Impôts

Haro sur les ’niches fiscales’

Un rapport du Conseil des impôts

9 septembre 2003

Au moment où le gouvernement planche sur le budget 2004 et où Jean-Pierre Raffarin poursuit - malgré l’avis défavorable de Bruxelles - sa politique de baisse des impôts pour tenir la promesse de Jacques Chirac lors de l’élection présidentielle, le rapport du Conseil des impôts est un gros pavé dans la mare. Il parle notamment de « niches fiscales », comme la fiscalité dans les Départements et Territoires d’Outre-Mer, et s’interroge sur la pertinence du maintien de tels dispositifs.

• Le contexte
Ce 21ème rapport du Conseil des impôts s’intitule "La fiscalité dérogatoire, pour un réexamen des dépenses fiscales". Il a été remis le 1er septembre au président de la République. Pile poil au moment où le Premier ministre dévoile ses principaux arbitrages fiscaux pour 2004. Et qu’il a décidé de baisser le taux d’imposition sur le revenu de 3%, afin de tenir les engagements pris par Jacques Chirac, lors de la campagne présidentielle.
Drôle de coïncidence. Mais en est-ce vraiment une ?
On se souvient du rapport émanant de la Cour des Comptes, sur le système des retraites, juste avant que le gouvernement ne présente sa loi sur le sujet. Même si certaines mesures gouvernementales sont montrées du doigt, il n’en reste pas moins vrai que ce rapport tombe vraiment "à pic" pour le gouvernement, qui n’a plus qu’à "piocher" dans les préconisations pour supprimer telle ou telle mesure fiscale favorable aux contribuables.

• Le constat
Les auteurs ont recensé 418 "niches fiscales", allant du quotient familial à la défiscalisation outre-mer, de l’immobilier locatif à l’avoir fiscal. S’ils ne contestent pas totalement la légitimité de la dépense fiscale, car la jugeant « partie intégrante des instruments de la politique économique », ils estiment que ces mesures sont « empilées sans logique », qu’elles ont « un coût très élevé » et que « leur efficacité est douteuse », pour reprendre l’expression d’un journal économique.
C’est donc plus sur le fond que sur la forme que portent les critiques. Ainsi, les auteurs dénoncent le fait que le gouvernement a une nette tendance à céder à certains groupes de pression, quels qu’ils soient, et qu’il leur accorde des avantages fiscaux, sans que pour autant on ait une idée précise des conséquences, du chiffrage et de l’évaluation.

• Complexité du système
Les auteurs ont passé au crible toutes les mesures ; parfois avec quelques difficultés, certaines n’ayant pas pu... être chiffrées, d’autres étant des mesures... sans bénéficiaires. Mais ils ont mis l’accent sur un fait : il y a beaucoup (trop) de mesures, et cette complexité est liée non seulement à un certain empilement des mesures successives (mais ce sont toutes les politiques qui subissent le même phénomène), mais aussi le fait qu’elles "se chevauchent".
Ils prennent l’exemple des dispositifs en matière de création d’entreprise, dispositifs « qui sont d’un coût faible ou inconnu, nuisent à la lisibilité des aides publiques, pourtant utiles dans ce secteur ». Et dans certains autres secteurs, les auteurs expliquent que cet enchevêtrement de mesures a abouti à un certain cumul, que rien ne vient limiter, et qu’il y a de nombreuses incohérences.

• Les niches
Les auteurs considèrent qu’un tiers de ces 418 niches sont « structurelles », comme le quotient familial, la demi-part pour un enfant..., les deux tiers restant ne seraient que « des instruments de politique publique qui devraient être évalués et discutés chaque année, pour tous les ministères concernés, comme des dépenses budgétaires classiques ».
La défiscalisation se situe dans ce cadre. Petit coup de patte aussi sur la baisse de la TVA pour les travaux d’amélioration des logements. Et sur la propension des gouvernements à se servir des dispositifs de dérogation au régime fiscal général.
"Le Monde" écrit : « Entre 1999 et 2001 en moyenne, 14 mesures nouvelles ont été adoptées chaque année. Leur coût total représente, en 2003, 8,3 milliards d’euros - soit 0,5% du produit intérieur brut, l’équivalent de l’effort annuel demandé par Bruxelles à la France pour rééquilibrer ses finances publiques. L’année 2003 a encore été très créative en la matière, avec les lois sur l’initiative économique, l’outre-mer ou la rénovation urbaine ».

