Une loi-programme pour 15 ans ?

« Ce projet est insuffisant »

Les syndicats de salariés et patronaux sur Radio Réunion

3 février 2003

C’est une insatisfaction générale qui s’est exprimée vendredi soir sur les ondes de Radio-Réunion lors du débat organisé entre les représentants des organisations socio-professionnelles au sujet de l’avant-projet de loi-programme pour l’outre-mer.

Un texte transmis la semaine dernière par le gouvernement pour avis aux collectivités territoriales (Région et Département) et au Conseil économique et social régional (CESR).
« Sentiment de déception » côté patronal, déclarait ainsi Catherine D’Hanens, déléguée générale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF-Réunion). Déception « par rapport aux effets d’annonce nombreux qu’il y avait eus » aussi bien de la part de Jacques Chirac que de Brigitte Girardin, les deux ayant émis des idées que le projet ne contient pas.

Côté syndicats de salariés, Ivan Hoareau, secrétaire général de la CGTR, rappelle avoir critiqué la loi d’orientation (LOOM) et reproche à la loi-programme pour l’outre-mer « d’amplifier ce que la LOOM avait de plus mauvais, à savoir les exonérations de cotisations sociales ».

Mauvais car tout le monde s’accorde à dire, y compris le patronat, « que c’est l’activité qui crée l’emploi et non les exonérations ». Des exonérations faites sans contre-partie pour l’emploi.
Jean-Yves Lecoq, de la CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises), souligne que l’aspect le plus positif de cette loi est de s’étendre sur 15 ans, favorisant donc « une certaine sécurité sur le plan des investissements ».

Mais cette loi ne correspond pas aux attentes des petites et moyennes entreprises, qui constituent environ 80% du tissu économique réunionnais. Rien sur la défiscalisation de la formation des chefs d’entreprise, rien sur les aides pour les petits commerçants...

Pas de bilan de la LOOM

Axel Zettor, de l’URIR-CFDT, affiche lui aussi son mécontentement. Celui-ci porte notamment sur méthode du gouvernement pour préparer son projet : il n’y a pas eu de consultation préalable pour l’élaboration de la loi-programme, malgré « les engagements de Brigitte Girardin ».
Jacques Thirel, de l’UPA (Union professionnelle artisanale), fait état de « sa grande déception » car les propositions concrètes émises par les socio-professionnels ne se retrouvent pas dans le projet.

« Le gouvernement n’a pas été téméraire, et il me semble que pour un département comme La Réunion, il faut l’être ».
Éric Marguerite, pour F.O., s’interroge sur le "programme" : « il n’y a pas dans cette loi d’ambition sur 15 ans. (...) Le projet de loi ne répond pas du tout aux véritables soucis que connaît La Réunion, notamment la création d’emplois ».
Autre motif d’amertume : l’absence de bilan fiable pour la LOOM.

Notamment la mesure des retombées de la LOOM en matière de création d’emplois. Il y a eu seulement quelques estimations réalisées et attribuées à la LOOM. « Un langage de fausseté », souligne Ivan Hoareau, qui regrette que la loi-programme n’ait pas été précédée par un bilan. « On ne veut pas contrôler les aides publiques », poursuit-il. Avis partagé par F.O., notamment.

Un projet sans ambition

Pour la CGPME, « on essaie d’améliorer avec des rustines des choses qui n’étaient pas bien bonnes avant ». Par exemple le seuil de 10 salariés pour les exonérations.
Idée reprise par Catherine D’Hanens, qui relève le seuil de 50 salariés pour le bâtiment, « grand perdant de cette histoire, puisqu’on arrive à une atomisation des entreprises ».

Et si nous n’avons plus que de petites entreprises, les gros chantiers de La Réunion devront être réalisés par des sociétés venant de l’extérieur, précisait-elle. « C’est un recul par rapport à la LOOM » et le seul point « vraiment positif », c’est la durée sur 15 ans, affirme à son tour la représentante du MEDEF. Une bonne « visibilité mais pour appliquer quoi ? », interroge-t-elle.

