Religions et société

« Construire la paix sociale »

La Commission Diocésaine Justice et Paix de La Réunion

23 août 2003

Hier matin, la Commission Diocésaine Justice et Paix tenu une conférence de presse à l’évêché, rue de Paris à Saint-Denis. À cette occasion, l’évêque du diocèse, Mgr Gilbert Aubry, entouré de plusieurs membres de la Commission, a rendu publique une déclaration intitulée ’Construire la paix sociale’. Un texte dont la pertinence et l’importance n’échapperont pas aux lecteurs de ’Témoignages’, surtout dans le contexte actuel de La Réunion. Nous le publions intégralement ci-après.

La mondialisation économique mène le monde. Malgré les efforts déployés pour humaniser cette mondialisation, les gouvernements sont obligés de se plier aux pressions des grands groupes internationaux et des plus puissants politiquement pour pouvoir se situer dans la compétition des pays les plus avancés. Il n’y a pas que des guerres militaires… la guerre économique est maintenant généralisée.

Le gouvernement français n’échappe pas à la règle dans un pays qui a été malmené par des idéologies et des pratiques qui ont donné une place prépondérante à l’État Providence et à la rentabilisation économique au détriment de l’humain. Cela a entraîné des surenchères politiciennes, économiques et corporatistes.
Actuellement, l’État français n’a plus d’argent. Il doit faire des économies sur son fonctionnement et renvoyer les privés à une nécessaire production de richesses pour pouvoir créer des emplois et permettre le jeu d’une solidarité nationale pensée sur de nouvelles bases.
En métropole, la victoire républicaine que constituent les dernières élections présidentielles a été utilisée par la droite pour s’imposer majoritairement à l’Assemblée comme au Sénat. Dès lors, le gouvernement a voulu privilégier un calendrier de réformes à faire passer rapidement mais sans prendre au départ le temps de la concertation et du dialogue. Les oppositions tant politiques que syndicales se sont durcies.
Par ailleurs, la tentation d’une démocratie directe uniquement régulée par les sondages d’opinions et les manifestations de rue s’est fait jour. Il manque une vision d’ensemble et un projet global faisant apparaître non seulement la nécessité des réformes mais l’articulation des réformes entre elles pour ouvrir le débat sur un projet de société et mobiliser les acteurs sociaux et économiques.

Les tensions et les derniers conflits sociaux à La Réunion s’inscrivent dans ce contexte mondial et national. Cependant, dans notre monde insulaire, les passions sont d’autant plus exacerbées que le fonctionnement de notre économie est en grande partie tributaire des transferts sociaux. Et bien des dysfonctionnements sont structurels.
La situation sociale et économique est telle que nous devons prendre conscience que "collectivement nous allons droit dans le mur". Mais alors que beaucoup pensent à des réformes nécessaires, personne ne veut bouger. On semble compter d’abord sur les efforts et peut-être les sacrifices de la part d’une autre catégorie sociale que la sienne. Il s’agit d’engranger le maximum d’avantages avant qu’il ne soit trop tard. Cet état d’esprit est suicidaire car non seulement il nous interdit de repenser l’ensemble en fonction de l’intérêt général mais, ce faisant, il aggrave la situation.

Quatre piliers pour un esprit de réforme

La recherche de notre bien commun, avec la satisfaction des besoins fondamentaux permettant l’insertion de chacun et de tous dans une société travaillant à son développement et voulant vivre en paix repose sur quatre piliers : l’amour, la vérité, la justice et la liberté [1].
L’amour suscite une sympathie et l’ouverture d’une personne à une autre personne différente d’elle-même. L’amour bannit l’indifférence, il rend proche. Il ouvre un groupe à un autre groupe, une profession à une autre profession, une culture à une autre culture, un pays à un autre pays. Il est donc social et doit, par conséquent, s’inscrire aussi au coeur de l’économie et de la politique.
La vérité est le contraire du mensonge, de la calomnie, de la médisance, de la manipulation, de l’hypocrisie et de la tricherie. Elle se fait dans la prise en compte des analyses et de leur confrontation pour la recherche de ce qui est meilleur et de ce qui est possible. Les personnes et les faits doivent être respectés en tant que tels. Et du point de vue du comportement moral, individuellement et collectivement, les paroles et les actes doivent être en concordance.
La justice consiste à rechercher ce qui est conforme au droit avec une vie équilibrée sur l’amour et la vérité. Il n’y a pas de justice sans droiture. Étant tous de même dignité fondamentale, " les Droits de l’Homme " sont les mêmes pour tous et entraînent aussi un certain nombre de devoirs. Les lois qui codifient le droit doivent être respectées par tous au bénéfice de tous.
La liberté se conjugue avec la responsabilité. C’est cette faculté de jouir de la possibilité de se grandir individuellement comme personne humaine dans une communauté de personnes, avec l’ouverture aux autres, aux valeurs spirituelles, à Dieu, dans le respect de l’environnement. La liberté se manifeste dans l’exercice des libertés par la capacité d’aller et venir avec la libre circulation des personnes et des biens. La revendication de ses droits par quelqu’un ou par un groupe ne doit jamais détruire la liberté des autres.

