1er Mai

’À La Réunion, la mobilisation enseignante cristallise un malaise général’

"Le Monde" s’intéresse à La Réunion

30 avril 2003

Dans son édition du 30 avril, ’Le Monde’ s’intéresse à La Réunion, analyse la mobilisation enseignante et interroge Paul Vergès. Voici ce qu’il en dit.

« Après trois semaines de grève, les agents de l’Éducation nationale ont suspendu leur mouvement, lundi 28 avril, à la veille des vacances scolaires. Paul Vergès, président (PCR) du Conseil régional, espère une jonction des secteurs public et privé lors des manifestations du 1er mai.
Après deux imposantes manifestations, le 15 avril à Saint-Denis et le 23 avril à Saint-Pierre, qui avaient rassemblé respectivement quelque 20.000 et 25.000 personnes contre "le démantèlement du service public", les Réunionnais se préparent à défiler de nouveau massivement dans les rues à l’occasion du 1er mai.
La participation aux rassemblements des dernières semaines s’est traduite par des chiffres records, très supérieurs à l’effectif des fonctionnaires de l’académie et sans commune mesure avec ce qui a pu être observé jusqu’ici en métropole ou dans les autres départements d’outre-mer ("Le Monde" du 24 avril).

La majorité des personnels de l’Éducation nationale à La Réunion, en grève depuis trois semaines, ont cependant suspendu leur mouvement, lundi 28 avril, deux jours avant le début des vacances scolaires dans l’académie. La décision a été prise de manière "autonome" dans chaque établissement, les équipes éducatives étant invitées à choisir les modes d’action leur paraissant "les mieux adaptés" : à savoir, la non-reprise des cours ou la reprise pour tout ou partie du public scolaire ; des rencontres avec les élèves pour leur apporter de l’aide méthodologique et leur donner des consignes de travail ; la poursuite de la communication avec les parents d’élèves et avec la population dans son ensemble. Cette suspension ne signifie nullement que le mouvement a perdu de sa vigueur, assurent l’intersyndicale (CGTR, FO, FSU, CFDT, UNSA) et la coordination départementale des établissements. Malgré les hasards du calendrier, qui font tomber les trois prochaines journées de manifestation ou de grève au niveau national (les 1er, 6 et 13 mai) en pleines vacances, les responsables du mouvement entendent entretenir la dynamique enclenchée depuis le 7 avril.
Le phénomène, qui a surpris les syndicats eux-mêmes, peut être mis sur le compte des spécificités de l’île et des rapports qu’entretiennent les Réunionnais avec l’Éducation nationale. « Ce que le système éducatif a fait ici en moins de trente ans, il a fallu un siècle en France pour le réaliser, en termes d’accès aux connaissances et d’ascension sociale », souligne Jean-Raymond Mondon, secrétaire départemental de l’UNSA-éducation et président du Comité économique et social de La Réunion. « La population scolarisée représente plus de 30% de la population totale du département », ajoute-t-il, en précisant que, de ce fait, « il n’y a pas un seul Réunionnais qui n’ait un proche dans l’Éducation nationale ».

« L’ensemble de la population est très attaché à la réussite de ce système scolaire et très attentif à la responsabilité de l’État dans l’éducation nationale », confirme Vincent Cellier (FSU), porte-parole de l’Intersyndicale. De son côté, la coordination départementale détaille les particularités du contexte local : « Un système scolaire qui a fait ses preuves » ; une démographie très dynamique ; des besoins en termes de rattrapage encore très importants par rapport aux moyennes nationales ; une économie où « les capacités d’insertion offertes par le monde du travail restent limitées » ; une fonction publique qui « cimente le fonctionnement socio-économique ». « On est la dernière académie pour le nombre de personnels ATOS, le taux d’illettrisme, les difficultés scolaires », assure M. Cellier. « Nous nous sentons particulièrement concernés par l’avenir de notre région ultrapériphérique », résume Joëlle Abecassis, l’une des responsables de la coordination.
Selon certains observateurs, des craintes plus profondes expliqueraient aussi la mobilisation actuelle. Ainsi, en proposant des transferts de gestion de personnels, la nouvelle étape de la décentralisation conférerait aux collectivités locales des pouvoirs jugés trop importants. N’y aurait-il pas, à terme, un risque de remise en cause du statut des fonctionnaires, lesquels bénéficient, à La Réunion comme dans l’ensemble des départements d’outre-mer, d’une surrémunération ?