Axel Zettor regrette que cette échéance de 15 ans ne se concrétise pas par l’inscription de mesures précises, notamment sur la formation, qu’elle soit initiale ou continue. Un point partagé par bien des syndicats (le MEDEF notamment : « il y a rien. Mais rien »).
Ivan Hoareau insistait sur les mesures pour les jeunes. La loi-programme vise à transférer les emplois-jeunes sur le secteur privé, sur des "postes productifs", via le C.A.E. (contrat d’accès à l’emploi), le congé-solidarité...

« Ce n’est qu’un transfert sur le secteur privé, le gouvernement ne rajoute rien. Il a fait une grosse "conn..." pour des raisons idéologiques. Et maintenant, c’est une absence totale de politique volontariste en matière d’emplois. C’est un véritable gâchis. Ce qui est proposé n’est pas du tout à la hauteur du problème ».

Et Catherine D’Hanens de relever que la gestion des C.A.E. n’est pas évidente, puisque si les entreprises font une demande pour obtenir les aides liées à la création de ces postes, le gouvernement répond « qu’il n’y a pas de sous dans les caisses, les crédits étant globalisés ». D’où sa demande d’une gestion analytique de la ligne budgétaire.

La continuité territoriale oubliée

Le délégué de l’UPA regrettait qu’il n’y ait rien sur la continuité territoriale, « alors que c’était un projet qui était pratiquement ficelé ». Rien pour les entreprises de transport aérien, rien sur les aides pour les particuliers et sur le passeport mobilité. Et encore, cette mobilité se tourne non vers l’Europe, mais uniquement vers la France, regrette le MEDEF.

Aucune mention sur le fret à taux zéro pour les matières premières et les produits semis finis. Une mesure dont le coût avait été estimé à 35 millions de francs, selon Jacques Thirel. « Il y a eu un oubli manifeste. 35 millions de francs, c’est quoi ? Une bagatelle pour le gouvernement, mais cela aurait donné un souffle d’air aux entreprises, notamment aux plus petites ». Avec des créations d’emplois à la clé.

Même analyse pour le MEDEF-Réunion, qui regrette que tout le volet exportation ait été oublié. Ni ce que l’on va faire pour le fret alors qu’Air Lib traverse de fortes turbulences. « La Réunion doit avoir la certitude d’avoir toujours un certain volume de fret, des places pour voyager, à un prix correct, et avoir la certitude de sa date de départ et de retour ».

Droit dans le mur

Jean-Yves Lecoq avance une explication sur le manque d’ambition du projet gouvernemental : selon lui, les arbitrages budgétaires ont fait "sauter" quelques mesures sur lesquelles Brigitte Girardin s’était avancée.
Et les choix du gouvernement ont été mis en exergue par le représentant de la CGTR : modification de l’ISF (impôt solidarité sur la fortune), suppression de la loi Hue (sur le contrôle des fonds publics versés aux entreprises par les salariés...).

Toujours est-il que ce n’est qu’un avant-projet de loi ; qu’il est donc perfectible. Sur le fond autant que sur la forme d’ailleurs. Catherine D’Hanens l’affirme : « Ce document, c’est un monument que l’on devrait transmettre à Monsieur Delevoye, ministre de la simplification administrative, car on a mis très longtemps à comprendre ce que cela voulait dire. Mais nous avons néanmoins bien compris que l’article 27 ruine tout ce qui existe d’autre, puisque cet article prévoit que sont responsables, solidairement, tous les intervenants dans une opération de défiscalisation : cabinets de conseils, banques… Si cet article n’est pas révisé, on va droit dans le mur ».

Elle souligne que la responsabilité étant partagée et conjointe entre tous les acteurs de la défiscalisation, les banques n’accepteront jamais d’engager leur responsabilité.

