Identité

« Etre lui-même, c’est à dire être un Réunionnais »

Une agora réunionnaise

3 mai 2003

Mercredi dernier, le président du Conseil régional, Paul Vergès, a procédé au vernissage de l’exposition ’Une agora réunionnaise’. C’est une préfiguration de la future Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise. Cette Agora réunionnaise est née d’une initiative du FRAC (Fonds régional d’art contemporain), relayée par la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) et développée par la Région. Deux professionnels ont présenté des pistes. Ils ont collecté les données et les ont présentées, sous forme de plusieurs petits films. C’était une entreprise difficile car il y a toujours une passion forte qui émerge lorsque l’on parle ’identité’ à La Réunion. On touche, en effet, à ce qu’il y a de plus profond de l’être humain, de chacun. Cette exposition se tient jusqu’à fin mai, dans le Hall de l’hôtel de Région.

Agora. Espace public. Lieu de paroles, d’expression de Réunionnais, à un moment, sur des thèmes divers. Paroles et moment captés dans leur diversité, par « la diversité de La Réunion, la diversité des Réunionnais », comme le soulignait Antoine Minatchy, vice-président du Conseil régional, mercredi soir.
C’est un peu tout cela, cette Agora réunionnaise, née d’une initiative du FRAC (Fonds régional d’art contemporain), relayée par la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) et développée par la Région. Prémisse de ce que sera la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise.

« Une préfiguration » de cette maison, pour reprendre l’expression d’Éric Alendroit, dans une Réunion terre de métissage, considérée comme terre « de tolérance » et à ce titre, parfois, posée en "modèle". Ou plutôt en stéréotype, puisque, « en fonction de la couleur, de l’origine sociale, du niveau intellectuel, tout le monde ne le vit pas de la même manière », poursuit-il.
Et cette "tolérance" ne pourrait-elle pas faire place « au respect ? Oui, il y a le respect à conquérir ». Un respect qui naîtra, de manière commune, par un biais : celui de la prise de conscience, de toutes et de tous, de la nécessité « d’un devoir de transmission de l’Histoire et c’est la mission de cette Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise ». Une transmission par et pour chacun.
Une idée qu’approfondissait Paul Vergès.

En effet, pour le président de la Région, cette unité réunionnaise peut reposer sur l’identité. Mais comment définir et cerner complètement cette identité réunionnaise ?
Deux professionnels ont présenté des pistes. Ils ont collecté les données et les ont présentées, sous forme d’un film. Ou plutôt de plusieurs petits films (voir encadré). C’était une entreprise difficile car il y a toujours une passion forte qui émerge lorsque l’on parle "identité" à La Réunion. On touche, en effet, à ce qu’il y a de plus profond de l’être humain, de chacun.
Et le débat sur l’identité reflète, dans son mode d’expression, cette sensibilité, cette ultra sensibilité, blessée. Ce qui explique les "risques" - si l’on peut dire - de débordement que l’on voit apparaître lorsqu’on évoque cette problématique. Cela fait ressurgir tout ce que les Réunionnais ont subi comme frustrations, comme souffrances. D’où leur réaction « d’écorchés vifs ». Une sorte de « guerre civile » à l’intérieur de lui-même.
Et cela est né du contexte économique, du contexte social, du contexte politique extrêmement mouvementé dans lequel ont évolué les Réunionnais. Une Histoire à nulle autre pareille pour un peuple à nul autre pareil. Une Histoire de plus de 300 ans qui a vu La Réunion passer de l’esclavage à l’engagisme, du code Noir à la colonisation puis à de nouvelles formes d’oppression, d’exploitation et d’acculturation.

Bien que des réels progrès aient été accomplis, il n’en reste pas moins vrai que tout cela ne s’est pas effacé, et que cette sensibilité, douloureuse, reste là. À l’intérieur de chacun et à l’intérieur de l’île. On ne peut s’en évader totalement et qu’au prix d’efforts personnels et collectifs considérables.
Cette succession de violences, cette coexistence de différentes violences se perçoit encore aujourd’hui dans les rapports sociaux. Ces violences historiques laissent donc encore des traces vivaces. Non oubliées mais non exprimées, elles restent souvent dans le "non dit". Et ce "non dit" trouve parfois une sorte de caisse de résonance dans les paroles des autres.
Ce sont principalement celles et ceux qui sont venus de l’Afrique ou de Madagascar, cette population esclave, qui ont porté et transmis la part la plus lourde de cet héritage historique. Car à leur misère matérielle s’ajoutait la détresse morale. Elle en porte aujourd’hui encore les stigmates.
Et si la société réunionnaise veut évoluer vers un développement durable et solidaire, il n’est pas possible qu’elle fasse subir aux siens ni à d’autres ce qu’elle a subi. Il y a une responsabilité à la fois individuelle et collective. Le peuple réunionnais, peuple banian, a puisé ses racines dans les endroits du monde possédant les civilisations les plus riches, les plus anciennes. Et c’est fort de ces richesses multiples qu’il peut construire son identité unique pour « être lui-même, c’est à dire être un Réunionnais », concluait Paul Vergès.

L’Agora réunionnaise
C’est un travail de trois ans qui est présenté à la Région sous la forme de films et sous le titre de "Une agora réunionnaise" [1]. Ses auteurs se sont dits « bouleversés » par ce qu’ils ont rencontré. La densité émotionnelle des échanges à été très forte. Il se concrétise donc par un film, en 5 volets, chacun composé de deux parties.

Le premier s’appelle "Auto-construction". Une référence au logement, certes, mais pas seulement. Une "auto-construction" de cette langue réunionnaise. Avec sa "réplique" intitulée "Mi koz kréol", ou l’apprentissage de la langue.

Le deuxième volet est consacré à la multitude des religions que l’on trouve à La Réunion. Avec une suite, "le sens du sacré", qui englobe toute "l’âme réunionnaise".

Le troisième volet, "d’une île au monde", évoque cette question de l’identité. Question complétée par une autre : "Indépendance/dépendance". Bien évidemment, c’est la partie historique qui est traitée.

Le quatrième volet, c’est "l’héritage" et l’on y parle d’esclavage. Avec, en corollaire, cette phrase "comme une maison vide". Ou une histoire sans représentation.

Cinquième et dernier volet : "une île africaine". Ou l’explication des liens unissant l’Afrique et La Réunion. Avec un triptyque "assimilation, autonomie, décentralisation". Il n’y a aucune hiérarchie à respecter pour plonger, pendant près de 3 heures 20 dans l’âme réunionnaise ; on peut écouter et voir ceci, puis cela. Aller d’un sujet à un autre, puisque ceux-ci sont conçus dans la « transversalité ». Les "moniteurs" (appareils de télévision dotés de casques) peuvent donc être approchés, au fil des envies, des humeurs.


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