en invoquant notamment « des raisons de faisabilité » et « de coût pour les contribuables britanniques ». Cette décision a été maintenue malgré une émouvante manifestation de protestation organisée à Port-Louis le 13 décembre 2016 par Olivier Bancoult – le leader charismatique du Groupe Réfugiés Chagos – devant les locaux de l’ambassade de la Grande-Bretagne.

À titre de consolation, le Gouvernement de Londres s’engage toutefois à verser aux Chagossiens une nouvelle compensation financière d’un montant de 40 millions de livres sterling. Cette proposition peut néanmoins surprendre quand on se reporte à la décision prise par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Saisie par les Chagossiens pour un problème d’indemnisation jugée nettement insuffisante, la CEDH avait débouté les requérants dans un arrêt définitif rendu le 11 décembre 2012 : les juges de Strasbourg avaient, en l’espèce, déclaré irrecevable la plainte des Chagossiens déposée contre la Grande-Bretagne pour violation des droits humains lors de leur déportation au motif que des compensations d’un montant forfaitaire de 4 millions de livres sterling leur avaient été versées par les Britanniques en 1982 « in full and final discharge », c’est-à-dire pour solde de tout compte.

Ceci étant, le droit de revenir vivre au pays natal demeure primordial pour les Chagossiens. Faut-il à ce sujet rappeler que ce droit leur avait été reconnu par la Haute Cour de Justice de Londres le 3 novembre 2000, puis confirmé à deux reprises : d’abord en première instance par cette juridiction dans un jugement en date du 11 mai 2006, puis par la Cour d’Appel de Londres dans son arrêt du 23 mai 2007 ? Malheureusement, le « droit de retour » leur a, par la suite, été refusé par les juridictions supérieures successives de la Grande-Bretagne : d’abord dans un arrêt rendu par les « Law Lords » le 22 octobre 2008, puis par la Cour suprême dans un arrêt désormais définitif rendu le 29 juin 2016.

Il n’en demeure pas moins vrai que la décision britannique de ne pas reconnaître le « droit au retour » des Chagossiens demeure inacceptable au regard du droit forgé par les Nations Unies depuis 1945. Les membres de la communauté chagossienne doivent pouvoir revenir librement dans leur pays d’origine en application des règles les plus élémentaires du droit international public humanitaire et notamment de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée, à l’unanimité, par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948. En une formule lapidaire et en des termes particulièrement bien frappés, l’éminente Déclaration pose en effet, dans son article 9, le principe cardinal selon lequel « nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé ».

Conclusion

Durant la nouvelle période de 20 ans qui a commencé le 30 décembre 2016 avec la prorogation du bail stratégique sur l’île de Diego Garcia et qui s’achèvera en principe le 30 décembre 2036, nous devons rester plus que jamais mobilisé et à l’écoute des doléances de la communauté chagossienne, une communauté qui a été et reste, sans conteste, l’une des premières victimes collatérales de la querelle idéologique et politique Est-Ouest et plus précisément encore la victime des desseins méphistophéliques des autorités gouvernementales américaines et britanniques au cœur du bassin central de l’océan Indien.

André Oraison, Professeur des Universités, Juriste et politologue
Membre du Comité Solidarité Chagos La Réunion


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