À faire évoluer

ette loi-programme a été vécue par le MEDEF Réunion comme « un électrochoc ». Mais tous les avis sont unanimes : c’est une loi avec des "mesurettes", des "rustines", qui ne tient pas compte des réalités réunionnaises, qu’il faut amender, modifier. Comment ?

Catherine D’Hanens proposait de "donner un coup de main" au ministère de l’Outre-mer, pour "faire pression" sur Bercy (siège du ministère de l’Économie et des finances).
Moins d’optimisme pour Ivan Hoareau, qui estime « aberrant de voir qu’un texte sur 15 ans ne dit rien sur le service public. Comme si le service public était l’antithèse du développement... ». Et d’espérer voir s’améliorer le dispositif congé-solidarité mais surtout le gouvernement enfin s’engager dans une politique volontariste en matière d’emplois.

Est-ce par manque d’ambition, comme se demandait Éric Marguerite, que sur ce plan on est loin des besoins des Réunionnais ? Il faut que Paris écoute les propositions réunionnaises : un leitmotiv quasi général.

Le MEDEF-Réunion n’a pas été entendu par MÉDÉTOM
Le congé-solidarité, « ébauche » de ce que le MEDEF-Réunion souhaitait, n’a pas tout à fait rempli ses objectifs. 760 annonces de départ. Mais seulement 357 dossiers acceptés fin décembre dernier et 237 départs réels, selon les chiffres de F.O., pour qui le congé-solidarité était « une bonne mesure » mais qui a connu un échec.

Notamment à cause de la question du montant de la retraite, « pas suffisamment incitatif », des difficultés de négociations entre employés et patronats.
Et le MEDEF de regretter que la loi-programme, dans un de ses articles, annule la possibilité d’appliquer à l’outre-mer ce dispositif. « Les espoirs - de ceux qui souhaitaient partir en congé-solidarité - sont enterrés avant d’avoir connu leur plein développement ».

Ivan Hoareau relève que dans le projet de loi, le principe de l’octroi d’une prime de départ à tous les travailleurs a été supprimé. Et ce malgré la proposition du MEDEF-Réunion, qui a demandé que cette prime figure bel et bien dans le projet. Une idée que réfute l’UPA, les petites entreprises ne pouvant pas suivre financièrement.
Par ailleurs, le congé-solidarité peut permettre maintenant, dans le projet de loi-programme, d’embaucher non sur un seul poste, mais sur deux à temps partiels. Et les dernières difficultés viennent des lourdeurs administratives.
Le constat dérangeant de la C.G.P.M.E.
La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) a fait un constat qui souligne les contradictions du système des aides au développement des entreprises : « Plus on a d’aides à La Réunion, et plus c’est au détriment de la création de valeur locale, et notamment de l’industrie et de l’artisanat.
Par exemple, pendant quelque temps, il y avait des exonérations pour certains secteurs - l’industrie et autres -, ce qui permettait notamment à l’industriel de mieux se positionner par rapport à l’importateur. Maintenant, dès le moment où l’entreprise a moins de 10 salariés, même si elle fait de l’importation, elle bénéficie des mêmes aides que la grosse entreprise. Donc on perd un avantage quand on produit localement.
Ensuite, on a parlé des surcoûts liés aux intrants, donc de la notion de continuité territoriale, c’est un élément qui pénalise également la production locale. Et là, rien n’est fait dans la nouvelle loi-programme.
Enfin, on parle également de la suppression de l’octroi de mer, en fin d’année. Ce serait à nouveau un élément qui viendrait enlever une protection pour certains industriels réunionnais. Ceux-ci auraient du mal - sans cet octroi de mer et tant que d’autres mesures ne sont pas trouvées - à se positionner et à continuer à produire dans des conditions satisfaisantes, ne serait-ce qu’équilibrées. (voir "Témoignages" de vendredi dernier - NDLR)
Cette loi apporte des éléments supplémentaires qui viennent en couches, mais sans forcément prendre la mesure des difficultés de l’économie de La Réunion, qui même si elle est une économie très très dynamique, a un certain nombre de handicaps qu’il faut réussir à surmonter »
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