Principal représentant de l’UMP dans l’île, le sénateur Jean-Paul Virapoullé reconnaît, pour sa part, que les quelque 1.300 techniciens et ouvriers spécialisés de l’Éducation nationale concernés par un éventuel transfert n’ont « pas envie d’être soumis aux aléas politiques ». « Ils n’ont pas plus envie de dépendre de moi que de Vergès », ajoute-t-il en riant. Sollicité comme tous les parlementaires de La Réunion pour que les projets du gouvernement soient retirés, le sénateur, maire de Saint-André, estime, à tout le moins, qu’« une lettre de Raffarin ou de Luc Ferry serait la bienvenue pour éclairer La Réunion d’en bas », car, précise-t-il, « l’émotion est sincère ».
De son côté, le Conseil régional, présidé par Paul Vergès (PCR), rappelle qu’il n’a pas demandé à gérer les personnels techniques de l’éducation. Tout au contraire, dans une motion adoptée le 25 avril, en cas de transfert national de ces personnels, il souhaite pouvoir « déroger au droit commun ».

36% des habitants ont moins de 20 ans
Population : Avec 706.300 habitants recensés en 1999, La Réunion est le plus peuplé des départements d’outre-mer. En dépit du vieillissement de la population, observé au cours des années 1990, les moins de 20 ans représentent 36% des Réunionnais.

Croissance : Depuis deux décennies, le produit intérieur brut augmente de 4% à 7% par an et 4.000 emplois en moyenne sont créés chaque année, ce qui est insuffisant pour absorber la totalité des jeunes sortant du système éducatif. Le secteur public emploie, de son côté, près de 42% de la population active.

Trois questions à Paul Vergès
• Comment expliquez-vous l’ampleur des dernières manifestations des personnels de l’Éducation nationale à La Réunion ?

La Réunion connaît une situation sociale très grave. Le pire est à venir. Quelques repères : sur une population de 750.000 habitants, 300.000 sont en âge de travailler ; plus de 100.000 sont inscrits à l’ANPE ; près de 65.000 foyers sont titulaires du RMI ; 330.000 personnes relèvent de la CMU ; 100.000 sont illettrées. La perspective ? C’est 250.000 habitants de plus d’ici 25 ans ; 144.000 personnes viendront grossir la population active (+46%).

C’est une situation démographique inverse de celle de l’Hexagone. C’est pourquoi les mesures radicales annoncées à Paris apparaissent comme inadaptées et menaçantes. Une inquiétude générale existe dans toutes les couches sociales, et un scepticisme aussi général devant les plans successifs des gouvernements. Toute mesure partielle, sectorielle, risque de mettre en cause le fragile équilibre de la société réunionnaise. Les manifestations récentes des personnels de l’Éducation nationale, avec l’appui d’autres secteurs de la Fonction publique, reflètent cette inquiétude et ce scepticisme. Le 1er mai laisse prévoir, avec la jonction des secteurs public et privé, une ampleur encore plus grande des manifestations.

• Pourquoi, à la différence des autres départements d’outre-mer, êtes-vous réticent, voire hostile, à une évolution statutaire de La Réunion ?

Le débat sur le statut divise encore l’opinion tandis que la crise sociale exige l’union la plus large. Le gouvernement a choisi de soutenir et d’imposer l’immobilisme institutionnel, consacrant l’irresponsabilité de certains élus devant l’avenir de l’île.

• En quoi, selon vous, les projets actuels du gouvernement en matière de décentralisation ne répondent-ils pas aux attentes de La Réunion en matière de développement ?

La croissance démographique entretient - malgré les gros efforts consentis - les retards en équipements de l’île et, plus grave, les retards accumulés dans le rattrapage du personnel des services publics. Toute absence de garantie de Paris dans ces deux domaines, comme dans beaucoup d’autres, hypothèque toute réponse positive des collectivités locales pour une décentralisation des compétences. Ce préalable a le soutien de l’opinion à La Réunion. Au-delà du secteur public, le redressement dans le secteur privé exige la rupture avec la politique sclérosante suivie depuis des décennies.

Propos recueillis par Jean-Louis Saux.

Article paru dans "Le Monde" dans l’édition du 30.04.03


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