Nous vivons en société. Il faut nous en souvenir. Ce n’est pas l’instinct qui doit nous guider mais la raison. Nous avons à construire la paix sociale. Nous ne pouvons pas nous replier sur le chacun pour soi ni développer la loi de la jungle en éliminant les plus faibles ou en ne permettant pas aux jeunes générations de gagner leur vie avec une mise en valeur de leurs talents au service de la société. Cette violence là risque toujours de provoquer d’autres violences en retour.
Nos jeunes nous questionnent sur nos conceptions de l’avenir. Dans la mesure où nous répondrons à leurs aspirations fondamentales, nous marcherons vers la réussite qui ne se confond pas avec le standing le plus élevé de consommation mais qui consiste à engendrer une certaine fierté réunionnaise capable de relever les défis par une créativité locale. Nos jeunes ne sont pas une menace mais la richesse première de La Réunion.

Dès lors, des questions essentielles se posent d’emblée :
- Que voulons-nous pour La Réunion ?
- N’est-il pas grand temps d’inscrire la satisfaction des intérêts particuliers dans la recherche avant tout de l’intérêt général, maintenant même, mais surtout à moyen terme et à long terme ?
- Comment donner du sens et tisser des relations sociales pour que la recherche d’un projet de société engendre un "Projet Réunion" pour demain ?
- Voulons-nous continuer à ne rien changer du tout, rester à la remorque des idées et des stratégies qui figent les situations ou bien repenser courageusement le système en nous appuyant sur une décentralisation déjà inscrite dans la Constitution française ?

Revaloriser l’action économique et la fonction politique

Ces interrogations induisent des changements de mentalités et de comportements. Elles n’apportent pas de réponses techniques précises. Elles font ressentir l’impérieuse nécessité d’une réforme globale qui doit viser l’harmonisation efficace de tous les revenus de tous les acteurs de l’économie. Que ces revenus soient obtenus sur les marchés du travail, des biens et des services ou de la monnaie. Cette réforme, qui appelle donc une réflexion autour de la rémunération de tous les agents économiques, n’est pas sans difficultés. Ce n’est pas une raison pour ne pas l’entreprendre. Comme dans le traitement d’une maladie, plus on retarde les soins plus l’opération risque d’être brutale et douloureuse. Fondamentalement, la nécessité d’une réforme s’impose quelles que soient les échéances électorales ou leur absence. Ce ne doit pas être un combat politicien mais une œuvre d’intérêt général.

En premier lieu, cette réforme implique que tous les acteurs de l’économie soient sollicités et qu’aucun ne puisse s’abriter dans un comportement de rente ou traiter les autres en boucs émissaires. Nous devons tous faire un effort.
S’inscrire dans une telle démarche requiert que nous soyons tous persuadés que nous avons beaucoup plus intérêt à opter pour le bien commun que pour des comportements faits d’individualisme et de fuites en avant qui refusent d’envisager les remises en cause indispensables.

En deuxième lieu, ce changement de comportements sera d’autant plus facilité que nous serons économiquement mieux informés. Il nous paraît nécessaire que se multiplient des groupes d’échanges et de réflexion comprenant des personnes de bonne volonté d’horizons sociaux, économiques, syndicaux, politiques différents mais s’acceptant comme partenaires d’une même société réunionnaise à humaniser ensemble. Des outils de modélisation pourraient se constituer. Et il ne faut pas attendre pour reconsidérer le fonctionnement de certaines instances et mettre en place des institutions cruciales comme l’observatoire des prix dont la loi prévoit déjà l’existence.

Finalement, développant un esprit civique pour construire une paix sociale reposant sur les quatre piliers de l’amour, de la vérité, de la justice et de la paix, nous sommes invités à un approfondissement permanent de la démocratie dans nos relations de proximité et nos engagements quotidiens, notamment dans le monde professionnel, syndical et associatif. Nous nous donnerons alors des atouts pour mieux bâtir notre communauté de destin et valoriser la fonction politique [2]. Pour donner le maximum de chances à une réforme, les hommes politiques auront à coeur de revaloriser l’action économique y compris dans sa dimension sociale. Et toute la société elle-même est invitée à privilégier le développement économique au détriment de l’assistance.

Dans un "projet Réunion", le fonctionnement de l’économie doit prendre en compte le fait qu’il s’agit de rendre possible l’avenir de La Réunion en rendant possible l’avenir d’hommes et de femmes qui sont faits de chair et de sang, animés du souffle de l’Esprit et qui ont besoin de se réaliser en tant que personnes humaines par leur travail et leur activité.
Notre île ne peut pas se replier sur elle-même, elle se situe d’ores et déjà dans les circuits de la mondialisation. Mais pour mondialiser la solidarité, il faut d’abord développer localement la solidarité dans une "économie réappropriée" [3] par notre population. Ainsi, nous pourrons évoluer vers une société davantage créatrice d’emplois par la mise en valeur des potentialités locales, par la considération des besoins non satisfaits et par le développement des exportations.

Qui que nous soyons, nous avons à nous souvenir de la parabole des talents : ils nous sont donnés à des degrés divers pour que nous les fassions fructifier, nous ne pouvons pas les enfouir dans la terre.
Il y a une autre parole du Christ que nous ne devons pas oublier : "Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ?"


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