• Un coût colossal mais…
Au total, ces dépenses représentent 50 milliards d’euros, réduisent les recettes fiscales de 20%, représentent 3% du PIB. « Très élevée au regard du poids des déficits, cette dépense fiscale est relativement modeste quand on compare la France à l’Espagne et au Royaume-Uni (6% du PIB) ou aux États-Unis (7% du PIB). Mais, au lieu de concentrer ses moyens, la France a tendance à les saupoudrer au gré des clientélismes électoraux, sans jamais les réexaminer », explique un journal économique.

• Quelle efficacité ? Quelle évaluation ?
Le Conseil des impôts affiche un scepticisme certain sur l’efficacité de certaines de ces mesures. Au mieux, leur efficacité est « incertaine », mais souvent elle est « discutable », voire « contradictoire » avec les objectifs recherchés. Fréquemment, il n’y a pas d’information d’ensemble sur les régimes dérogatoires.
Parmi les exemples cités par les auteurs, un d’actualité : les dépenses fiscales dont bénéficient les retraités. « Celles-ci se traduisent "par un niveau d’imposition moindre que pour les actifs, alors que leurs niveaux de vie sont aujourd’hui comparables" » analyse un journal économique.
Aucune évaluation non plus des dispositifs d’aides à la création d’entreprises, puisque les auteurs n’ont pas pu établir de lien direct entre les aides et le nombre d’entreprises créées.

• Préconisations
Les auteurs aimeraient bien que leurs 12 préconisations soient adoptées... dès le budget 2004. « D’autant que l’an prochain, le gouvernement devra assortir la loi de finances d’une présentation par programme, avec une évaluation précise des dépenses fiscales liées à chacun », rappelle un journal économique.
Si ce ne sont pas des préconisations à proprement parler, ce sont des interrogations : Faut-il maintenir l’exonération de CSG ou de CRDS (Contribution pour le remboursement de la dette sociale) sur les pensions « compte tenu de l’évolution du niveau de vie des personnes âgées » ?
Il s’agit parfois d’idées, comme celle « d’améliorer la connaissance des dépenses fiscales, de mieux encadrer ces dispositifs et de rechercher une fiscalité plus simple, plus juste et plus efficace ». Ou de mesure plus concrète : comme celle de lier l’ouverture de nouvelles dépenses fiscales à la loi de finances, afin d’éviter la dispersion de dispositifs dans des textes politiques.
Idée d’ailleurs reprise par certains députés, dont Gilles Carrez, rapporteur UMP du budget à l’Assemblée nationale, qui va se battre pour cela à la rentrée parlementaire.

Vers la disparition de la prime pour l’emploi ?
Pour les auteurs, la prime pour l’emploi « paraît peu adaptée, dans la mesure où : elle s’adresse à une partie de la population qui est mal informée ; elle n’est versée que plus d’un an après la reprise d’une activité, en raison des modalités de gestion de l’impôt sur le revenu ; elle ne représente, quand les bénéficiaires potentiels ne sont pas exclus par le jeu des seuils d’éligibilité, qu’un supplément de revenu modeste, notamment pour les travailleurs à temps partiel en dépit de la revalorisation effectuée en 2003 ».

Par ailleurs, cette prime pour l’emploi, sorte de crédit d’impôt au profit des personnes actives faiblement rémunérées, serait un « cadeau fiscal » aux actifs, n’améliore pas toujours significativement le niveau de revenu, et son mécanisme est à la fois difficile à comprendre et complexe à gérer « sans même évoquer la fraude à laquelle il donne lieu ».

Jean-Pierre Raffarin va-t-il se saisir de ces commentaires et revenir sur sa récente décision d’affecter 500 millions d’euros supplémentaires à la prime pour l’emploi en 2004 ?

Quel crédit d’impôt ?
Le Conseil des impôts relève que le mécanisme d’aide en faveur de l’emploi d’un salarié à domicile profiterait à beaucoup plus de ménages s’il prenait la forme d’un crédit d’impôt plutôt que d’une réduction d’impôt : « Alors qu’il y a eu plus de 2,2 millions de déclarants en 2001, 1,3 million de personnes seulement ont pu bénéficier d’une réduction fiscale, relève le rapport.

Le crédit d’impôt aurait pour effet d’étendre l’avantage de l’aide fiscale aux foyers qui ne sont pas imposables ainsi qu’à ceux qui, jusqu’alors, ne pouvaient utiliser tout ou partie de la réduction d’impôt ».

Crédit d’impôt ? N’était-ce pas ce que le candidat Jacques Chirac avait préconisé... pour la CMU ? On connaît maintenant l’issue donnée à cet engagement...


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